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Aux ressortissants du Woleu-Ntem : Bobedzang, beka’a bam, be tare ya be nane, mbolani

Le sujet de l’immigration incontrôlée qui frappe actuellement le Gabon ne devrait laisser personne indifférent, tant les conséquences sont incalculables. A son niveau, le professeur Gabriel Zomo Yebe, qui n’est pas un inconnu du monde universitaire, appelle, via cette lettre ouverte, ses parents du grand nord à se mobiliser pour une prise de conscience. Lecture !

Le problème que je soumets à votre réflexion par cette lettre n’est pas simple. Probablement que nombre d’entre vous, comme moi, s’y appesantissaient déjà. Ce qui leur manquait, comme à moi, c’est le courage, l’audace et l’effort de lucidité nécessaires pour identifier les défis communs. Je franchis le pas par la présente.
L’absence d’« aba’a » dorénavant, l’urbanisation croissante, la crise économique, la quête quotidienne de nourriture, les querelles politiques ont fini par édulcorer, même d’annihiler notre capacité d’anticipation (ayene oyap), notre capacité d’adaptation et notre conscience des situations qui nous provoquent (ake essôk). Ces valeurs qui, jadis, ont fait la force de nos grands-parents et étaient des outils fondamentaux de notre survie.

Depuis quelques années, bobedzang, beka’a bam, be tara ya be nane, des ouest-Africains, notamment des Burkinabè, des Maliens, des Nigérians, des Sénégalais, des Sierra-léonais (et j’en passe probablement), par petits groupes, se sont installés dans nos villes et migrent maintenant, pour s’y installer, dans nos villages. Cela se fait sous nos yeux sans que nous n’en prenions véritablement conscience, habitués que nous sommes à la présence des populations non fang (Blancs et Noirs) sur nos terres du nord-Gabon. Notre capacité d’intégration est sans pareille, puisque la plupart des non Fang finissent par parler notre langue avec les divers accents que nous lui connaissons.
Dans nos villages principalement, chacun a dû constater cette présence des populations venues hors d’Afrique centrale et même solliciter leurs services. Leur apport au développement de nos contrées est indéniable, nous pouvons le reconnaître. L’accroissement de la demande qu’ils engendrent, booste l’investissement privé et public. De même, ils apportent un savoir-faire dans beaucoup de petits métiers.
Toutefois, sans contrôle, cette population étrangère peut constituer une véritable menace comme en témoignent aujourd’hui de nombreux exemples en Afrique. La peine ne vaut de les aligner. Nous nous devons de demeurer ce que nous sommes et qu’on nous reconnaît.

C’est cette menace, plutôt, ce sont ces menaces, car elles sont nombreuses, qu’il nous faut conjurer aujourd’hui. Le problème que nous posons, bobedzang, beka’a bam, be tara ya be nane, n’est pas à régler par le gouvernement, mais par nous-mêmes, tous autant que nous sommes, originaires du grand nord. Nous ne ferions pas montre de xénophobie, mais envisagerions, pour les assurer, la sécurité et le développement de notre province.
L’immigration constatée au Gabon dans les années 1974-1978 a eu pour principale cause la croissance économique qu’a connue notre pays pendant cette période et qui exigeait une main-d’œuvre nombreuse, qualifiée ou pas, pour les nombreux projets de développement que l’Etat avait initiés après les chocs pétroliers. Le Woleu-Ntem n’a pas été la destination première de ces immigrés. Il faut attendre la crise politique en Guinée Equatoriale pour voir arriver en masse des populations étrangères chez nous : les Equato-Guinéens, en l’occurrence.
Les premiers immigrés qui arrivent au nord du Gabon le sont donc pour des raisons économiques et politiques. Bien que chez nous, de manière temporaire, ces immigrés aient permis aux paysans woleu-ntémois de booster la cacao-culture.
A la différence de ces premiers arrivants, l’immigration actuelle n’a rien de politico-économique. Loin s’en faut et cela change tout.
En effet, si nous nous en tenons aux difficultés économiques que traverse notre pays, cette immigration aurait dû diminuer ne serait-ce qu’à cause de la raréfaction des possibilités d’emploi. Or, il n’en est rien.
La cause véritable de cette nouvelle immigration, bobedzang, beka’a bam, be tara ya be nane, est la quête de terres pour l’agriculture. C’est cela qui explique la présence de ces immigrés, non plus seulement dans les villes, mais également dans les villages. Depuis les années 80-90, les photos aériennes prises en Afrique de l’ouest ont révélé dans ces pays la rapide humanisation de l’espace caractérisée par une rapide augmentation des densités rurales et un taux élevé d’occupation des sols cultivables.
Cette pression sur la terre qui s’est accentuée d’année en année avec la croissance démographique dopée par l’inutilisation des contraceptifs, chez ces peuples musulmans, l’insécurité et la pauvreté, obligent quelques-uns à chercher de nouvelles terres où s’installer définitivement. Certains tentent de rallier l’Europe avec des fortunes diverses qui nous sont rapportées, d’autres lorgnent vers les pays sous-peuplés que sont le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Congo-Brazzaville.

Le mouvement que nous constatons aujourd’hui n’est donc pas près de s’arrêter. Leur mode opératoire est bien huilé : . un premier s’installe dans un village, puis fait appel aux autres qui arrivent souvent la nuit. Une fois sa présence tolérée par nos parents, ils se rendent utiles, soit en épousant les veuves, en rendant de menus services à d’autres femmes ou à des vieux dans les plantations ou en faisant la chasse et la pêche, pour d’autres.
Au bout de quelques mois, il finit par s’installer dans une famille d’accueil. A son tour, connaissant les besoins du village et devenant, de fait, un membre de celui-ci, il fait venir un autre de ses compatriotes qui reprend la même tactique. En l’absence de fils et de filles du village, souvent en ville, ils deviennent, de fait, les nouveaux chefs de famille, usant et exploitant les forêts, les rivières, les plantations en jachère, etc., laissés par nos parents ou nos défunts grands-parents. Nous avons là une forme insidieuse d’accaparement de terres facilitée, il est vrai, par nous-mêmes qui avons malencontreusement abandonné nos villages. Il nous faut donc, concomitamment, prévenir les problèmes que cette immigration peut causer et saisir les opportunités qu’elle peut offrir.
Par le passé, nos grands-parents ont su le faire avec les populations haoussa venues du nord-Cameroun et du Nigéria. Ce sont les clans Nkodjè et Essandone qui donnèrent à Oyem (Akoakam) et à Bitam (quartier Est), une partie de leurs terres à ces populations, à vrai dire, pour mieux les contrôler géographiquement et en profiter économiquement.
Selon la plupart des rapports de l’époque, (Tesseman, Trilles, Balandier), cette décision a permis à ces clans, entre autres, de bénéficier du commerce des produits manufacturés. En outre, ils résolurent aussi par cette décision mûrement réfléchie au « corps de garde », deux autres problèmes :
1- le déclin démographique constaté dans le pays fang à la fin des années 30 ; et
2- la préservation de notre culture et nos traditions.
Ainsi, les Essandone et les Nkodjè tolérèrent que leurs filles aillent, sans se marier, avec ces nouveaux arrivants avec qui elles firent des enfants nkodjè et essandone (bone be ya dza’a ou bone be ya nda si). C’est en partie ces enfants qui assurèrent la survie et la perpétuation de ces clans.
Nous pourrions, nous devrions, bobedzang, beka’a bam, be tara ya be nane, réfléchir ensemble à l’élaboration d’une stratégie qui nous profite en vue de la sauvegarde et du développement de nos villages. Dans un contexte où la criminalité s’est mondialisée et où l’interdépendance des pays et des peuples pousse à l’ouverture, ne serait-ce que sous le prétexte de l’unité et à la construction africaine.
Je formule, pour cela, à votre adresse, bobedzang, beka’a bam, be tara ya be nane, deux séries d’interrogations :
– la première, d’ordre économique, se situe au niveau de la relation entre le Fang et la terre. Pour beaucoup d’entre nous, la terre n’est qu’un facteur de production. En réalité – et nos grands-parents le savaient, la terre est une richesse.
• Comment exploiter cette richesse ?
Aujourd’hui, l’Etat et certains d’entre nous, à titre individuel, tentons de relancer la cacao-culture et l’agriculture vivrière.
• Quel peut être l’apport de ces immigrés à cette fin ?
• Comment profiter de cette immigration pour revitaliser nos villages ?
• Comment améliorer le niveau de vie de nos retraités, de plus en plus nombreux, en profitant de cette main-d’œuvre relativement bon marché ?
– La deuxième série est d’ordre sécuritaire et culturel.
• Quels sont les risques sociologiques, culturels et sécuritaires d’une telle immigration ?
• Peut-elle, à terme, poser un problème de droit de propriété de la terre ?
• Allons-nous devenir des « squatters » sur nos propres terres ?
• Ces immigrés ne représentent-ils pas des cellules dormantes de Boko haram ?
• Quelle organisation sociale mettre en place pour un meilleur contrôle de ces nouveaux arrivants ?
• Quel rôle peuvent jouer nos frères « Haoussa » mieux imprégnés des préceptes de l’islam que nous dans ce contrôle ?
• Comment éviter les problèmes sanitaires et environnementaux que l’introduction de nouvelles techniques agricoles et l’utilisation d’engrais peuvent causer ?
En attendant d’aller au « corps de garde », chacun selon ses connaissances, son expertise, son expérience, peut enrichir ce questionnement et y apporter des réponses en vue de la rencontre d’échanges dans l’« aba’a » le moment venu. Certains villages se meurent. L’exode rural, le manque d’infrastructures de base, la recherche d’un travail de bureau poussent les jeunes vers les villes et dévitalisant ainsi les villages. Bien que le même problème se pose à l’échelle nationale, nous sommes, nous du Woleu-Ntem, particulièrement concernés, car notre région est la porte nord du Gabon, la plus exposée. La situation du nord-Cameroun est édifiante de ce point de vue.
Afin de trouver ensemble des réponses communes, crédibles et efficaces aux questionnements que je vous soumets, je vous invite, bobedzang, beka’a bam, be tara ya be nane, du Woleu-Ntem, fonctionnaires, retraité(e)s, paysan(ne)s, chefs de villages, étudiant(e)s, etc., à une conférence-débat (ou une rencontre au format que vous souhaitez) sur cette thématique à Oyem en août prochain. Je propose la première quinzaine dudit mois.
« Si les singes ont su sur quel arbre ils vont dormir, c’est parce qu’ils se sont d’abord entendus ».

Pr Gabriel Zomo Yebe

9 Comments

  • Owono Nguema Jean Christophe dit :

    Très bonne analyse que je partage totalement, professeur. Étant une question existentielle pour l’avenir des Ekang, je souhaite que nous nous retrouvions à Oyem du 10 au 15 août 2018, pour qu’ensembles, nonobstant nos égos, nos appartenances politiques, nous esquissions des pistes de solutions à ce grave problème qui se pose à notre communauté. Sans nos terres, légués par nos ancêtres qui seront nous? « Elique edene mone fang » levons nous tous, afin de défendre notre woleu Ntem.
    Akiba, mon cher Zomo, que Dieu te bénisse.

  • NGOMO Thierry dit :

    Cette situation d’invasion larvée de nos espaces ruraux par des etrangers (commercants ouest-africains en l’occurrence) me préoccupe également depuis plusieurs mois. J’ai même pensé envoyer un courrier aux Ministres de l’Interieur et du Commerce afin qu’il leur soit interdit de s’installer dans les villages; le principal argument étant de sauvegarder des opportunités locales d’entreprenariat indigène necessaires à la lutte contre la pauvreté et la précarité des populations rurales.
    En tout cas j’adhère fortement à ta propisition de se retrouver et de réfléchir sur ces enjeux. La période du 10 au 15/08 proposée par mon Honorable Oncle Nkodjen me paraît opportune.
    Je te propose également, dès à présent d’ouvrir une plateforme Telegraph qui rassemblera tous les cadres du Nord intéressés par ces questions.

  • Arnaud ONA NDONG dit :

    Merci Professeur pour le sujet que vous soulevez dans cette lettre. Pour ma part, votre analyse est d’un questionnement hautement vital pour la survie des populations de notre terre natale (le Grand Nord). La vitesse d’intégration des ces populations « ouestafs » est tellement fulgurante qu’elle puisse inquiéter plus d’un. OUI nous devrions faire quelque chose pour restaurer nos valeurs et surtout préserver ce qui, jusque là, a fait de nous un peuple authentique. Je suis POUR que cette phénomène soit regardée et vraiment scrutée au peigne fin afin d’en tirer une fois pour toute une résolution que nous nous devrions de mettre en musique sans plus attendre. OUI les menaces sont réelles…. Et des assises s’imposent enterre Ekang

  • Martin Mvé dit :

    Je partage tout ce qui est dit. Cependant, ne serait-il pas possible de commencer par, tous ensemble résoudre des problèmes élémentaires comme l’eau potable et l’électricité dans tous nos villages sans rien attendre de l’Etat?
    Tous ces nouveau- venus, plutôt que représenter un problème, pourraient, comme main d’oeuvre bon marché, nous être utliles à ces fins éléujmentaires.
    J’y serai en août!

    • Bonjour Professeur!
      Je soutiens votre proposition. Seulement sachant que je ne viendrai pas au pays a cette periode, je souhaite apporter ma contribution a la reflexion. Je vous saurais gre de nous reserver une urne en ligne dans laquelle nous pourrons deposer toutes les suggestions de pistes de reflexion. Les configurations geographique et demographique du Gabon ne peuvent en aucune autre maniere eclipser le pays du collimateur des explorateurs et aventuriers des temps modernes. Il nous faut en effet les acceuillir certes mais egalement les faire participer a la croissance economique de notre pays.

    • Bonjour !
      La realisation de l’idee de pourvoir nos villages en eau potable et electricite sans l’aide de l’Etat est possible.
      Il nous faut creer une plateforme de partenariats de tous horizons ( Afrique, Europe, Asie , Amerique) apportes par les uns et les autres sur la base de projets qui apres examen pourraient etre eligibles aux ressources obtenues a partir de ces partenariats prives et permettraient leur realisation.
      Je suis dispose a en discuter et a contribuer a la mise en place d’une telle plateforme.

  • NZE NDONG DIT MBELE Jean-Richard dit :

    Bonjour à tous.
    Merci Professeur d’avoir attirer notre attention sur un des nombreux problèmes qui menacent notre communauté.
    J’adhère totalement à la proposition des assises au mois d’août pour réfléchir sur ce problème. A cet effet, je pense qu’il ne serait pas inutile de travailler déjà à la préparation de ces assises en y impliquant nos intelligences du Woleu-Ntem, de Libreville et d’ailleurs.
    Ces assises pourraient nous rappeler le rôle et la place du corps de garde, pour notre survie.

  • HEGAULLA Jean Paul dit :

    Le problème de l’immigration dans le Woleu Ntem ne semble pourtant pas être un phénomène nouveau. Je vous rappelle qu’il fut un temps (1930-1955) où nous avions des communautés tchadienne installées dans le canton Woleu sur la route de Minvoul. Ces populations venues d’ailleurs étaient jadis utilisées dans les exploitations agricoles. Et ce pour suppléer à l’absence des autochtones partis soit en Guinée Equatoriale, soit au Cameroun ou encore dans les exploitations forestières dans la zone de Ndjolé et de l’estuaire. A cette époque-là, je ne pense pas qu’il y avait eu un problème dans la gestion de ce flux migratoire. L’essentiel serait de veiller à ce que des comportements qui ne seraient pas nôtre s’incrustent. Que la paix puisse perdurer dans nos villages malades de l’exode rural. Nous sommes fang et avons toujours été hospitaliers. Pourquoi changerons-nous aujourd’hui cette valeur hautement importante dans notre société ?
    Le professeur a raison de faire une prise de conscience du phénomène, mais que cela ne nous mène pas au rejet de l’autre. L’autre qui s’est retrouvé mal dans son pays et est venu vers nous pour un salut. Restons vigilants et je pense que tout ira bien en rappelant à l’ordre ceux qui voudront dévier.
    C’est mon point de vue. Merci.

  • Cédric ASSOUMOU NDONG dit :

    Mes frères et soeurs,
    C’est avec fierté que j’ai pris connaissance de cette initiative donc les différents intervenants ici ont parfaitement résumés la problématiques..
    . Merci pour cette prise de conscience.
    Nos village se retrouve au mains des étrangers qui vont même jusqu’à vendre nos terre, modifier nos habitudes de vie, et à terme, si nous n’y prenons pas garde, faire de nous des etrangers sur nos propres terres.
    Je propose pour ma part que chacun d’entre nous, dans son environnement fasse écho de cette rencontre oh combien vitale pour la survie de notre peuple, et la préservation de nos valeurs; la rencontre du mois d’août n’en sera que plus enrichie.
    Merci pour cette importante initiative à laquelle j’invite chacun d’entre nous, dès maintenant, où qu’il soit, à y prendre une part active.

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