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Interview de Raymond Ndong Sima : « Un Premier ministre n’a pas vocation à aller détourner les budgets »

C’est en milieu de matinée du mardi 05 décembre 2022, que l’ancien Premier ministre et notable fang d’Oyem, Raymond Ndong Sima nous a reçu à ses bureaux situés au PK8 (marché bananes). Avec lui, nous avons abordé des sujets liés à la politique gabonaise, à la province du Woleu-Ntem ainsi qu’à sa communauté. Lecture !

 

Mingoexpress : Bonjour monsieur le Premier ministre, comment allez-vous ?

 

Raymond Ndong Sima : Bonjour je vais bien merci.

 

Vous faites l’objet d’attaques des compatriotes originaires de chez. Vous semblez gêner dans le Woleu-Ntem ?

 

Je suis moi-même surpris de ces attaques qui pleuvent d’un peu partout et qui sont apparues à la suite de deux ou trois posts que j’ai publié sur la situation non seulement du Woleu-Ntem, mais sur des sujets d’ordre général. J’avais écrit lorsqu’on a fermé le ministère des Travaux publics, pour poser le problème des budgets, en me demandant, lorsqu’on met le ministre des Travaux publics en difficulté, si on était certain que le Ministère avait bel et bien bénéficié du décaissement des sommes prévues au budget pour les opérations du Ministère. Et j’ai également écrit sur le ministère de la Santé en montrant que d’une façon générale, la situation dans les hôpitaux publics était plutôt mauvaise et qu’on se demandait, là aussi, si vraiment les budgets qu’on alignait étaient décaissés au profit de ces hôpitaux. J’ai eu peut-être tort de poser ensuite un ou deux problèmes concernant spécifiquement le Woleu-Ntem, dont un sur l’agonie de la province. Parce qu’on vit des coupures et des arrêts d’électricité de façon récurrente. Et puis, il y a eu ce problème de la visite du président de la République, qui a été précédée, ce qui est logique, par l’arrivée d’une dizaine de ministres dans la province. Mais j’ai parlé sans langue de bois. J’ai soulevé des questions pertinentes. Oui ou non, le réseau routier du Woleu-Ntem et de la ville d’Oyem est-il mort ? C’est une question simple qui repose sur un fait. Est-ce que oui ou non on vit des coupures permanentes dans la ville. Ça aussi, c’est un autre fait. Est-ce qu’on a construit un établissement au cours des 25 dernières années ? Voilà un autre fait. Et même sur toute la province, a-t-on fait un seul kilomètre de route bitumée en 14 ans ? La réponse est non. Ce sont ces questions qui m’ont valu probablement l’excès de colère de ceux qui se sont lancés dans les interventions qui me mettent en cause.

 

Monsieur Ndong Sima, vous avez été Premier ministre. Il semble que ce qui cause la frustration des vôtres, c’est que le Woleu-Ntem durant votre séjour à la Primature, n’a pas connu un frémissement, même si vous n’étiez pas que Premier ministre du Woleu-Ntem.

 

Vous venez de donner la vraie réponse. Un Premier ministre ne peut pas se permettre de poser les problèmes concernant seulement son canton, son village, sa ville. Il pose les problèmes d’intérêt général. Je donne un exemple. J’ai pris le dossier de la régularisation des situations administratives des agents publics de l’État. C’est un problème qui concernait tous les gabonais de toutes les provinces. C’est cela un Premier ministre. C’est quelqu’un qui aborde des problèmes généraux et qui ne les prend pas pour lui tout seul. Et de deux, lorsque les budgets sont exécutés, un Premier ministre n’a pas vocation à aller les détourner. Ces derniers sont votés à l’Assemblée et ils doivent être exécutés en fonction de ce qui a été voté. Le Premier ministre ne peut pas normalement amener un projet de budget dans lequel il va demander que des faveurs soient faites à son village, à son canton, à sa ville. Le Premier ministre doit poser des problèmes d’intérêt général. Quand on parle des problèmes concernant l’éducation, la santé, d’électricité…ça doit être de façon générale.

 

On constate tout de même que Kango a connu un frémissement lorsque le Dr. Paulin Obame Nguema était à la Primature. Plus proche de vous, on s’accorde à dire que Paul Biyoghe Mba a transformé Bikélé lorsqu’il était Premier ministre. Fougamou est sorti de l’âge de la pierre taillée lorsque Doupambi était ministre des Finances…

 

Très bien. Et vous m’amenez à me poser la question suivante ; ces travaux qui ont été faits par les uns et les autres, comment ont-ils été financés? Est-ce que ce sont des travaux que l’on peut retrouver dans le budget général de l’État approuvé par l’Assemblée nationale. Ou bien ces sont des travaux qui ont été ordonnés et exécutés hors budget et qui contribuent à créer les fameux arriérés que l’État a accumulé vis-à-vis des entreprises ? Ou qui constituent la partie de la dette que l’État a constituée et n’arrive pas à honorer, parce que précisément, ces travaux ne représentaient aucune ligne précise dans ces budgets. Il faudrait se poser ces questions. Je fais remarquer aussi que je suis resté Premier ministre durant 23 mois. C’est-à-dire qu’en réalité, j’ai été là pour un seul budget. Autrement dit, devenu Premier ministre en février 2012, la loi de finances qui a été préparée pour l’exercice 2013, est celle sur laquelle j’ai eu peut-être la possibilité de dire quelque chose. La seconde loi de finances qui a été faite pour l’année 2014, a été exécutée derrière moi. Vous savez que je suis parti en janvier 2014. Et permettez que je relance la question. Si c’est moi qui n’ai pas été capable de faire quelque chose pour la ville d’Oyem, mais Ona Ondo est resté trois ans. Qu’a-t-il fait ? Pourquoi n’a-t-il rien fait ? Vous croyez que c’est parce qu’il ne voulait pas ? Ou bien parce qu’il ne pouvait pas ?

 

Dans un document dont nous avons pris connaissance il y a quelques temps, vous avertissiez que 2023 ne sera pas 2016. Qu’entendez-vous par là ?

 

Je l’ai écrit en janvier de cette année 2022. Je suis tombé malade et je suis allé à l’hôpital. Pendant que je m’y trouvais, quelques personnes se sont amusées à faire deux choses. Elles ont d’abord produit un document y compris un audio qu’on m’a attribué, alors que je n’avais rien à voir avec celui-ci  puisque les auteurs de l’audio se sont par la suite dévoilés. J’ai considéré que ce qui s’était fait en 2016, où je me suis montré particulièrement timide, voire même timoré par rapport à la campagne, n’aurait pas lieu en 2023 et que  je donnerai clairement mon point de vue.

 

Vous serez donc candidat ?

 

On verra bien ! Et j’aimerais dire ceci, en 2016, j’avais préparé un essai sur lequel beaucoup de gens, y compris dans l’opposition, se sont assis. Cet essai s’intitulait « Le temps des choix ». En 2023, ça ne sera pas pareil. Je prendrai le temps de dire les choses suffisamment clairement.

 

Vous avez été au rendez-vous du choix du candidat unique de l’opposition en 2016. Vous vous êtes rétractés par la suite. On vous fait le reproche, à la suite de la présidentielle de 2016, d’avoir chargé les autres à l’arme lourde qu’est-ce qui s’est réellement passé ? Et comment vous retrouvez-vous à l’investiture d’Ali Bongo ?

 

Premièrement, en 2016, j’ai accepté d’aller à la réunion qui parlait de la candidature unique. Je rappelle que de tous les candidats qui étaient en liste en 2016, quatre personnes seulement ont accepté de participer à cette réunion. Il s’agit de Monsieur Guy Nzouba Ndama, de Monsieur Jean Ping, de Monsieur Casimir Oyé Mba et de moi. J’ai donc au départ accepté de jouer le jeu. Les autres ne sont même pas venus. C’est un fait qu’on passe en général sous silence. Nous étions quatre à avoir accepté de prendre part à cette réunion. Mais en réalité avant qu’on aille à ladite réunion, j’avais déjà fait savoir aux différents candidats que j’étais disposé à me retirer. J’ai envoyé à cet effet une lettre dès le 06 août 2016, aux différents candidats, pour leur dire que je me retirai car nous n’avions pas besoin d’être si nombreux. Mais la condition que je posais, c’était que je voulais voir la plateforme des actions qu’on envisageait de conduire pour le futur. En somme je voulais savoir ce sur quoi nous étions d’accord d’agir ? Quel était le diagnostic que nous étions en train de partager ? Et quelles étaient les actions que nous étions disposés à conduire pour mener un certain nombre de réformes dans le pays ? Or, à la fameuse réunion où nous sommes allés, personne n’a voulu parler de cette plateforme programmatique. Ce dont on a voulu parler, c’est de celui qui était le mieux placé parce qu’il avait occupé telle position etc. En procédant de cette manière, on ne pouvait que braquer quelqu’un comme moi. Parce que, même si j’étais disposé à soutenir un candidat, je n’étais pas disposé à donner un chèque en blanc à  personne. Donc je me suis opposé et j’ai décidé, puisqu’on qu’on n’arrivait pas à nous mettre d’accord sur une plateforme minimale, de me retirer pour ne pas être complice de ce que je considérais comme une façon de nous condamner avant même d’avoir commencé à travailler. Notre désaccord n’a pas porté sur le partage des prébendes. Il se dit que certains seraient restés à parler du partage des postes. Je n’étais plus là, lorsqu’ils ont parlé de ça.

Ensuite, oui, je suis allé à l’investiture. Mais je vous fais observer le caractère sélectif du reproche qui m’est fait à ce sujet. L’ambassadeur de France était à l’investiture. Celui de l’Union européenne aussi et celui d’Allemagne etc. Les présidents du Mali et autres étaient à l’investiture. D’autres candidats à cette élection se réclamant par ailleurs de l’opposition y étaient aussi. Pourquoi ne leur fait-on pas ce reproche ?

Il faut rappeler que dans une lutte politique, il n’y a que deux façons de sortir du contentieux. Soit on fait une lutte armée, soit on va à un dialogue politique. J’ajoute pour terminer que moi qui étais partisan du dialogue, je ne suis pas allé au dialogue d’Angondjé. Et lorsque le président m’a demandé de participer à la cérémonie d’investiture, il a également promis qu’il ferait un dialogue et c’est ce qu’il a annoncé dans son discours d’investiture. Donc j’étais bien à ma place à cette cérémonie d’investiture.

Enfin, je terminerai sur cette question par un rappel. Si vous relisez toute la presse de l’époque, vous verrez que l’opposition disait avoir le soutien de 7 des 9 juges de la Cour constitutionnelle. On peut encore trouver ces déclarations sur internet. Mais le jugement a été prononcé à l’unanimité des juges. Il n’est pas par ailleurs inutile de rappeler que l’investiture, c’est une sentence. Qui a porté plainte à la Cour ? Moi j’étais candidat. Ai-je porté plainte pour moi au contentieux postélectoral ? Non, car je considérais que la Cour ne serait pas capable de me donner satisfaction, car je voyais comment elle m’avait traité au contentieux pré-électoral, je me suis dit qu’il ne servait à rien de la saisir à nouveau pour un contentieux post-électoral. Or ce sont ceux qui l’ont saisi qui ensuite me font à moi le reproche d’être allé écouter une sentence et ses conséquences.  Il y a là une forme d’hypocrisie et un motif superficiel de me faire un reproche. Oui je suis allé à l’investiture parce que je suis un républicain et je crois que ceux qui ont porté plainte devant la Cour auraient dû avoir le courage de dire : nous avons porté plainte et nous devons assumer le jugement de la Cour.

 

Pour venir à bout d’une dictature, il faut une des deux choses, les armes ou le dialogue. Sauf que la dictature familiale en poste au Gabon est restée fermée à toute idée de dialogue. Vous les opposants restés accrochés à la vérité des urnes. N’y-a-t-il pas là une contradiction ?

 

Il faut aller aux urnes. Je pense que les armes sont une voie ultime. Extrême. Et la plupart des pays qui ont fait l’expérience des armes, ont payé un lourd tribut. Je fais observer, qu’en 2016, si vous prenez la province de l’Estuaire, 47 % des électeurs ont voté. 53 % sont restés assis à la maison en disant, ça ne sert à rien. Si vous prenez la province de l’Ogooué-Maritime, sur 100 personnes, 43 sont allés voter et 57 sont restés à la maison en disant ; on ne va pas voter, ça ne sert à rien. Lorsque les résultats ensuite, donnent ce qu’ils donnent, l’opposition est choquée et découragée. Il faut garder à l’esprit que 100 % des partisans du parti au pouvoir prennent part au vote. Avant d’aller vers des solutions extrêmes, il faut d’abord qu’on fasse le plein des voix. C’est pour cela qu’il est capital que les citoyens s’enrôlent et participent au vote. C’est quand on aura saturé le niveau de participation au vote, que nous pourrons-nous dire ; il n’y a vraiment plus d’autre solution, il faut aller vers autre chose. Je connais des gens qui ont appelé au boycott, à ne pas s’enrôler sur les listes électorales et quelques temps plus tard, ont présenté un candidat à l’élection présidentielle de 2016.

Pour 2023, que je sois candidat ou pas, et c’est la partie du débat citoyen sur laquelle je vais m’engager et dire aux citoyens qu’ils doivent s’enrôler. Mandela a fait 25 ans de prison, pour avoir le droit de voter. Et nous, nous considérons ce droit comme quelque chose de banal. Il faut s’enrôler et voter. Et c’est pour cela que la question de la carte d’identité est capitale. Nous nous trouvons dans un pays où, il est plus facile de se faire établir une carte de séjour que de se faire faire une carte d’identité nationale. Voilà un vrai problème.

 

Vous êtes membres d’une communauté qui est installée dans cinq des neuf provinces du Gabon. On note depuis 2009, un fléchissement de l’élite fang à laquelle vous appartenez. Quel est votre point de vue là-dessus ?

 

Mais je l’ai dit je le répète clairement. Je considère que nous avons été des faire-valoir. Depuis un certain temps, si on prend le Woleu-Ntem les originaires de cette province se sont retrouvés à des postes un peu pour teinter la sauce, sans aucune voix réelle au chapitre. Ils ne participent pas réellement à la décision qui se prend sans eux. Si tel n’avait pas été le cas, ils auraient été mieux servis. Et il y a, au sein de notre communauté, beaucoup de cupidité à l’heure actuelle. Avant d’aller jeter la pierre à d’autres, nous devrions commencer par faire le ménage chez nous et nous interroger sur nos comportements. Les choses qui faisaient les valeurs de notre communauté, par exemple, le respect des aînés, le courage, le sens de la dignité et de l’honneur, l’excellence, l’effort l’intégrité etc. toutes ces choses-là ont volé en éclats. Quand on a eu, il y a trois ou quatre ans, les dérives de certains groupes de jeunes, nous avons vu comment les nôtres se sont engouffrés dans la brèche avec beaucoup de verve, parce que c’était un domaine dans lequel on pouvait exceller dans l’outrance, l’invective, dans le déni de l’effort et de la valeur d’un individu. On n’a vu des jeunes et de moins jeunes qui n’avaient travaillé nulle part bomber le torse et s’afficher avec de grosses voitures, des maisons imposantes sans pouvoir dire comment ils avaient eu ces biens. Et beaucoup de nos jeunes ont versé dans ces dérives. Alors, quand vous me posez la question comment je vois la situation de ma communauté, je dis oui nous sommes marginalisés. J’ajoute que nous nous sommes quelque part mis dans une situation de faiblesse par nos propres attitudes et notre détermination à faire voler en éclats les valeurs sociales de base. Donc oui, il y a nécessité d’adresser ces questions franchement et de s’interroger sur cette façon de faire aujourd’hui où tant de personnes se laissent aller à des comportements honteux qui entachent toute la communauté, se livrent à des déclarations intempestives et surprenantes au seul motif qu’ils veulent apparaître comme des soutiens forts du président de la république. Mais le sont-ils seulement ?

 

Votre mot de la fin.

 

Je suis content que vous m’ayiez donné l’occasion de parler franchement de toutes ces questions, parce que très souvent, la presse ne me donne pas vraiment la parole. Je vous remercie de m’avoir permis de m’exprimer sur un certain nombre de problèmes d’actualité. J’espère que vous jouerez votre rôle à l’approche des prochaines élections. On a souvent constaté que les journaux ne sont pas dans leur élément. C’est vous qui devez soulever les vraies questions pour éviter de faire d’une élection, un débat sur les personnes. C’est ce que j’ai reproché à celui qui a publié le libre propos dans votre journal la dernière fois. Je n’ai jamais écrit le moindre petit mot contre la personne d’Ali Bongo, ni contre sa famille, encore moins sur ses frères et sœurs. Mais quelqu’un de ma communauté vient, pour me porter la contradiction, m’attaquer si lâchement en parlant des problèmes de famille dans un exposé laconique délibérément biaisé qui m’obligerait, pour lui répondre à étaler les dessous de ces problèmes.

La méthode est méprisable. Le rôle des journaux, c’est d’aider à débattre des diagnostics, des solutions qui sont proposées pour que les citoyens puissent choisir, parmi la gamme des solutions, celles qui sont les plus solides. Si vous ne jouez pas ce rôle, vous contribuerez à aider les politiques, qui en ont besoin à noyer le poisson dans l’eau.

 

Je vous remercie.

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