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L’article 13 face au pouvoir de la Cour constitutionnelle

Professeur d’université et haut cadre de l’Union nationale, le Professeur Raphaël Bandega-Lendoye Docteur en Droit, n’est plus à présenter, car il fait partie des dignes fils du Gabon dont on peut en être fier. C’est donc à raison que Jean Claude André Mba Obame va le nommer Premier ministre de son gouvernement dit insurrectionnel de l’époque aorès la présidentielle usurpée de 2009. Dans cette cette tribune, il revient sur la récente modification de l’article 13 de la Constitution par la Cour constitutionnelle.

La décision n° 219/CC du 14 novembre 2018 reformulant l’article 13 de la Constitution par l’adjonction d’un nouvel alinéa qu’elle a appliqué immédiatement à l’instance en cours a suscité un véritable tollé. C’est peut-être pour cela que son président, l’inamovible Marie Madeleine Mborantsuo s’est répandue dans la presse pour assurer sa défense. Elle articule celle-ci autour du pouvoir régulateur conféré par l’article 83 de la constitution lui permettant de veiller au bon fonctionnement des institutions et des articles 88 de la Constitution complété par l’article 60 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle qui lui donnent le droit d’interpréter la Constitution et les autres textes à valeur constitutionnelle. Ces pouvoirs lui seraient octroyés pour faire face aux situations que le constituant ou le législateur n’a pas envisagées au moment de l’adoption de la norme.
Cette perception de son rôle interpelle tant elle le dépeint sous le prisme d’un miroir déformant. La Cour intervient dans le fonctionnement normal des institutions pour constater la réunion des conditions d’application d’une norme ou la mise en œuvre d’une situation juridique. Ce n’est donc pas toujours le pompier de service qu’elle veut dépeindre et qui se dévoue chaque fois pour sauver les institutions. Cette déformation de la réalité est une des marques de la communication de la Cour constitutionnelle notamment dans sa perception de son pouvoir d’interprétation de la Constitution et son pouvoir régulateur des institutions et des pouvoirs publics.
Le pouvoir d’interpréter la Constitution dévolu à la Cour constitutionnelle est une prérogative normale, presque banale, dévolue à une juridiction spécialisée en matière constitutionnelle. Il est comparable au pouvoir d’interprétation reconnu à d’autres juges dans leurs domaines de compétence respectifs. Ce n’est que le prolongement normal de leur vocation à appliquer la règle de droit et de la nécessité de l’adapter aux différentes situations concrètes, diverses et variées, qu’elle est appelée à régir mais que le législateur ne peut pas viser expressément toutes dans le détail.
Pour tout juge comme pour la Cour constitutionnelle, le pouvoir d’interprétation est un pouvoir subordonné à la lettre du texte. Il oblige le juge à se préoccuper d’abord du contenu du texte et à rechercher par une analyse littérale de ses termes ce que le texte dit ou ce qu’il a voulu dire. Cet examen permet de restituer la volonté du législateur. C’est seulement lorsque cette analyse grammaticale et logique du texte ne convient pas à l’espèce que le juge peut l’adapter pour mieux s’appliquer à la situation ou au contexte en examen.
Or, dans son analyse de l’article 13 de la Constitution la Cour constitutionnelle ne s’embarrasse pas d’une analyse grammaticale ou logique. Elle considère que ce texte ne règle que «… des situations où la fonction concernée reste définitivement sans titulaire … » et que « …l’indisponibilité temporaire du titulaire de la charge de Président de la République n’a pas été prévue par ledit article 13 ». Or la simple lecture de l’article 13 révèle que la Cour donne de ce texte une interprétation qui n’est pas conforme à son contenu.
En effet, la Cour restreint le champ d’application de l’article 13. Ce texte régit deux situations distinctes qui sont visées au début : il s’agit de la vacance de la présidence de la République et de l’empêchement définitif du titulaire de la charge de président de la République. Ces deux situations sont différentes et ne se confondent pas dans la langue des juristes : la vacance vise la fonction, alors que l’empêchement définitif vise la personne qui exerce la fonction. La conjonction de coordination qui les relie permet de montrer que le législateur les distingue bien et ne les soumet pas l’une à l’autre. Ensuite, la vacance est réalisée pour quelque cause que ce soit, c’est-à-dire chaque fois que la fonction est affectée dans son déroulement quel qu’en soit le fait générateur ni sa durée dans le temps ; alors que l’empêchement doit être définitif c’est-à-dire irrémédiable et irréversible.

Dès lors, on peut dire que si la lettre de l’article 13 de la Constitution ne prévoit pas expressément le cas de l’indisponibilité momentané du titulaire de la charge de président de la République, il convient parfaitement à cette hypothèse puisqu’il s’agit d’un cas de vacance de la présidence de la République comme visé dans l’article 13.

Ensuite l’assimilation de la vacance à l’empêchement définitif par la Cour en raison de leur finalité qui est de conduire à la désignation d’un successeur ne prend pas en compte la notion de force majeure. En effet, celle-ci est précieuse surtout en matière de vacance pour rompre la relation avec la mise en œuvre des procédures de désignation du successeur du titulaire de cette fonction vacante. Dans notre cas, l’état de santé du titulaire de la charge de président de la République et l’incertitude du délai de son rétablissement qui sont à la base de la vacance de la fonction et de l’indisponibilité temporaire du titulaire de la charge de Président de la République remplissent bien les conditions d’existence de la force majeure.

La vacance peut donc durer tant que dure l’indisponibilité du titulaire de la charge de président de la République sans nécessiter la désignation d’un successeur alors que le constat d’un empêchement définitif conduit de manière inéluctable vers cette désignation même si le délai d’organisation de l’élection du nouveau Président de la République peut aussi être affecté du fait d’un cas de force majeure.

L’interprétation de l’article 13 qui distingue la vacance et l’empêchement définitif comme deux situations différentes permet de mieux répondre aux préoccupations exprimées par la saisine du Premier Ministre. Elle offre l’avantage de recourir à une autorité intérimaire qui est prévue par ce texte même et qui dispose des pouvoirs suffisamment larges pour assurer un fonctionnement normal de la présidence de la République sans perturbations du travail gouvernemental jusqu’au retour éventuel du titulaire de cette charge. En effet, le Président du Sénat est désigné par l’article 13 comme intérimaire normal aux fonctions de président de la République avec les attributions constitutionnelles les plus larges. Cela indiquait de conseiller la déclaration de vacance de la présidence de la République pour mieux répondre aux préoccupations exprimées par la saisine.

L’interprétation de l’article 13 qui distingue la vacance de l’empêchement définitif montre bien que l’article 13 ne comporte aucune ambiguïté ni obscurité.

Elle permet aussi de découvrir que le constituant gabonais s’est préoccupé dans ce texte de régir toutes les circonstances susceptibles de troubler le fonctionnement de cette institution qui a un rôle central dans l’édifice institutionnel gabonais. C’est ce qui permet de comprendre la permanence de la formulation du début de ce texte depuis sa version originelle de la loi 3/91 du 26 mars 1991.
L’adjonction d’un alinéa supplémentaire à l’article 13 par la Cour ne relève pas du pouvoir d’interprétation reconnu au juge constitutionnel. Aucune disposition juridique applicable à la Cour constitutionnelle ne lui donne le droit d’exprimer son pouvoir d’interprétation en modifiant directement le texte juridique qu’il est chargé d’interpréter. Elle ne peut pas ajouter le moindre mot ni la moindre ponctuation au texte qu’il applique car cela correspondrait à le modifier. La modification de la Constitution est de la seule compétence du législateur ou dans des cas plus rares du peuple souverain. La Cour n’a pas non plus l’initiative de la révision. L’article 116 de la Constitution a toujours réservé celle-ci au président de la République, le conseil des ministres entendu et aux membres du parlement. Le fait pour la Cour d’adjoindre un alinéa supplémentaire à l’article 13 est une violation très grave de la Constitution et une atteinte intolérable et inadmissible à la séparation des pouvoirs.

Cette adjonction qui est déjà inadmissible dans son principe, est encore plus condamnable dans son contenu : « En cas d’indisponibilité temporaire du Président de la République pour quelque cause que ce soit, certaines fonctions dévolues à ce dernier, à l’exception de celles prévues aux articles 18, 19 et 109, alinéa 1er , peuvent être exercées, selon le cas, soit par le Vice-président de la République, soit par le Premier Ministre, sur autorisation spéciale de la Cour constitutionnelle saisie par le Premier Ministre ou un dixième des membres du Gouvernement, chaque fois que nécessaire. »

L’analyse de cette adjonction permet de remarquer qu’elle ressemble à un cas de vacance temporaire, ce qui permet de contester son utilité. Elle frappe aussi par sa complexité, son caractère répétitif, sa dangerosité et la mise sous tutelle des autorités de la vacance vis-à-vis de la Cour constitutionnelle. Chaque fois qu’il faut recourir à une compétence constitutionnelle du Chef de l’Etat, une autorisation de la Cour est nécessaire sur demande des autorités habilitées. Est-ce qu’il est possible que la même compétence soit exercée un jour par le Premier Ministre, l’autre par le Vice-président ou ne peut-elle être exercée que par la même autorité chaque fois que nécessaire? Si cette compétence est accordée à la même personnalité, pourquoi alors chaque fois obtenir une autorisation spéciale de la Cour ? La mise en œuvre de cette adjonction oblige-t-elle la Cour à se conformer aux lois dans sa ventilation des attributions du Président de la République ?
On voit donc que l’adjonction introduite par la Cour ne permet pas de désigner un intérimaire comme c’est l’objet de l’article 13. Elle fait de la Cour le centre du mécanisme qu’elle promeut sans fluidifier le fonctionnement de la présidence de la République, mais avec des risques prononcés d’atteinte à la solidarité gouvernementale et à la cohésion de l’équipe gouvernementale. Elle porte aussi atteinte à l’autorité du Premier Ministre sur les membres de son gouvernement. On peut même dire qu’en s’arrogeant le pouvoir de contrôler la ventilation des fonctions du Président de la République en cas d’indisponibilité temporaire, la Cour gère la vacance de la présidence de la République et que c’est elle qui est en fait, le véritable Chef de l’Etat pendant cette période. Ce qui est contraire à l’article 13.
Sur les autorités chargées de la saisine, on s’interroge pourquoi avoir habilité un dixième des membres du Gouvernement ? N’est-ce pas un facteur de remise en cause de l’autorité du Premier Ministre, de la solidarité gouvernementale et un risque pour la stabilité du Gouvernement pendant une période aussi sensible ?
On voit donc que sous des dehors anodins d’une adaptation de l’article 13 à un cas prétendument imprévu d’indisponibilité temporaire, l’adjonction anticonstitutionnelle d’un alinéa à l’article 13 cache en réalité le refus de déclarer la vacance et d’en confier la charge au président du Sénat, une mise sous tutelle des autorités chargées de conduire l’intérim et une prise du pouvoir de la Cour par le contrôle qu’elle aménage à son profit sur l’exercice des attributions du président de la République. Cela est une perversion du pouvoir d’interprétation qui est accordé au juge constitutionnel dans l’intérêt de la loi, pour en faciliter l’application et non de la modifier.
Cette perversion est dangereuse surtout si elle s’ajoute à l’effet normal des décisions de la Cour constitutionnelle de s’imposer à tous et de s’appliquer sans recours.

Par cela seul, une décision aussi grossièrement illégale et anticonstitutionnelle produit des effets juridiques sans qu’aucun mécanisme juridique ne contraigne la Cour au respect de la loi.

Elle donne même à la Cour, la possibilité de répéter ses errements puisque c’est par elle que devront passer les autorités compétentes pour toute autre procédure nécessité par cette période d’incertitude sur l’aptitude de celui qui a la charge de Président de la République à exercer ses fonctions. La Cour ne peut donc pas se défendre en invoquant caractère conjoncturel de sa décision qui ne répondrait qu’à une question ponctuelle. Elle est une récidive de ce qu’elle a déjà fait en avril dernier en réécrivant trois articles de la Constitution sans se souvenir de la désapprobation que cela a suscité. Elle se prévaut d’un droit à violer la Constitution qu’elle tire d’une mauvaise perception de ses pouvoirs constitutionnels qui aboutit à une perversion de la Constitution.
Si la décision de la Cour ne peut relever de son pouvoir d’interprétation de la Constitution, il est tout aussi contestable qu’elle repose sur le pouvoir régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics.
Mais à bien y regarder, la conception que se fait la Cour de ce pouvoir est discutable tant elle comporte les germes de déformation dont elle est coutumière. En effet, un tel pouvoir ne confère en rien à la Cour des prérogatives exceptionnelles et sans contrôle sur le fonctionnement et l’activité des pouvoirs publics qui lui donneraient le droit de ne pas se préoccuper des lois régissant ces secteurs. Le pouvoir régulateur n’est pas non plus un pouvoir législatif, ni un pouvoir réglementaire qui relèvent d’autorités compétentes bien définies et ne permet pas à la Cour de s’y substituer. Le pouvoir régulateur doit s’entendre de l’aptitude qui lui est conféré d’éviter des conflits de compétences et d’interpréter les textes applicables dans ces différents domaines. Dans quelques rares cas, il faudra pallier les insuffisances de la loi.

Dans tous les cas, le pouvoir régulateur est une compétence d’attribution consentie à un juge et qui s’exerce en vue d’appliquer la loi et non une licence lui offrant un pouvoir sans limites.

Dans ce cadre, ce pouvoir régulateur ne peut pas justifier l’application immédiate d’une disposition ajoutée par la Cour à un texte constitutionnel, législatif ou réglementaire. Cela correspondrait à donner effet à la violation d’une disposition illégale. Le pouvoir régulateur devrait obliger la Cour à éviter le blocage dans le fonctionnement des institutions et des pouvoirs publics.
Par quelque bout qu’on la prenne, la décision de la Cour est illégale. Elle n’aurait donc pas dû s’appliquer. Or cela s’est fait. Cela est dû à l’effet mécanique de l’article 92 de la Constitution qui rend chacune de ses décisions sans recours et opposables à tous. C’est ainsi que s’appliquent certaines d’entre elles qui violent la Constitution. Cela est intolérable. L’applicabilité des décisions même anticonstitutionnelles font de la Cour la véritable clef de voûte des institutions et l’âme damnée d’un véritable pouvoir politique d’autant plus abusif qu’il est sans contrôle et sans contrepoids.
La décision n° 219/CC révèle également l’aptitude de la Cour à modifier la constitution sans passer ni par le parlement, ni par un référendum. Pour ceux qui en douteraient, elle indique qu’elle peut être le siège d’un pouvoir d’exception qui est redoutable en raison de sa capacité à imposer son interprétation de la Constitution et sa perception du fonctionnement des institutions et des pouvoirs publics. Sous ce prisme, elle peut donc cumuler un pouvoir constituant, un pouvoir exécutif et un pouvoir judiciaire d’autant plus redoutable qu’elle est l’interprète privilégié de la Constitution dont les décisions s’imposant à tous, sont sans recours. La vacance actuelle de la présidence de la République doit donner l’occasion à chacun d’une anamnèse et d’une évaluation des institutions qui doit permettre d’asseoir notre démocratie sur un équilibre des pouvoirs qui interdise qu’aucune d’entre elles ne puisse en abuser.

Raphaël Bandega-Lendoye
Docteur en Droit.

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