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Entretien avec Luc Bengono Nsi, président du Morena : « Qu’est-ce qui est Gabonais et appartient aux Gabonais ? »

Opposant irréductible aux différents régimes des Bongo, Luc Bongono Nsi, dont tout le monde admire le courage, la pugnacité et l’intégrité malgré le poids de l’âge, fait partie de ces Gabonais, de ces barbes blanches dont l’amour pour la patrie n’est plus à démontrer. Nous avons voulu échanger avec lui sur l’économie de sa rencontre avec le président élu Jean Ping, mais aussi sur les 60 ans d’indépendance du Gabon.

Le Mbandja : Votre rencontre avec Jean Ping a été largement médiatisée. Mais son contenu, pas du tout. Était-ce une visite de courtoisie ou bien avez-vous abordé des questions qui intéressent les Gabonais ?

Président Luc Bengono Nsi : Je tiens d’abord à remercier les responsables du journal  pour l’opportunité qu’ils m’offrent de m’exprimer dans leurs colonnes.
Quant à la rencontre avec le président élu Jean Ping qui a défrayé la chronique, elle a porté sur l’analyse de la situation politique actuelle du Gabon suite aux évènements de 2016. Il convient de préciser que nous étions à notre troisième rencontre et, cette fois, en présence du Premier ministre Jean Eyeghe Ndong. Il va de soi que nos échanges ont porté et portent souvent sur la recherche permanente de voies et moyens pouvant permettre de trouver des solutions capables d’aider le peuple gabonais à débloquer la situation actuelle de notre pays. Chaque fois, nous nous séparons avec l’espoir de susciter un engagement ferme conduisant, malgré les hésitations des uns des autres, à des lendemains sûrs et meilleurs. Plusieurs de nos compatriotes semblent ne pas accorder beaucoup de crédit à ces initiatives, mais ils oublient qu’elles tendent à nous aider à mieux harmoniser notre vision actuelle du pays face à certaines divergences qui peuvent surgir lors de discussions sur les solutions à retenir. Nous souhaitons que le peuple gabonais, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, ne s’attende pas à ce que le Gabon se libère de façon miraculeuse sans aucun engagement de sa part. Les faits sont clairs et tout Gabonais devra mettre du sien pour cette fin.

60 ans après 1960, le Gabon vient de célébrer une nouvelle fois son indépendance. Etes-vous fier d’être Gabonais, 60 ans après ?

Question très importante et très pertinente ! Qu’aurait signifié la déclaration d’indépendance pour le Gabon et les Gabonais ?
• Le retrait total de la puissance coloniale française du Gabon par un transfert réel et effectif des compétences dans tous les domaines aux Gabonais.
• La liberté retrouvée permettant aux autochtones de restructurer leur pays, de s’accaparer de tous les secteurs pour bâtir le bonheur du peuple gabonais.
• Prendre des dispositions utiles pour sauvegarder ses cultures et introduire une formation adaptée à la fois à nos exigences et à celles du monde moderne afin de conserver l’identité gabonaise et d’encourager l’évolution et le développement du Gabon dans le concert des nations.
• Ce transfert aurait dû se dérouler pendant une certaine période afin de permettre au peuple gabonais de mieux se préparer à faire face à ses nouvelles responsabilités nationales et internationales.
A cet effet, la loi-cadre laissait entrevoir une légère évolution vers une éventuelle indépendance. Notamment après le référendum du 28 septembre 1958 qui créait la Communauté franco-africaine et érigeait des colonies en Etats associés. Le président de la République française était président de tous les Etats de la communauté et les Premiers ministres de ces Etats maintenus sous son autorité.
Craignant l’exigence de mise à niveau de ces Etats associés, la France va se désengager sans organiser un nouveau référendum et sans annoncer la dissolution de la communauté pour accorder à chaque Etat une indépendance conditionnée par la signature des accords secrets de coopération maintenant toutes les prérogatives de la France et annihilant ainsi les attributs de souveraineté.
Par ces accords de coopération, la France maintenait sa domination sur ces différents Etats par :
• l’utilisation de la langue française comme langue officielle ;
• le maintien du franc CFA sous monnaie coloniale gérée, jusqu’aujourd’hui, exclusivement par la France et soutenue par le FMI en monnaie d’échange dans toutes les zones ;
• le maintien de bases militaires françaises sur les territoires de ces différents pays confirmant l’indépendance nominale de ces Etats :
• l’exploitation exclusive par la France des divers minerais des sols et sous-sols de tous ces pays ;
• l’intervention militaire française pour maintenir en fonction les chefs d’Etat déstabilisés par leur peuple (cas du président Léon Mba-Minko au Gabon en 1964 suite au coup d’Etat militaire), aujourd’hui, la garde présidentielle, ou républicaine, montée par la France, succède à l’armée française dans les missions de sécurité des chefs de l’Etat, etc.
Toutes ces dispositions ont permis à la France de conserver sa domination sur le Gabon et toutes ses anciennes colonies déclarées indépendantes en se dégageant des charges de leur développement.
Ainsi le Gabon est déclaré indépendant le 17 août 1960 après avoir signé les fameux accords secrets de coopération.
Pourrais-je être fier que le Gabon ait été déclaré indépendant dans ces conditions ?
Pour confirmer la domination française, Léon Mba accédait au poste de Premier ministre avec la complicité des forestiers français. Lors du coup d’Etat sans effusion de sang, perpétré par la jeune armée gabonaise, écrasée par l’armée française, le général De Gaulle, à l’époque président de la République française, avait donné l’ordre de reconquérir le Gabon par la réinstallation du président Léon Mba dans son fauteuil présidentiel. Quand De Gaulle, Foccart, Maurice Delauney (alors ambassadeur de France au Gabon) introduisent des amendements dans la Constitution gabonaise en ouvrant l’accès au sommet de l’Etat à Albert Bernard Bongo (d’origine centrafricaine), qui allait ainsi succéder à Léon Mba après sa mort à Paris, à l’hôpital Cochin où il était séquestré pendant que Bongo était initié à ses nouvelles fonctions de président de la République
Pourrais-je être fier d’appartenir à un Gabon indépendant quand la France y installe le parti unique comme dans les autres pays francophones africains ? Pourrais-je être fier quand Eramet France exploite le manganèse gabonais sans aucun contrôle du Gabon ? Quand Total et les autres sociétés pétrolières tirent le pétrole sans vergogne du sous-sol gabonais ? Quand la forêt gabonaise subit depuis plusieurs années un véritable vandalisme dans son exploitation ? Quand Picot, envoyé par Foccart, atterrit au cabinet du président gabonais en 1958 et y reste jusqu’en 2009, gérant ainsi le Gabon en défendant farouchement les intérêts français sous le cap de Léon Mba et d’Omar Bongo ?
Comment pourrais-je être fier d’être Gabonais quand, 60 ans après, l’alternance ne peut se réaliser dans mon pays à cause d’une Cour constitutionnelle devenue Tour de Pise, qui se penche toujours du même côté, et à cause des canons qui s’opposent à la volonté du peuple gabonais ? Quand, depuis octobre 2018, le peuple gabonais se demande où se trouverait Ali Bongo après l’introduction du terme « indisponibilité » dans la Constitution ? Après le vote d’une loi interdisant la mise en cause de l’affiliation d’une personnalité avec tout ce qui se passe au sommet de l’Etat ?
Ce peuple se demande qui dirige réellement le Gabon en voyant les frasques qu’il vit presque tous les jours au sommet de l’Etat et dans le pays depuis l’AVC d’Ali Bongo en octobre 2018. Même s’il ne descend pas dans les rues comme cela aurait pu se produire à cause des canons tournés vers lui, ce peuple se demande sous quel régime il se trouve.
Comment, dans ces conditions, pourrais-je être fier de la déclaration de l’indépendance d’un Gabon qui reste toujours sous tutelle de la France et de ses démembrements ? Qu’est-ce qui est gabonais et qu’est-ce qui appartient aux Gabonais ?

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