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Culture politique gabonaise : L’impact électoral des ethnies

Omar Bongo Ondimba, le pape de la géopolitique à dosage ethnique. Il disait préférer « faire confiance à un bûcheron du Haut-Ogooué qu’à un pédégiste du Woleu-Ntem« .

Dans les années 1990, nous pensions tous que, le multipartisme revenu, les élections organisées par le pouvoir deviendraient la panacée pour assurer l’alternance politique dans notre pays. En effet, les leaders politiques gabonais, de Paul Mba Abessole à Jean Ping, en passant par Pierre Mamboundou et André Mba Obame ont participé activement aux processus électoraux de 1990, 1993, 1995, 1996, 1998, 2001, 2002, 2005, 2006, 2008, 2009, 2012, 20016, et 2018. Près d’une quinzaine de compétitions électorales en 30 ans.

Une élection tous les deux ans au moins. Mais, aucune d’entre elles n’a abouti à l’alternance souhaitée : les Bongo sont demeurés à la tête de l’Etat, le Parti Démocratique Gabonais (PDG) n’a jamais perdu sa majorité au parlement. Pourquoi une telle stabilité ?

Plusieurs explications sérieuses sont avancées : métastases politico-administratives du parti d’Omar Bongo, le PDG, au plan national, qui implique le contrôle des rouages essentiels et décisionnels pour chaque élection (Cenap, ministère de l’Intérieur, Cour constitutionnelle, la GR), le soutien de la Françafrique du bois, des mines, et du pétrole, la jeunesse des partis d’opposition en 1990, et le désengouement progressif des Gabonais pour l’office d’un rituel électoral répétitif qui, depuis 1990, se conclut, à chaque fois, sans surprise, en faveur du pouvoir en place. Toutes ces pertinentes explications méritent, toutefois, d’être mises en intime relation avec le fait que pour le pouvoir, et de tout temps, il a toujours été vital de prêter attention mais, surtout, de faire obstacle au fait démographique car consubstantiellement lié au fait communautaire.   Leur interaction réciproque dans l’espace politique, notamment au cours d’une élection transparente, surtout la présidentielle, peut déjouer les pronostics de stabilité que se sont donné les tenants du pouvoir, depuis 1967.

Hissé à la tête de l’Etat, Albert-Bernard Bongo est confronté à une préoccupation essentielle : l’impact du fait démographique dans le jeu politique national. Il le désactive parce qu’il est parfaitement conscient que, dans un pays où près de 40 ethnies sont répertoriées, le vote ne peut échapper aux influences communautaires, pour ne pas dire ethniques. Pour ABB, c’est une donnée indiscutable. Et, déstabilisatrice, d’autant que, parmi ces ethnies, certaines, plus que d’autres, sont détentrices d’une puissance démographique. Et Albert-Bernard Bongo, fort de son expérience congolaise, avait pu mesurer au Congo Brazza la part de conscience et de réflexes identitaires dans la première guerre civile.

Michel Adam, dans « Coups d’État, guerres de survie, guerres de prédation », Ateliers [Online], 26 | 2003, écrit ceci : « Au Congo, comme dans de nombreux pays d’Afrique, la logique ethnique, toutefois, se heurtait à la nécessité de prendre en compte les principes des consultations électorales. Majoritaires dans l’armée — et disposant, avec la force militaire, de la capacité à se saisir du pouvoir par le coup d’État ou la révolution de palais —, les ethnies du Nord demeuraient démographiquement, et donc électoralement, très minoritaires. C’est ainsi que, dominé par ces mêmes populations originaires du Nord, le PCT (proclamé « parti unique ») a cherché à élargir sa base électorale et clientéliste, en particulier auprès des groupes minoritaires du Sud tels les Vili, sous-groupe kongo peuplant la région de Pointe-Noire. Inversement, et avec l’alternance du pouvoir, nombreux furent les gens du Nord (en particulier dans les milieux intellectuels), qui, déçus par les fausses promesses du PCT, rallièrent le parti de Pascal Lissouba dominé par les ethnies du Sud-Ouest. Situation nouvelle par rapport à un passé récent : seul le parti de Bernard Kolelas (Lari) fut à même de correspondre encore à la définition classique du « parti ethnique ».

Presqu’en copié-collé, ici au Gabon, Albert-Bernard Bongo érige une méthode : sa géopolitique bien connue. Notre pays se divise en Nord et Sud, en Est et Ouest. Et, c’est ainsi qu’ABB entreprend de convaincre les jeunes cadres Gabonais revenus d’Europe du bien-fondé de sa classification discriminatoire en ethnies souveraines, alliées, intermédiaires et ennemies. Cette géopolitique, certes, officieuse, parallèle, mais demeure le passage obligé, le tamis politico-administratif discriminatoire opérationnel, l’article 21 du bon vouloir du prince. Un tel dispositif ne pouvait que générer des sentiments de jalousie et de haine intertribaux. Le célèbre «TSF» en est un avatar. Un bimensuel gabonais,  « L’Espoir », remarquait dans son titre à la une, lors de la mise en place du gouvernement Ona Ondo : « 11 Fangs pour  1 seul vrai Punu » ! L’auteur de l’article explique : « la Géopolitique à la Gabonaise nous enseigne que la répartition des postes a toujours été tributaire des équilibres ethniques… Malgré une charte de déontologie ou un code de bonne conduite, les Ministres nommés au Gabon se comportent toujours d’abord comme le(s) représentant(s) d’une ethnie bien donnée. Le reste suit après. L’on ne peut pas penser qu’il y a certains qui estiment que les Punus étant déjà un acquis, on peut se détourner de les cadeauter » !

Ce qui traduit bien le poids de la question démographique et communautaire dans l’esprit des Gabonais. Et, pour le pouvoir, il était vital d’échapper, surtout lors des élections, au verdict démographique des majorités socio-ethniques. Une menace qu’Albert-Bernard Bongo se devait de contenir et, même, de juguler afin qu’elle ne perturbe pas le jeu politique gabonais défini par lui. D’abord sous le monopartisme. Puis sous le multipartisme où même si le PDG n’était plus seul, il restait dominant. Ce fut donc une préoccupation majeure et permanente du défunt avant et après 1990. Pouvait-il en être autrement ? Pour le savoir, il faut se poser deux autres questions ?

Peut-on faire fi de la question ethnique en politique au Gabon ? Evidemment non ! Les ethnies sont une réalité avec laquelle il faut compter. Or, curieusement, la Constitution gabonaise n’en mentionne pas l’existence et le législateur ne légifère pas sur cette réalité.

Peut-on ou doit-on rompre avec la géopolitique instaurée par Omar Bongo ? Evidemment, c’est une nécessité !

Parce que cette géopolitique, comme nous la décrivons ci-dessus, fut une géopolitique d’exclusion et de neutralisation du fait majoritaire. Ce qui a entretenu en politique un esprit de tranchées ethniques, moins perceptibles sous le parti unique mais très visibles à chaque élection depuis 1990.

L’édification d’une nation est antinomique de politiques d’exclusion. Ces dernières ont plutôt tendance à multiplier les tensions, à antagoniser et à exacerber les contradictions politiques, sociales, culturelles et religieuses dans un pays. Ce qui conduit généralement à mettre en péril la stabilité de l’Etat, cet outil dont les jeunes nations africaines en construction ont besoin pour leur édification. L’instabilité de l’Etat centrafricain, pour ne prendre que cet exemple, se passe de commentaires.

Accepter le principe du jeu électoral, même lorsqu’il n’est pas totalement transparent correspond théoriquement à un choix politique précis : celui d’éviter le règlement des tensions politique et sociales par la violence afin de ne pas courir le risque de précipiter le pays dans le chaos de l’inconnu. Mais les élections, à elles toutes seules et telles qu’organisés au Gabon ne jouent malheureusement pas ce rôle modérateur. 2016 au Gabon a démontré une fois de plus qu’une élection présidentielle orchestrée par le pouvoir se termine invariablement dans le sang, les geôles et les cimetières.  Les négociations qui s’organisent par la suite, dans ce genre de cas, pour ramener et imposer le calme s’assimilent très vite à une reddition et à une soumission au diktat du vainqueur. Et surtout à des ressentiments revanchards… souvent ethniques

Peut-être que l’on pourrait commencer à voir les choses autrement.

Par exemple, reconnaître l’existence  des ethnies – qui sont, nous insistons dessus, exclues de la Constitution – sur le territoire gabonais. Ce qui permettrait de mesurer périodiquement et démographiquement l’état de conscience ethnique des Gabonais en relation avec la nécessité d’édifier la nation.

On oublie trop souvent que les ethnies sont partie intégrante de la société civile gabonaise. Donc, elles impactent directement et indirectement notre vie politique. Mais de quels outils disposons-nous pour mesurer leur ampleur ? Or l’état d’avancement de l’édification de la Nation gabonaise est fortement dépendant de l’état de conscience ethnique des Gabonais. Pendant ce temps, le politiquement correct joue les Tartuffe.  Omar Bongo en était le prototype. Officiellement, la question ethnique n’existait pas ; « au Gabon,  il n’y a pas d’ethnie supérieure à une autre » aimait-il à clamer. Mais, en real-politicien qu’il était, Bongo, résidant au Congo Brazza en pleine guerre civile, n’était pas myope. Son  officieuse « géopolitique » visait à dompter ce qu’il redoutait le plus : les fougues démographiques des communautés ethniques plus nombreuses que la sienne, en cas d’élections. Le « TSF » n’est pas un fait du hasard. Les couleurs indiscutablement ethniques des partis de Mba Abessole, Agondjo Okawe, Mamboundou ou des partisans d’André Mba Obame non plus.

Mais, n’est-il pas temps d’amorcer autre chose ?  De réintégrer intelligemment la donne communautaire dans le débat citoyen au Gabon ? D’abandonner cette stérile compétition instaurée par OBO qui n’avait pas son pareil pour alimenter rivalités et antagonismes afin de parvenir à des équilibres clientélistes définis par lui…seul ? Ne pourrait-on pas nous inspirer de cet immense pays qu’est la Chine composée de 56 ethnies différentes officiellement reconnues ? Même  sur la carte d’identité chinoise, l’identité ethnique est mentionnée. Cette politique permettrait au gouvernement chinois d’appliquer une « discrimination positive » afin de préserver la culture et la langue des peuples. Il y a même mieux. En République Populaire de Chine, il existe une Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC) qui  est « une assemblée sans pouvoirs de décision. Placée sous la direction du Parti communiste chinois, elle regroupe les représentants des huit « partis démocratiques » et des organisations ayant fait alliance avec le PCC au sein du front uni patriotique lors de la guerre civile entre 1946 et 1949. Cette assemblée permet à l’État-Parti de consulter les divers groupes ethniques et autres organisations avant de décider des lois et décrets. »

Au Gabon où plus de 40 ethnies sont répertoriées, elles sont pour ainsi dire « génocidées » dans les textes administratifs et de lois. Seul, notre acte de naissance parle de…coutume. Pourquoi avoir abandonné la Fête des Ethnies, pardon…des Cultures de Mba Abessole ? Après un demi-siècle de rivalités interethniques larvées et à risque, ne devrions-nous pas nous interroger sur l’opportunité d’inaugurer une ère nouvelle de coopération entre nos communautés. Une coopération institutionnalisée qui agirait comme un mécanisme républicain modérateur pré-électoral. Pour information, la Conférence Consultative du Politique du Peuple Chinois se réunit une fois par an.

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