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Interview de Janvier Nguema Mboumba : « 0n ne peut pas construire un pays sans rigueur »

Ancien ministre délégué à l’Education nationale, notable fang du Moyen-Ogooué, Janvier Nguema Mboumba a consacré toute sa vie à l’éducation et à la formation. Il reste le proviseur le plus célèbre du lycée technique Omar Bongo et le second du lycée national Léon Mba, après le célèbre Luc Marat Abyla. Fondateur à Lambaréné du lycée qui porte son nom, il a bien voulu nous recevoir pour un entretien fructueux. Lecture !

Mingoexpress : Monsieur le ministre, bonjour ! Nous clôturons l’année scolaire 2019-2020. Une année marquée partout dans le monde par la pandémie de la Covid-19. Comment se porte le lycée Janvier Nguema Mboumba dont vous êtes le fondateur et le proviseur ?

Janvier Nguema Mboumba : Je dois d’abord remercier votre journal et vous-même, le président de l’Opam. Vous remercier d’avoir fait le déplacement de Lambaréné pour rencontrer l’humble serviteur de l’éducation nationale que je suis. Le lycée Nguema Mboumba se porte bien. Mais ceux qui me connaissent savent que je suis pour la formation des hommes. J’ai été témoin de quelque chose d’extraordinaire. Vous faîtes partie des parents d’élèves qui ont aidé des élèves, des enfants qui ne sont pas les vôtres, à rompre, si on peut le dire, avec la pauvreté. Parce qu’aller à l’école, c’est déjà lutter contre la pauvreté et l’échec. Vous avez fait en sorte que ces enfants réussissent au baccalauréat aujourd’hui. Et ces enfants, vous les avez inscrits ici. C’est la preuve que vous voulez que notre école marche. Elle marche bien.
Mais vous savez aussi ce que nous avons eu comme malheur. Deux enfants d’une même famille qui meurent en l’espace de deux semaines. Une fille de la classe de 4ème et un garçon de la Tle A2 admissible au baccalauréat. Le premier décès a traumatisé complètement les condisciples de Ngady. Toutes ces jeunes filles qui avaient entre 10 et 11 de moyenne ont toutes échoué au baccalauréat. Ce qui a été pour moi un coup fatal pour ces enfants et pour l’établissement. Et je n’en reviens pas jusqu’à présent. Je suis proviseur depuis les années 1994. Jusqu’aujourd’hui je n’avais jamais enregistré un seul décès dans les établissements où j’ai servi. Avoir deux décès, dans une même famille, au sein du même établissement, cela m’a causé beaucoup de peine. Mais l’établissement se porte bien.
Nous avons des élèves qui nous viennent de l’Etat et ces élèves travaillent très bien. Je pense que nous sommes aujourd’hui l’un des rares lycées privés à donner la bourse aux élèves. Les élèves envoyés par l’Etat en sixième payent 63 000 Fcfa par an. Dedans nous avons la tenue scolaire, la tenue de sport, la rame de papier et tout ce qu’il faut. Mais l’établissement ne reçoit absolument rien de la part des enfants qui nous viennent de l’Etat. C’est dire que nous voulons que les choses marchent. Que l’école qui nous a formés, grâce aux enseignants que je prends pour des potiers qui nous ont modelés, qui ont fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui, marche. Nous devons rendre à l’Etat ce qu’il a fait pour nous. C’est pour cela que vous constaterez que notre établissement a les couleurs du lycée national Léon Mba, le vert, bleu, blanc que j’ai amené au lycée national Léon Mba en 2001. Ce lycée était en jaune comme les autres établissements à l’époque. J’avais demandé au ministre d’alors de changer les couleurs. Les couleurs de l’établissement parlent d’elles-mêmes. Il y a un symbolisme des couleurs. C’est pour vous dire que nous voulons la réussite des élèves.
Il m’arrive d’aller chercher des enfants dans les quartiers et villages pour qu’ils apprennent. Quand un enfant a 13 de moyenne ici, il a sa bourse qui est au-delà de 24 000 Fcfa. Et nous et nos enfants ici font des compétitions scolaires où nous atteignons les 16 de moyenne et les enfants ont entre 30 et 35 000 Fcfa par trimestre. C’est vous dire que nous essayons de tout faire pour que l’établissement se porte bien.
Nous avons une bibliothèque. Et dans celle-ci, les élèves prennent des livres sans les payer. Sauf les livres gabonais. Et aucun enseignant n’a le droit de vendre des fascicules. Il faut aller rechercher les auteurs gabonais pour être enseignés chez nous. Nous sommes d’abord Gabonais et nous devons respirer gabonais. Nous devons marcher comme des Gabonais. Flaubert, je ne l’ai pas connu, je l’ai appris à l’école. De même pour Montesquieu… Ce ne sont ni les parents de ma mère, encore moins les parents du Haut-Ogooué ou de la Ngounié. Nous devons devons d’abord nous exprimer en Gabon d’abord. Et ici c’est Gabon d’abord.

Merci, Monsieur le ministre. Après quatre mois de cours interrompus par la Covid-19, le gouvernement avait ordonné la reprise des cours pour les classes de terminale qui viennent de passer le bac. Quelle a été la récolte du lycée Janvier Nguema Mboumba ?

Une récolte assez bonne. Je ne parle jamais de pourcentages parce que je n’aime pas les calculer. C’est demain que le censeur va les calculer. Mais, comme toujours, nous faisons de bons résultats. Les résultats que je connais, c’est l’internat. Sur trois candidats, il y a eu deux. Et celle qui a échoué ne devait pas l’être. Mais c’est dans le cadre de ceux qui ont étudié avec Kindy-Ngady Dan Pamphyl qui ont tous été traumatisés par le décès de sa sœur. 3/2 à l’internat et je crois que, pour le moment, au niveau de l’établissement, nous sommes à plus de 60 %. Au niveau de l’établissement, mais pas au baccalauréat que je regarderai plus tard et je vous appellerai pour vous le dire.

Beaucoup aujourd’hui se plaignent de la baisse du niveau au Gabon. Soutenez-vous cela ? Si oui, quels sont les facteurs qui favorisent ce phénomène ?

Des voix se sont élevées. Plusieurs voix, dont la mienne, s’élèvent pour dire qu’il y a baisse de niveau et nous sommes là-dessus. Nous sommes tous responsables de cette baisse de niveau. D’abord, chez vous, vous ne vous exprimez plus en langue maternelle. C’est un facteur primordial pour qu’il y ait échec quand on ne s’exprime pas en langue maternelle. Pour faire les comparaisons, il faut qu’on les fasse en langue en maternelle. Aujourd’hui, nous sommes le seul pays africain où tout le monde veut s’exprimer en français avec ses enfants. La culture d’un homme doit partir de son village. Mais nous n’avons plus de culture au Gabon. Il y a déjà ça. On ne s’exprime plus en langue maternelle. Il faut que l’enfant maîtrise sa langue maternelle pour faire les comparaisons quand il rentre au pré-primaire que tous les pays africains nous envient.
Nous avons le problème de l’APC (approche par compétence – ndlr). Quand j’étais directeur général, je l’avais refusée. Je ne suis pas d’accord avec cette affaire d’approche par les compétences. L’Angleterre a gardé le même le système éducatif depuis le départ. Le Canada la même chose. Nous, dès que la France éternue, nous changeons. Pourquoi ? Mamadou et Bineta était là… Nous avons de grands auteurs qui ont écrit, mais nous prenons ce qui est de la France. Dès que la France change, nous changeons aussi. Nous avons dit que Piga et Bika était mauvais, mais c’était faux ; parce que c’était nouveau, mais ce n’était pas mauvais. C’est le bon système, c’est ce que font les Anglais. Mais nous, nous avons dit que c’était mauvais. Moi, je dis non. Nous ne pouvons nous permettre de changer chaque fois que la France change. Notre système éducatif a toujours été parmi les plus puissants de l’Afrique. Aujourd’hui on ne peut plus parler de ça. Mais pourquoi ? Parce que nous avons introduit, depuis 2011, des lois qui ne permettent plus que les enfants soient exclus parce qu’ils ne travaillent pas. Quand on n’exclut pas pour le travail, il y a problème. L’exclusion pour travail doit faire en sorte que les écoles soient libérées. Aujourd’hui nous avons des écoles à effectifs pléthoriques. Je dirai même philharmoniques. Parce que justement on n’exclut plus. Et lorsqu’on n’exclut plus, il y a violence en milieu scolaire. Parce que l’élève qui fait quatre ans en 5ème, le petit qui vient en 5ème, le plus grand va souvent chercher à le bastonner lorsqu’il refuse de lui céder son morceau de pain à la récréation. L’exclusion pour travail doit nous amener à réfléchir autrement, parce que les élèves se disent maintenant qu’ils sont en année sabbatique. Il faut qu’à un moment on réfléchisse, à un moment qu’on compte les poutres de notre école pour que les choses se passent bien. Si je n’avais pas été à l’école, je ne m’exprimerais pas ici aujourd’hui. Et c’est cette école que moi j’ai voulu redessiner.
Vous avez aujourd’hui les tenues scolaires, des uniformes scolaires vendus dans les marchés. Ce sont les lois Moundounga. Je ne suis pas contre, mais permettez-moi de dire non. Vous avez Monsieur Marat, Monsieur Nzoghe Nguema, Monsieur Biffot, pour ne citer que ceux-là, par qui les uniformes sont venus. Et la violence s’est arrêtée dans les écoles. Aujourd’hui n’importe quel quidam peut acheter un uniforme avec le logo de l’établissement. Le logo appartient à l’Etat gabonais et ce sont des tailleurs qui le vendent. Ce n’est pas normal. Voilà un autre facteur, celui des effectifs pléthoriques, conséquence de la non exclusion. Vous, quand vous étiez à l’école, le parent savait que quand son enfant était exclu, c’était une honte pour la famille. « Honte à celui qui ne fait pas mieux que son père ». Mais, aujourd’hui, votre enfant fait quatre fois la 5ème ou la 4ème, ça ne vous dit absolument rien, vous allez lui acheter un faux bulletin à la gare routière. Merci au ministre qui a sanctionné et a arrêté cela. Nous nous sommes battus avec le ministre Michel Menga. On n’a pas réussi quand j’étais directeur général. Et aujourd’hui, avec X-gest et notre nouveau ministre de l’Education nationale, les choses vont aller pour le mieux. Il faut prendre des décisions fortes et ne pas reculer. Mais on ne sanctionne pas deux fois en pédagogie. On sanctionne une fois. Et je crois que ce qui s’est passé là, ce qui a eu lieu, a permis de dire aux Gabonais de réfléchir autrement, d’avoir un autre regard dans l’éducation du pays. Nos enfants, ce sont nos enfants. Ce sont les enfants de toutes les familles et ces enfants-là doivent aller à l’école qui ne doit pas être bondée par des gens qui y vont non pas pour étudier, mais pour braquer. Tant qu’on n’arrêtera pas la vente des uniformes par les « Maliens », par n’importe qui, alors il y aura toujours des braquages. On arrivera toujours à ces violences en milieu scolaire que l’on peut stopper si on a le courage comme l’a fait monsieur le ministre. Quand on sanctionne, on ne doit pas reculer. Il ne faut pas reculer. J’avais fait un post là-dessus, parce que, pour moi, il faut revenir aux fondamentaux. On ne peut pas construire un pays sans rigueur. Non ! Si on doit dire aux enfants qu’on va les réorienter, on les réoriente où ? Le lycée technique n’est plus celui d’avant qui pouvait prendre 14 000 élèves. Avant, lorsque nous allions au lycée national ou à Bessieux, il fallait être parmi les meilleurs élèves du Gabon. Aujourd’hui, on fait des listes et ce sont les proviseurs qui sont sanctionnés. Mais derrière les proviseurs, il y a les chefs de quartiers, il y a tout le monde…mais on ne cite pas les contemporains. Moi je crois que si nous voulons refaire le système éducatif du pays, il faut d’abord refaire les états généraux du bac. J’y étais. J’étais vice-président. La plus grosse erreur du Gabon, c’est de faire en sorte que les copies du BEPC soient corrigées dans d’autres provinces, mais le grand bac est du ressort provincial. Ce sont les enseignants qui travaillent, qui sont dans la province, qui corrigent. Il n’y a que le secrétariat et les harmonisateurs qui viennent. Ce n’est pas normal. J’ai fait le bac au lycée national Léon Mba en 1976.
Avant, les copies du Gabon se corrigeaient soit en Centre-Afrique, soit au Congo. Il y a des erreurs que l’on distille en disant que le premier bachelier du Gabon c’était Meye. C’était faux ! C’était Cyr Antchouet. Il avait eu son baccalauréat en 1901. Il était journaliste à Dakar avec son cousin. Ces petites choses, nous les connaissons, parce que nous avons appris certaines choses aussi à l’école.

Toutes ces choses-là, nous devons les combattre. Nous les avons combattues. J’étais directeur général des enseignements et de la pédagogie. Pour être nommé censeur, vous devez d’abord passer huit ans à la craie. Après vous êtes nommé censeur. Mais, aujourd’hui, il y a des gens qui viennent directement de l’Ecole normale supérieure et qui sont nommés. Je crois que cette fois-ci, ce ne sera pas la même chose. Il y a des gens qui sont dans les provinces, qui sont en poste depuis 8, 9, 10 ans avec presque des titres fonciers. Ce n’est pas normal. Quand on a fait 4 ans dans un poste au sein de la même province, on doit être muté. Sinon, les mauvaises habitudes vont s’installer. C’est facile de faire ce que nous voulons. Vous avez des chefs d’établissements, des anciens chefs d’établissements, Memine Mezui, Madame Maloango, Nsa Edamne, Koumba Mouguengui, Ngyuema Ndong…tous ces gens-là connaissent beaucoup de choses. Appelez-les ! Qu’on les appelle ! On ne peut pas prendre des décisions sans appeler ceux-là qui ont le vécu. Nous avons des inspecteurs. Nous sommes le seul pays au monde à faire partir des inspecteurs à la retraite. Ailleurs, je l’ai vu, on les rappelle comme consultants, parce qu’ils connaissent beaucoup de choses et qu’ils doivent partager leurs connaissances aux générations futures. Mais, pour le faire, il faut de bonnes décisions.

Vous venez de le dire tout à l’heure, votre successeur à l’Education nationale, Mouguiama Daouda, a pris des mesures disciplinaires aussi bien envers certains élèves fraudeurs qu’avec certains chefs d’établissements. Tout en saluant son courage, suite à ces mesures, beaucoup estiment que ces mesures sont illégales, pour ne pas dire excessives. Le ministre de l’Education nationale que vous avez été peut-il confirmer ou infirmer de l’illégalité de ces mesures ?

Je sais que vous êtes très intelligent et vous savez que ces mesures sont bonnes. Toutefois, je pense qu’on aurait d’abord dû entendre les concernés. Mais la chose avait trop duré. J’ai toujours travaillé avec les syndicalistes. Je partage leurs points de vue. Mais là, il fallait prendre des décisions. J’ai des documents ici qui accablent certaines personnes. Si vous devez nommer dans une province quelqu’un qui a parcouru tout le chemin de l’éducation nationale, allez le voir, discutez avec lui ! Beaucoup viennent d’ailleurs, mais ici, on a sanctionné certains, mais on n’a pas sanctionné la cohorte. C’est tout le monde qui doit être sanctionné.
Mesures illégales ? Certaines, car aux yeux de la loi, on aurait dû faire ceci ou cela, mais quand on veut frapper un grand coup, on ne regarde plus la loi. Je ne suis pas pour le non-respect des règles juridiques ou de la loi, mais je dis qu’il fallait faire quelque chose.
Vous savez, ce qui ce passe ici à Lambaréné, il y a des classes de 180 élèves dans le public. Et ces élèves-là viennent du privé. Ce ne sont pas les proviseurs actuels qui l’ont fait, mais nous savons bien ceux qui l’ont fait. Nous avons écrit, sauf qu’on n’a laissé les mêmes là et ils vont continuer la mascarade. Non, il faut que tout le monde saute. Les écuries d’Augias doivent être nettoyées. Lambaréné est devenu un marché pédagogique à ciel ouvert. Ce n’est pas normal.
Nous ne pouvons pas nous permettre de soutenir l’action du ministre qui veut que les choses se passent bien. Certes, dans tout ce qu’on fait, il faut parfois une main de fer dans un gant de velours. Il faut savoir décider. Et il a décidé, même si d’aucuns pensent que c’était illégal. Nous devons défendre le Gabon. Nous devons le défendre dans les villes, dans les villages et dans les campagnes, partout où il y a l’école. Vous remarquerez qu’il y a des écoles aujourd’hui, mais où il n’y a personne à cause de l’exode rural. Nous devons revenir aux fondamentaux si nous voulons que l’école marche à nouveau.

Monsieur le ministre, merci.

Je vous en prie ! Moi aussi je vous remercie.

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