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Point de vue : Le Gabon et ses deux crises

Ancien Premier ministre, Jean Eyeghe, membre de la Coalition Jean Ping, dans a tenu à s’exprimer sur la manière dont le gouvernement gère la crise actuelle liée à la pandémie du Covid-19. Il rappelle néanmoins que le Gabon était déjà en crise depuis la présidentielle de 2016. Cette primitive crise complique selon lui, la participation de tous à la lutte contre la crise du Covid-19. Cela étant, il demande tout de même, aux populations au respect scrupuleux des mesures barrières afin de freiner la propagation de la pandémie. Lecture !

Comme il est de son impérieux devoir de le faire, lorsque la communauté internationale se déclare « en guerre » contre la crise sanitaire mondiale, qui se traduit par la pandémie du Coronavirus et que de ce fait l’exécutif gabonais fait appel à ce qu’il considère comme le « rassemblement » en d’autres termes, à l’ « union sacrée » de tous les gabonais, pour dit-il, combattre cette calamité meurtrière, je suis pris par un double sentiment.

D’une part, un sentiment de devoir patriotique, lequel m’expose à me mobiliser aux côtés des autres compatriotes aux fins d’une contribution (de quelque nature que ce soit) propre à constituer un rempart face au Covid-19.

D’autre part, un sentiment de malaise profond qui trouve son origine dans la crise politique et institutionnelle dont mon pays est en proie depuis 2016.

Tout en invitant mes compatriotes à participer au combat contre cette pandémie, chacun avec les moyens matériel, financier ou intellectuel qui sont les siens, comment pourrai-je ne pas éprouver un douloureux mal-être intérieur lorsque le pouvoir qui s’est rendu coupable du massacre des dizaines de gabonais au quartier général de monsieur Jean Ping en 2016, lance un appel aux compatriotes pour, prétend-il, combattre le fameux virus invisible !

Non, que l’on ne s’y méprenne pas, ou que l’on ne dise pas qu’en raison du contexte exceptionnel de crise sanitaire, il faille, selon la rhétorique utilisée ces derniers temps, « mettre nos divisions et querelles politiques de côté ». Argument facile et fallacieux qui ne résiste pas à un raisonnement simple dès lors que l’on se place devant une même problématique : celle de la mort, c’est-à-dire la perte des vies humaines ; Sauf qu’en 2016, pour conserver et assouvir un pouvoir effréné, une clique d’individus a jugé bon de supprimer la vie des gabonais. Ces citoyens, aux mains nues, qui ne demandaient qu’une chose, la vérité des urnes et la reconnaissance de la souveraineté légitime.

Loin de moi l’envie de polémiquer par ces mornes temps qui marquent la vie des gabonais, j’invite toutefois les détenteurs du pouvoir d’Etat à faire un tant soit peu leur introspection s’ils en sont encore capables, à l’heure où ils n’ont pas d’autres choix que de faire « appel » à l’ « union sacrée » des gabonais. Ces mêmes gabonais, c’est-à-dire leurs semblables dont ils ont délibérément supprimé la vie pour la conservation du pouvoir ; un pouvoir usurpé d’ailleurs sept ans plus tôt.

Sans vouloir remuer le couteau dans la plaie en réitérant le respect des mesures barrières à tout un chacun, des questions se posent aujourd’hui : où en sommes-nous ? N’est-ce pas la ressource humaine dont a besoin à présent le pouvoir face au Covid-19 ?

Ah, comme il est malaisé d’être invité à combattre un ennemi par quelqu’un qui, la veille, a pris la responsabilité de faire tuer des gabonais ! L’unité ou l’ « union sacrée », pour faire face à une menace contre la Nation passe inévitablement par une union de cœurs des enfants d’une même Nation, d’une même République réunis autour d’une autorité légitime reconnue. Ce n’est malheureusement pas le cas.

Au Gabon, comme ailleurs, nul n’est naïf. Il existe toujours au sein d’une même Nation, au moins deux camps politiques, l’un majoritaire au sens démocratique du terme, l’autre qui lui est naturellement opposé. Chez nous, ces deux camps n’auraient pas formulé une quelconque objection à se retrouver côte à côte (pour ne pas dire ensemble) afin d’unir leurs forces face au Covid-19. Mais au Gabon, cela était-il possible ?

Je sais que pour des raisons partisanes (d’autres diraient en raison des réflexes partisans) obscures, ou pour toute autre raison, il se trouve toujours des compatriotes pour me jeter à la figure que je suis « hors sujet » comme certains l’ont prétendu en 2009, lors de l’oraison funèbre que j’ai prononcé à l’occasion des obsèques officiels du président El Hadj Omar Bongo Ondimba. Sauf que ces compatriotes, qui estiment, de bonne ou de mauvaise foi, que j’ai tort, ne me présentent jamais des arguments pour soutenir leur thèse. C’est pourquoi, j’en profite, du reste, pour m’interroger publiquement : « les scorpions » ne sont-ils pas toujours à l’œuvre, autrement dit, ne vivons-nous pas toujours sous le joug de ces scorpions ? Après l’épisode de 2009, n’y a-t-il pas eu récidive en 2016 avec en sus des assassinats des gabonais et quid de la situation politique et institutionnelle depuis 2018 ?

Revenons-en à la crise sanitaire, nous constatons que dans le pays de nos anciens colons, il est de coutume que les dirigeants consultent, quand les circonstances l’exigent, les leaders politiques de l’opposition et même les leaders d’opinion. Non seulement, de telles consultations se déroulent au plus haut sommet de l’Etat, dans un cadre républicain, mais également en toute sérénité parce qu’empreinte de l’esprit démocratique. L’opposition reconnaissant la légitimité de l’Exécutif. En est-il de même sous nos tropiques ? Poser la question revient à y répondre. On observe, à cet égard, que notre télévision publique, c’est-à-dire l’instrument de communication de tous les gabonais, brille par un ostracisme patent envers certaines personnalités de l’opposition, même leurs actions de solidarité envers les plus démunis de la population ne sont nullement médiatisées. Par contre, nous assistons, en dehors des donateurs sérieux, au défilé des démagogues, des opportunistes et autres obséquieux qui viennent faire mine de plaire au pouvoir. Ne parlons même pas de ceux qui, la veille, prétendent publiquement qu’Ali Bongo Ondimba est mort, mais curieusement viennent le lendemain le remercier pour les mesures qu’il a prises pour faire face à la pandémie. De telles incongruités prêteraient à piaffer de rire si nous n’étions pas dans une mauvaise conjoncture.

Ne pensons-nous pas qu’il est temps que les gabonais méritent un Etat digne de ce nom et qu’en pareille contexte de crise sanitaire ils aient à cœur de se référer à la légitimité.

C’est le lieu de rappeler à nous tous, plus particulièrement à ceux de nos compatriotes détenteurs des manettes de l’Etat au plus haut sommet, qu’ils doivent veiller à respecter la Constitution, à garantir la régularité du fonctionnement des institutions. Les circonstances du moment les y invitent impérativement et doivent les inciter à une exigence morale : celle d’une profonde introspection.

« Il n’est jamais trop tard pour bien faire » dit un adage. La crise sanitaire peut être une opportunité susceptible d’irriguer qualitativement les cœurs. Les moments de confinement ne visent pas seulement à casser la chaîne de contamination de la pandémie. Ils doivent aussi constituer des instants de réflexion et  de remise en question de l’action humaine.

Jean Eyeghe Ndong, Ancien Premier Ministre

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