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Hommage à Jules Aristide Bourdès Ogouliguende

Le poète, en désespoir de cause, a déclaré au bord du lac : « un seul être vous manque et tout est dépeuplé ! »
Après la disparition, le 26 mars dernier, de Jules Aristide Bourdès Ogouliguende, malgré ma grande tristesse, je ne me permettrais pas ici et maintenant, devant vous, d’articuler, même par analogie, une parole semblable, et cela pour trois raisons.
D’abord, ce serait, bien évidemment, un déni de la réalité.
Ensuite, ce serait contraire à ce qui m’anime à votre égard à tous, l’estime et le respect.
Enfin, par fidélité à celui qui était mon frère et, surtout, mon ami de plus de soixante ans.

Dans les années 1958 et 1959, au collège Cheminade des Marianistes, à Brazzaville, alors capitale de l’AEF, (Afrique équatoriale française), Jules et moi étions les deux seuls Gabonais. Je nous revoie comme si c’était hier.
Les samedis et les dimanches après-midi, pendant que la plupart des internes allaient se distraire dans les dancings mythiques de la capitale fédérale, « chez Faignon » à Poto-Poto et chez « Macédo » à Bacongo, qui ouvraient à l’époque leurs portes vers 15h les jours non ouvrables, Jules et moi restions souvent à l’internat.
Quand il ne me donnait des leçons de la grammaire espagnole qui est, comme on sait, l’une des plus difficiles parmi les grandes langues vivantes, mais qu’il « possédait » pourtant merveilleusement déjà, nous déambulions dans le jardin, tirant sur la Comète, projetant dans l’azur du ciel le Gabon et l’Afrique futurs, à la grandeur desquels nous contribuerons assurément de façon significative. Ah, jeunesse quand tu nous tiens !
Certes, chacun de nous entretenait le vers de Lamartine cité au début dans sa petite anthologie des citations littéraires, car, dans ce collège, nous étions gavés de littérature, même ceux qui, comme moi, étaient à l’époque en série scientifique…

Jules Aristide Bourdès Ogouliguende n’était pas un romantique.

En effet, s’il admirait le grand Victor Hugo, surtout celui des Châtiments, s’il était parfois sensible aux lamentations d’Alfred de Musset des Nuits, s’il appréciait le stoïcisme d’Alfred de Vigny de La Mort du loup, Jules était manifestement plus proche des Parnassiens, en particulier de leur chef de file, Leconte de Lisle, natif de l’Île de la Réunion, auteur des Poèmes Antiques et des Poèmes Barbares.
Jules était déjà sobre et précis dans son écriture. Il ciselait ses phrases comme le sculpteur cisèle sa statue avec un évident souci d’économie de ma matière utilisée.
En classe de philosophie, alors que certains de ses camarades se jetaient éperdument, si j’ose dire, dans l’Existentialisme de Jean Paul Sartre ou le structuralisme de Claude Lévi-Strauss, alors à la mode, Jules ne cessait, quant à lui, de marquer sa prédilection pour Emmanuel Kant, le promeneur matinal de Königsberg qui prône la valeur absolue de la loi morale.
Gaston Bachelard, le postier venu tard à la philosophie, ne le laissait pas non plus indifférent, avec son rationalisme exigent.
Mais, de retour de France, après ses études supérieures, Hégel était le philosophe qu’il évoquait assez souvent pendant nos entretiens. Il appréciait beaucoup ce théoricien de la confrontation, de cette science de la dialectique qui finit par réaliser la synthèse des contraires.
Sa grande culture juridique acquise successivement à la faculté de droit de Lille, à la faculté de droit de Montpellier, à l’Ecole nationale de la magistrature de France et pendant de longues années de pratique du droit dans la magistrature gabonaise, souvent au sommet de la hiérarchie, a renforcé en lui cette nature portée au réalisme, rationalisme et au scepticisme, hormis la croyance et la pratique d’un certain rite typiquement gabonais dont sont adeptes nombreux de nos compatriotes.
Loin donc des grandes utopies millénaristes, notamment celles du XXè siècle, tel le Marxisme, Jules Aristide Bourdès Ogouliguendé est resté toute sa vie durant un démocrate, un « libéral non matérialiste », mais un libéral très lucide, j’allais dire « un socio-libéral » poussant parfois l’honnêteté intellectuelle jusqu’à la critique de sa propre famille de pensée, à la manière d’un Raymon Aron, le philosophe et sociologue, ancien condisciple et « petit camarade » de Jean-Paul Sartre à l’Ecole nationale supérieure de la rue d’Ulm, à Paris.
Sa grande compétence était reconnue par tous, ainsi que son sens de la pédagogie, cet art de transmettre le savoir avec autorité certes, mais aussi avec aisance et clarté, presque de façon conviviale, comme il en a administré la preuve pendant quelques années en dispensant des cours à l’ENM (Ecole nationale de la magistrature) et à la faculté de droit et des sciences économiques de l’UOB.

Entré en politique et devenu Ministre d’Etat, puis Président de l’Assemblée nationale, Jules restera fidèle à sa nature profonde. Il sera rarement l’homme des estrades et du langage outrancier des meetings politiques.
En juriste extrêmement rigoureux et exigeant, il aimait plutôt « décortiquer », analyser et, parfois même, déconstruire les textes juridiques et politiques pour en dégager les intentions et les objectifs cachés, car Jules était aussi de nature suspicieuse.
Mais il n’aimait pas trop les grands discours. En revanche, il affectionnait les discussions et les débats. Il était, comme disaient les Latins, « un homo dialecticus » et, surtout, un débatteur hors pair. Il saisissait l’opportunité de chaque rencontre pour instaurer un débat sur des sujets de toutes natures.
Il pensait, comme Hégel et Socrate bien avant, que de la discussion entre deux personnes pouvait souvent émerger quelque chose de fécondant.
Alors, Jules argumentait autant avec son verbe orchestré par une redoutable dialectique qu’avec son regard, ses yeux quelque peu écarquillés dans lesquels semblaient scintiller des flammèches, sans doute alimentés par le feu de la passion et des certitudes qui l’habitaient, lui donnant parfois un air un brin dominateur agaçant.
Toutefois, un ou deux jours après nos amicales confrontations, il m’appelait pour me dire qu’avec le recul, il reconnaissait la grande validité de tel ou de tel point de mon argumentaire. Il faisait de même avec d’autres. Cet aveu de modestie était aussi la marque de sa grandeur d’âme.
Mais, par-dessus tout, Jules Aristide Bourdès Ogouliguende était la rigueur, la probité et l’honnêteté intellectuelle faites homme. Au physique comme au figuré, j’allais dire surtout au moral, il était toujours droit comme un grand principe juridique. Il était ce que les Espagnols appellent « un hidalgo ».
Avec notre aîné Henri Minko, un autre grand juriste, nous avons, de très longues années durant, formé un trio intellectuellement et affectueusement très soudé.
Jules Aristide Bourdès Ogouliguendé était un membre éminent de la Coalition pour la nouvelle République présidée par le président Jean Ping.
Il aimait passionnément son pays, le Gabon, dont il a été, à maints égards, l’un des meilleurs fils, l’une des personnalités les plus marquantes. Son absence physique restera en corrélation avec son intense présence dans mon esprit pour le reste de ma vie.

Pour rendre ici un hommage mérité à ce grand homme qui était un ardent pèlerin de la démocratie et de l’Etat de droit, un preux chevalier toujours à la quête de la justice, fondateur du CDJ, le Congrès pour la démocratie et la justice, je vous prie de vous lever pour observer une minute de silence…
Je vous remercie !

Libreville, Hôtel Triomphal, le 29 juin 2018

Président du Rassemblement des patriotes républicains (RPR)

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