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Mémorandum : Opération tonneau des danaïdes

Juillet 2018

La Nouvelle République

Cabinet du Président Jean Ping

 

Dès 2009, c’est-à-dire aussitôt après l’arrivée au pouvoir des « émergents », une véritable et abondante pluie d’argent est tombée dans les caisses de l’Etat en raison, principalement, de la multiplication par cinq (5) des prix du pétrole.
Qu’a-t-on fait de cette manne historique ? A-t-on investi dans le social en construisant, par exemple, des écoles, des dispensaires, des logements, etc. ? Chacun sait que c’est NON.
A-t-on investi, à l’instar de nos voisins, dans l’économique en construisant, par exemple, des routes, des ports, des barrages hydro-électriques, des voies ferrées, etc. ? Chacun sait que c’est NON.
Pour mémoire, le Congo Brazzaville a construit 7 000 km de routes en 7 ans. Le Gabon en a construit 3 500 en 50 ans. Le même Congo Brazzaville a construit un aéroport ultra-moderne à Brazzaville, un aéroport moderne à Oyo et modernisé le port en eau profonde de Pointe-Noire. Dans le même temps, le Gabon n’a fait que fermer le port en eau profonde de Port-Gentil. La Guinée Equatoriale s’est couverte d’autoroutes, de ports et d’aéroports modernes, de villes nouvelles (Sipopo). Rien de semblable au Gabon.
On a plutôt utilisé notre manne d’abord pour casser. Pour casser des palais, comme celui de la cité de la Démocratie ou encore le palais des hôtes de marque ; casser des hôpitaux comme Jeanne Ebori ; casser même le propre château bunker d’Ali lui-même situé au quartier « Gros-Bouquet »…, une véritable furie s’était alors emparé de cet « enfant-là ».
On a aussi, dix (10) ans durant, utilisé cette manne pour caser. Caser, selon les différents portes-paroles du gouvernement, « des militants et la parentèle…grassement payés,… dont certains d’entre eux ne traitaient aucun dossier, ne disposaient même pas de bureau et ne rencontraient jamais leur patron » (cf. l’union du lundi 25 juin 2018). Il s’agissait alors de caser des copains et des coquins du monarque qui, selon la presse, trafiqueraient des postes budgétaires au ministère des Finances.
On a aussi utilisé cet argent pour financer des éléphants blancs comme, par exemple, la « baie des rois » que chacun peut observer en empruntant le boulevard du bord de mer. La liste, qui n’est pas exhaustive, est longue, très longue. Mais à qui donc la faute, peut-on se demander ? Doit-on imputer à toute une nation les turpitudes d’un seul homme ?
Ali Bongo et ses amis doivent-ils continuer à faire subir aux Gabonais les méfaits de leur incompétence et de leur légèreté criminelle ?

Décryptage

Le régime vient d’annoncer, sans consultation aucune, ni des forces vives de la Nation (syndicats, société civile, ONG, etc.…) ni des vrais responsables élus du peuple, une série de mesures qui interpellent tous les Gabonais.
Ces mesures sont annoncées sous le prétexte du programme en cours avec le FMI. En effet, l’adoption de ces mesures a coïncidé avec la présence d’une mission du FMI sur le sol national. En réalité, le Gabon vit dans une crise ouverte avec l’arrivée d’Ali Bongo en 2009, crise aggravée d’une année à l’autre par la mauvaise gouvernance qu’il a imposée et le vandalisme d’Etat qu’il pratique au quotidien.

L’idée centrale de ce mémorandum est de souligner :
– que Nous rejetons l’entière responsabilité des mesures annoncées et de la situation actuelle sur le régime en place ;
– que Nous ne saurions rester indifférents au triste sort de nombreux Gabonais visés par ces décisions ;
– que la concertation a été purement et simplement ignorée alors que la nature des mesures annoncée l’imposait.

Le présent mémorandum :

• rejette les explications tendant à imputer la crise sans précédent que connaît le pays aux seuls défis liés à la baisse du prix du pétrole. Il met l’accent sur les causes profondes de la crise généralisée que vit le Gabon ;
• explore la possibilité d’options politiques alternatives à celles qui sont imposées aujourd’hui aux Gabonais.
Les éléments négatifs de la conjoncture extérieure ou les accords avec les institutions internationales comme le FMI sont assez souvent mis en avant pour expliquer la situation économique et sociale calamiteuse du moment.
A cela s’ajoute l’argument de l’état de dégradation de la situation financière. Il s’agit là, à la vérité, d’arguments de pure commodité qui cachent la mauvaise gouvernance du régime actuel.
Les Gabonais eux-mêmes savent, parce qu’ils le vivent douloureusement, à quel point la corruption et la mauvaise gouvernance se sont aggravées ces dernières années.
Le niveau atteint en 2018 par la dégradation morale, politique, économique, financière et sociale est le résultat d’une évolution qui a commencé dès 2009 alors que, dans le même temps, on assistait à une augmentation historique et continue des recettes de l’Etat entre 2010 et mi-2014.

L’afflux des recettes

Aussitôt après la prise du pouvoir par le régime, le Gabon a en effet engrangé des recettes considérables grâce à la montée record du cours du baril de pétrole (d’à peine 25 à 120 dollars) sur le marché international.
Au total, de 2009 à 2017, l’Etat a enregistré un niveau global de recettes de 16 643 milliards de Fcfa, soit une moyenne de 1 849 milliards de Fcfa par an. Sans omettre les produits des divers redressements fiscaux et de cessions d’actifs évalués à plusieurs centaines de milliards de nos francs (Addax, Total, Shell, Perenco, etc.) Il est fondé de s’interroger sur la destination de ces ressources.
Les revenus pétroliers n’ont pas servi, comme c’est le cas dans les pays où prévalent les bonnes pratiques, ni à favoriser l’épargne ni à mettre le pays à l’abri des déficits, ni à assurer le financement de projets de développement national ou encore améliorer la qualité de la dépense publique, sinon la vie des Gabonais.
A défaut de faire de tels choix au bénéfice de la population et du pays, on a assisté plutôt à la multiplication de décisions hasardeuses qui se sont traduites par la dilapidation des recettes, notamment celles d’origine pétrolière. Des choix inopportuns ont été opérés qui ont débouché sur l’augmentation brutale des dépenses de l’Etat.
Les Gabonais savent où sont passés l’argent et la richesse du pays :
– constitution d’un parc automobile de grand prestige (Rolls-Royce, Maybach, Porsche, Ferrari, Bentley…) ;
– collection d’aéronefs (Boeing 777 en tous points comparable au « Air Force One » du président américain, Jet pour son épouse, Grumann, etc.) ;
– acquisition d’hôtels particuliers en Europe, aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde entier ;
– déplacements incessants et coûteux à l’étranger, à travers le monde sans retombées positives pour le pays ;
– multiplication de projets lourdement financés et qui, sur le terrain, sont soit inexistants, soit inachevés ;
– non respect du sacro-saint principe de l’unicité de caisse (Trésor public) en faisant illégalement verser chaque année directement au ministre du Pétrole 20 milliards de francs cfa de bonus pétroliers.

Comment comprendre, par exemple, l’obstination du régime à engager le pays dans l’organisation d’évènements sportifs au coût aussi faramineux que la Coupe d’Afrique des Nations en 2017 alors que l’économie et la société gabonaises subissaient déjà, de plein fouet, les effets désastreux du retournement du marché pétrolier et après qu’on avait déjà abrité une manifestation semblable avec la Guinée Equatoriale en 2012 ?
Dans l’ensemble de ces dossiers, celui de la Can est un véritable cas d’école : combien a coûté la Can 2012, par exemple : 400 milliards ou plus ? Quel est le coût cumulé des deux compétitions ? La somme de 863 milliards a été avancée.

Comment justifier les écarts entre les inscriptions budgétaires, les engagements, les décaissements et les réalisations sur le terrain ? Qui a rendu compte de ces financements qui n’ont jamais connu de réalisations ? Ce sont autant de zones d’ombre, surtout que les mêmes pratiques se vérifient encore lors de la Can 2017.

L’organisation de la Can 2017 est intervenue après la chute du prix du pétrole et la baisse des recettes de l’Etat. Cela n’a pas empêché le régime de lancer un emprunt sur le marché, alimentant ainsi la spirale de l’endettement.
Il y a lieu de citer aussi, à titre illustratif, le cas de la « Baie des rois », véritable éléphant blanc sorti de l’esprit « d’illuminés », sans oublier les multiples agences budgétivores logées à la présidence (ANGTI, Ageos, etc.).

A l’évidence, les priorités du régime sont ailleurs. Malheureusement cela s’est fait au détriment des besoins pressants de la population, notamment dans des secteurs comme l’éducation, la santé, le logement, les routes et autres équipements collectifs.
Enfermé dans cette logique folle, le régime a fait du Gabon un véritable tonneau des danaïdes, l’enfonçant dans une spirale de dépenses pharaoniques, de déficits budgétaires abyssaux et dans un cercle vicieux d’endettement.

L’explosion des dépenses

Sur la période 2009-2017, les dépenses de l’Etat ont totalisé un montant de 17 147 milliards, avec une croissance moyenne de 7,4 % l’an ; taux nettement supérieur à l’évolution des recettes, condamnant ainsi le pays à avoir recours à l’endettement.
Face à la crise économique en cours et dans le cadre des consultations avec les partenaires, notamment le FMI, le régime fait porter la charge des contre-performances budgétaires et financières sur les dépenses de personnel.
Les charges du personnel ont certes progressé et représentent 30,2 % du total des dépenses en moyenne. Mais à qui la faute ? L’explication reposant sur le simple lien avec les effectifs des personnels paraît commode. Elle sert, en fait, à masquer le brutal abandon des principes de la bonne administration qui régissent les recrutements et les traitements des personnels de la fonction publique.
Les statistiques montrent qu’un accroissement brusque et très élevé des effectifs s’est produit dès la première année de la prise de pouvoir. D’un effectif de 63 895 agents en 2010, on est passé à 72 938 un an plus tard, puis 81 151 en 2012 pour franchir le seuil de 90 000 (90 187) agents en 2016.
Au total, entre 2009 et 2016, la variation des effectifs de la main-d’œuvre statutaire enregistrée est de 53,44 %. Quant à la main-d’œuvre non permanente (Monp), au nombre de 6 248 en 2016, elle a progressé de 36,63 % sur la même période.
Ces recrutements, aussi volumineux qu’imprévus, répondaient-ils aux besoins réels de la fonction publique et aux critères en vigueur dans l’administration ? Bien sûr que non, puisque, selon les aveux même du gouvernement, « toutes ces personnes étaient grassement payées. Surtout que certaines d’entre elles ne traitaient aucun dossier, ne disposant même pas de bureaux et ne rencontrant presque jamais leur patron…la pratique, dans une certaine mesure, ne servant plus qu’à caser les militants et la parentèle » (cf. l’union du lundi 25 juin 2018).
Ces dysfonctionnements sont la conséquence de l’improvisation et de pratiques irrégulières telles que : favoritisme, violation délibérée des règles de la fonction publique, absence de la planification, opacité, etc. En lui-même, l’accroissement numérique a une répercussion automatique en termes de coût budgétaire.
Une fois recrutés au mépris des dispositions des statuts régissant les différentes catégories des personnels, nombre de ces agents ont sans doute bénéficié aussi de soldes ou autres traitements qui ont pu gonfler la masse salariale.
Il en est ainsi quand on fait bénéficier des personnels de salaires ou primes versés au titre du décret 12 du 28 janvier 2010 relatif aux fonctions politiques alors qu’ils relevaient du décret 589 du 11 juin 1997 relatif aux emplois civils. Il est évident qu’une confusion de ce genre est un facteur insidieux de gonflement de la masse salariale.

Quelle est la part de telles pratiques dans le gonflement de la masse salariale dénoncée aujourd’hui par des pompiers pyromanes ?

Ces pratiques ont certainement été démultipliées au moment de la mise en place du nouveau système de rémunération lancé dans un contexte de totale confusion, de crise du dialogue social et de surenchère aux primes et augmentations diverses de revenus de la part des différentes corporations de l’administration.
Les conditions de conduite de cette pseudo réforme auraient mérité une évaluation, car elles ont généré un coût dont l’ampleur reste inconnue.
L’incidence sur les finances publiques ne saurait être niée. En revanche, ce qui est en cause, c’est à la fois l’irresponsabilité, l’amateurisme et l’opacité qui ont recouvert ces dérives coûteuses.

En effet, le poids sur le budget de l’Etat transparaît clairement. En 2016, la charge supportée par le budget s’élevait à 646 613 497 832 Fcfa, au titre des personnels statutaires.
Depuis 2009, ce coût a augmenté de 96,12 %. Les charges correspondant à la main-d’œuvre non permanente (Monp) ont atteint 12 368 730 383 Fcfa. La progression entre 2009 et 2016 est de 98,2 %.
Les mesures annoncées avec la même légèreté que les décisions qui ont conduit le pays à la ruine touchent une population déjà victime d’un chômage dévastateur et d’une misère généralisée.
Alors que les conditions de vie actuelles sont accablantes comme on le sait, ces mesures assombrissent davantage l’avenir en raison des implications sur le futur du pays. Le niveau d’endettement (plus de 64 % du PIB) représente en effet une hypothèque sur les générations futures.

Un endettement galopant

Faute d’avoir su gérer les recettes publiques, alors que le pays connaissait une conjoncture favorable, le régime en place s’est enfermé dans un cercle vicieux en recourant de plus en plus à l’endettement pour financer un déficit devenu chronique.
Entre 2009 et 2017, les ressources d’emprunt ont progressé de 149 % en moyenne. En 2015, le plafond de 1 067 milliards de Fcfa a été franchi. La hausse de l’endettement se poursuit ainsi depuis 2013, avant le retournement de la conjoncture pétrolière.
Et la même question revient comme un leitmotiv : mais qui donc paiera ? Et au nom de quoi les générations actuelles et nouvelles doivent-elles payer pour l’irresponsabilité d’un clan qui ne rend de comptes à personne et abuse autant les populations que les partenaires internationaux (FMI, UE, etc.) ?

Conclusion

Ali Bongo continue de s’accrocher au pouvoir alors que tout montre sait qu’il a échoué. Le Peuple ne s’est pas trompé en le rejetant en août 2016. C’est pourquoi Nous réaffirmons avec force que la seule issue pour sortir le Gabon de ce chaos est le départ immédiat et sans condition d’Ali Bongo, conformément à la volonté exprimée par le peuple gabonais au soir du 27 août 2016 en élisant massivement le président Jean Ping.
De la fin de ce régime dépend la restauration d’un environnement propice au rétablissement de la nouvelle gouvernance et à l’ensemble des réformes structurelles indispensables à de nouvelles perspectives sociales et macro-économiques.
Les alternatives, qui seront précisées le moment venu, passent par une nouvelle politique elle-même sous-tendue par l’implication de la société civile.
Il s’agira de rétablir la crédibilité et la confiance dans les engagements de l’Etat dans le cadre d’une gouvernance économique fondée sur la responsabilité, la démocratie et la transparence.

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