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Qualité de l’instruction au Gabon/La société de défiance : La dissociété gabonaise

L’UOB va concentrer en première année académique 2021-2022, trois vagues de bacheliers, les redoublants de 2019, les bacheliers de 2020 et ceux de 2021. Lorsque les médiocres s’emparent d’un Etat les armes à la main, la médiocrité est exaltée et l’excellence niée.

Sur la carte du monde et notamment celle de l’Afrique. L’on peut constater la présence d’un pays nommé Gabon depuis le 15e siècle. Se situant en Afrique centrale. Ses frontières internationales sont reconnues, « inviolables et intangibles ». Tout au moins si l’on se réfère au sommet annuel de l’OUA au Caire (Egypte) en 1964. Aussi, à ce jour-exceptées quelques disputes avec la Guinée Equatoriale sur les iles Mbanié et Corisco. Ou alors avec le Congo-Brazzaville sur le front est du pays. Voire sur l’océan atlantique au sud au large du Cabinda concernant le pétrole « angolais » qui est aussi gabonais dans cette zone confuse. Où les frontières maritimes demeurent inextricables-Il appert bien que les frontières gabonaises tiennent depuis le XIXe siècle.

Ici, le territoire était déjà circonscrit pour le « pays des trois estuaires » ravivant de surcroît, les convoitises impérialistes. Certes il eut la délimitation cahoteuse du Woleu-Ntem. Puis du Haut-Ogooué qui s’est baladé entre le Moyen-Congo (1925-1945) et le Gabon (nous y reviendrons). La réalité internationale et nationale est qu’il y a bien un Etat gabonais dans un territoire souverain reconnu internationalement. Il convient de souligner malgré tout que, l’Etat gabonais n’est pas prédateur. Les deux phénomènes de construction et de formation de l’Etat s’y conjuguent depuis un siècle et demi. En réalité, s’il y a une entropie de l’Etat gabonais ipso facto de la puissance publique depuis 50 ans. Il n’y a pas ici comme par exemple au Mali voire au sahel ou en Afrique de l’ouest ou alors en RCA, RDC, une disparition fonctionnelle de l’Etat, où l’on retrouve des zones grises sans ou avec seulement cinq fonctionnaires démunis. Incapables d’assurer une mission régalienne basique. Ici, la classe dirigeante qui est aussi la classe dominante a les moyens de sa reproduction. Où se conjuguent des logiques d’accumulation et autres alliances hégémoniques qui aboutissent au monopole de l’Etat. Mais ces classes dirigeantes ne sont ni des bâtisseurs ni des capitalistes affirmés. Ce sont plutôt des passagers clandestins de l’histoire. Ce poids des passagers clandestins obère l’action publique.

Les changements au sommet de l’Etat échappent au contrôle parlementaire et citoyen. Aussi, en dépit du réductionnisme d’un certain « culturalisme traditionnaliste » africaniste. Et son corollaire ; le populisme théorique panafricaniste qui ont le même code génétique intellectuel. Tant ils ont tendance à parler d’une Afrique « uniforme » mythique. La vérification empirique de leurs postulats démontre qu’il n’y a pas de processus sociaux ou sociétaux à l’échelle continentale. Bien au contraire ces processus qui sont aussi bien sociaux, sociétaux que par-dessus tout, politiques varient d’une situation africaine à une autre. Le comparatisme est un impératif pour cerner les Afriques. Les arrangements institutionnels gabonais sont bien spécifiques. Aussi ne suffit-il donc pas de parler d’une Afrique imaginaire, mais de connaitre et de penser les sociétés africaines concrètes et leurs concaténations respectives. Il convient de dire que l’africanisme a beaucoup évolué tandis que le panafricanisme est toujours muré dans son idéalisme infantile et débilitant.

Il appert que l’Etat gabonais ne vit pas de ressources externes ni de rapines internes. Bien au contraire, le Gabon est l’un des rares pays qui disposent de finances publiques autonomes. La formation de l’Etat ne se fait pas par des logiques d’extraversion. Ce qui le rend autonome vis-à-vis des groupes locaux qu’il taxerait, et avec qui il n’aurait pas besoin de négocier. Et davantage encore de l’extérieur car il ne vit pas d’aide. En d’autres termes, son budget n’est pas financé par l’aide extérieure, comme dans la plupart des pays africains. De fait, l’Etat gabonais dispose à la fois de la puissance publique et de la puissance financière. Il remplit ainsi, les conditions d’un Etat : monopole de la violence sur un territoire donné et contrôle des finances publiques. Il peut donc donner le change face aux pressions extérieures. C’est pour cela que le régime gabonais se permet ce qu’il fait. Car il ne souffre pas de répression financière comme dans beaucoup de pays pauvres. On ne peut le menacer de lui couper les fonds ipso facto affaiblir sa stature.

Ce faisant l’Etat gabonais n’est pas vraiment en difficulté. Car il ne fait face à aucune force centrifuge. Les mouvements sociaux sont trop faibles et disparates pour le mettre en difficulté. Le régime gabonais n’a jamais perdu la face devant les pressions sociales. Il décide du temps de l’espace des mouvements sociaux. Et jusqu’à preuve du contraire, le vacarme de la toile avec ses « réseaux sociaux » ne l’a jamais ébranlé. Il suffit que l’Etat montre ses muscles pour que les mouvements s’évaporent. Lesquels mouvements feu de paille ou pétards mouillés n’ont jamais dépassé, leurs effets d’annonce. C’est même un Etat-nation dans lequel le sommet ; en d’autres termes, les institutions et l’élite dirigeante au niveau national (et local) demeurent solides et fonctionnelles. Même si, le sommet n’est plus relié de manière fiable à ses propres membres, et demeure coupé de la société. Il est de plus en plus accaparé par des prébendiers civils et militaires. Cette posture rendent difficiles, les tentatives d’opposition.

Sans le sou, l’opposition ne peut donner le change.

Elle ne dispose pas de moyens financiers ni logistiques autonomes pour se bâtir une base sociale. En effet, les gabonais préférant « un tien, à deux tu l’auras » ne trouvent pas intérêt dans les coquilles vides de l’opposition. L’attente est trop longue. La loyauté au système est toujours plus payante que les promesses de l’opposition. Cette déchéance sociale contraint généralement les opposants de circonstance à fléchir. Lesquels reviennent sur leur position originelle. En repartant soit directement au PDG soit dans la galaxie présidentielle. Et tant que la politique sera la seule source d’enrichissement. Ces comportements perdureront. Ces partis n’ont ni les moyens institutionnels ni les moyens financiers de faire le poids (nous y reviendrons). Cela dit, comparées aux autres situations africaines voire du tiers-monde, les données sociales gabonaises semblent être sur le papier, mirobolantes. Prouvant ainsi que le fonds objectif est bon.

De fait, les dysfonctionnements gabonais sont de faible intensité. Et bien que situé dans une sous-région trouble, le cas gabonais inquiète moins les observateurs et décideurs extérieurs. Ces derniers, ne cessent de dire que le « Gabon ce n’est pas l’Afrique ». Les cris gabonais sont donc inaudibles. L’Etat gabonais fait ainsi preuve de suffisance institutionnelle. Le pouvoir contrôle les ressources et ipso facto les élites et peut réprimer les empêcheurs de piller en rond, en sanctionnant financièrement les élites récalcitrantes et indomptables. Aussi toutes les narrations sur la disette financière sont exagérées. Si l’on reprend les différentes formes d’Etat appliquées aux situations africaines. L’Etat gabonais n’est pas un « Etat périmètre » c’est-à-dire un Etat, qui ne se limite qu’au périmètre de mobilité et au cercle du président. Ici, il y a une administration qui est permanente. Et qui jusqu’aux années 80 était de bonne qualité. Ce n’est pas non plus un Etat « introverti » en d’autres termes, un Etat qui ne se réduit qu’à la capitale. Ni un Etat morcelé où le chef cherche à recoller des morceaux de pouvoir. Encore moins un Etat inversé qui est si faible qu’il est obligé de négocier avec des potentats locaux. Si ces différentes formes d’Etats se retrouvent dans de nombreuses situations africaines, le Gabon est un cas atypique au sein des Afriques. Les élites ici ont coulé le pays en le tuant à petit feu. Ce pays ne souffre pas de limites intrinsèques mais des conséquences relevant de l’impéritie de ses élites. Ce faisant, l’Etat n’y est pas déficient mais défaillant, tant il est mal géré. Il y a plus un problème de péréquation que de difformité institutionnelle. En conséquence, les gabonais sous la bannière de l’Etat, sont devenus étrangers à eux-mêmes. Faire société devient une ordalie.

La société gabonaise existe-elle ?

Si oui de quoi est-elle le nom ? Les observateurs parlent de « société gabonaise » mais ses contours sont difficilement identifiables. Les gens ne mobilisent pas leurs ressources collectivement afin de limiter les coûts de transaction. Bien au contraire, chacun veut jouer sa partition et veut sa part. Il y a plus une solidarité subjective qu’objective. La tendance à toujours se défausser sur les autres témoigne de la fragile société imaginaire gabonaise. Le lien social a du mal à se nouer. Les autorités préfèrent mobiliser les ressources humaines venues d’ailleurs. Si l’on prend par exemple le cercle du pouvoir, la sécurité rapprochée du président est assurée par des étrangers. Car le président pourtant défenseur de sa « légitimité » ne fait pas confiance à ses compatriotes pour assurer sa sécurité.

En réalité, le président de la République ne peut externaliser sa sécurité, qui relève de la compétence de l’Etat qui en a la charge. Autrement dit protéger la fonction présidentielle en tant que telle. Aussi pourquoi est-il si armé jusqu’aux dents contre son « peuple » ? Qui l’a « plébiscité » deux fois : entre 2009 et 2016 ? Car, à chaque fois que le président fait un discours sur le « souci » qu’il nourrirait à propos des gabonais. Il n’hésite pas à faire feu sur ces mêmes populations. Lorsqu’elles marchent ou manifestent en exerçant leurs libertés fondamentales. Dans le monde des affaires, la tentation est grande de concentrer toutes les ressources de l’Etat autour d’une famille et leurs affidés. – Ce fut le cas d’Acrombessi désormais riche comme Crésus. Ou plus proche de nous Gagan Gupta qui s’est servi à son tour puis s’en est allé. – En utilisant des étrangers à qui l’on octroie la nationalité gabonaise, il n’y a pas de cadre institutionnel pour favoriser une accumulation privée de capital national. Les initiatives privées des gabonais sont étouffées dans l’œuf, par les pontes du régime qui ne veulent pas de concurrents nationaux. Les gabonais n’ont plus de surface sociale. Ils sont expulsés de force de « l’espace public ».

Sur le plan politique, malgré le multipartisme formel, l’opposition n’a pas droit de cité dans les média d’Etat. Elle ne peut tenir des réunions publiques, au motif qu’elle serait composée de « mauvais gabonais » c’est-à-dire ceux qui ne partagent pas les orientations du régime, alors que c’est l’argent public qui finance ces média d’Etat, qui deviennent des biens publics privatisés confisqués par le pouvoir. Et pourtant le droit de manifester et de se réunir en public sont des libertés fondamentales garanties par la Constitution. Leur accès sont refusés par les extrémistes du système.

Depuis 2009, ABO a concentré tous les pouvoirs à la présidence.

Au point qu’aujourd’hui, affaibli par la maladie, l’action publique est impossible, plus que celui qui détient toutes les clefs est indisponible. Les changements au sommet de l’Etat se font sans son aval. Dès lors si le président croit aux institutions, pourquoi ne laisse-t-il pas le système fonctionner à plein essor ? Dès qu’ils s’aperçoivent qu’il y a une disposition dans la Constitution qui pourrait changer leurs plans de conservation du pouvoir, ils la modifient, sans que les gabonais ne le souhaitent. Cela date depuis 1967 lorsque la disposition qui propulsa Albert Bernard Bongo (ABB) comme successeur constitutionnel de Léon Mba avait été suspendue sans révision constitutionnelle. Dans la pratique Léon Mebiame alors VPR n’était que Vice-président du Gouvernement. ABB conservant la direction du gouvernement et surtout du ministère de la Défense. La Constitution du Gabon de 1991 a été désossée. En conséquence, au lieu de passer par référendum, ils passent par l’Assemblée nationale et le Sénat. Deux institutions qui forment un parlement godillot. Il n’y a pas de lisibilité de l’action publique.

En concentrant tous les pouvoirs entre les mêmes mains, celles du chef de l’Etat,  on a privé le Gabon de toutes ses ressources humaines. Et pour cause, on ne recrute que dans le cercle ethno-régional afin d’éviter toute surprise. Aussi un groupe faisant au mieux 0,2% de la population contrôle 95% des fonctions publiques, civiles, militaires, diplomatiques. Et autres entreprises, régies publiques ou parapubliques. Or ce qui caractérise un Etat c’est qu’il repose sur une légitimité « légale-rationnelle ». Le pouvoir devient impersonnel. Et n’est plus régulé que par la loi qui exprime la « volonté générale ». Les ressorts de cette structuration ont des racines profondes. Les explications culturalistes ne tiennent pas la route ici. Les gabonais votent mais le résultat officiel relève de la fraude qui rend tout recours superfétatoire. C’est le désenchantement démocratique.

De fait, depuis 1990, nous avons assisté à une restauration autoritaire. Or une société ne peut fonctionner s’il n’y a pas un minimum de confiance de chaque membre et entre ses membres. C’est ce qui explique que les gens s’accrochent à leurs fonctions qu’ils occupent, non grâce aux compétences acquises au prix du mérite et donc des acquis de l’expérience, mais sur la base de la solidarité verticale. Les liens de sang l’emportent sur les liens de raison. La politique c’est le compromis pas le consensus qui lui est une société de connivence. Car le politique est fondé sur une différentiation du corps social qui nécessite une entente. De fait, s’il n’y a pas de règles communes qui s’imposent à tout le monde, il n’y a pas de société possible. C’est pour cela que ceux qui ont le pouvoir ne peuvent pas le céder, car ils n’ont pas d’existence en dehors de l’exercice du pouvoir. Chacun sait qu’il perdra gros. Or, aucun Etat ne peut fonctionner sans confiance sociale. Pour faire société, il faut un minimum de conscience sociétale, fondée sur des valeurs communes qui tissent le lien social. C’est comme pour faire un panier ce sont les deux premiers nœuds de la base qui déterminent la suite de l’ouvrage. Si je me soumets à ton autorité, c’est parce que je sais que tu ne me feras pas un coup fourré. Si j’investis avec toi, c’est parce que je sais que tu ne tenteras pas un coup. De plus, la loi pourrait nous départager en cas de litige. En conséquence ne vivant que par la solidarité familiale, les gabonais au lieu de revendiquer leurs droits demandent plutôt des faveurs.

Un président ne fait pas de charité avec de l’argent public.

L’action publique c’est la fourniture des biens publics qui assurent l’égalité. Le don n’est jamais gratuit, il repose sur le triptyque : Donner-Recevoir-Rendre. Il y a désormais des dons du « distingué camarade » ceux du « Coordinateur général de la PR » et ceux de la « première dame » blah blah. Un histrion qui est la nullité incarnée. Confondant tous les jours le rêve et la réalité. Les flagorneurs de tout acabit sont en branle. Les dons sont la négation de la République. C’est du pur recel d’argent public détourné ; une obscène générosité conquérante. En effet, dans nos sociétés il n’y a pas de commisération. On partage l’effort collectif et on redistribue les fruits de cet effort. Un homme public, exerce un mandat en utilisant la puissance publique pour l’intérêt général. C’est ce processus de civilisation donc d’intériorisation des autocontraintes qui fonde un Etat moderne, qui est une sociogenèse. Mais nous, nous croyons qu’il suffit de copier la France ou les occidentaux en ignorant leurs trajectoires historiques. Ce qui about à l’impasse institutionnelle.

Le Gabon dispose d’un cadre institutionnel mais que personne n’applique. Le fait du prince devient la loi. Tout le contraire d’un pacte républicain qui est fondé sur le bien commun et la raison et non des sentiments personnels. Bien loin de la tyrannie de petits calculs quotidiens. La critique devient de la pure dénonciation, en lieu et place d’une analyse rigoureuse qui aboutirait à des solutions adaptées face aux questions complexes. L’autorité c’est la légitimité et non la force brute qui n’est qu’un signe de faiblesse. Le gouvernement a même honte de défendre son bilan. Pis, il ne dispose d’aucun projet historique. Si ce n’est un catalogue d’épicier. L’Etat ne peut affirmer son autorité et perd de plus en plus sa légitimité, alors que les gabonais avaient une confiance à leur Etat. Car il n’a pas confiance en lui et se méfie donc du peuple.

Historiquement les gabonais avaient coutume d’ester en justice en cas de litige. E-ke, bi-ake ofort, en référence au cercle colonial. En fang ofort signifiait l’administration ou la fonction publique chez les fang. En somme porter plainte à quelqu’un lorsqu’on s’estimait lésé. Aussi, l’écrivain public comme le fut Léon Mba servait à tenir cette correspondance administrative y compris sous la colonisation. Le métier de juge était une fonction noble respectée au Gabon. Car elle ne dispose d’aucun autre mécanisme de contrôle, de recours, ni d’espace d’expression. Aussi, si le pouvoir avait confiance en lui pourquoi se croirait-il obligé de mettre des barrières à l’opposition, en l’empêchant de s’exprimer dans les media ? Les actes quotidiens aussi bien de l’Etat que des citoyens deviennent controuvés. Il est courant au Gabon que l’on confie une mission de sécurité nationale à un étranger. OBO avait confié les affaires pétrolières à un étranger pour mieux piller. Alors qu’il y avait des gabonais qualifiés susceptibles de faire le même travail. Aussi le dossier pétrolier depuis Edouard-Alexis Mbouy-Boutzit n’était pas du ressort du ministre des Mines, de l’Energie et des Ressources Hydrauliques. OBO ne souhaitant jamais avoir un gabonais lui faire de l’ombre. En conséquence, les gabonais ignorent quelle est la vraie production pétrolière gabonaise depuis 65 ans. Il en est de même de toutes les ressources minières. Car un étranger, on peut le contrôler voire le menacer d’expulsion. De plus ce dernier sachant qu’il n’est pas chez – lui, se fiche des conséquences à long – terme. Tandis qu’un gabonais pourrait avoir un sursaut patriotique. Si deux équipes acceptent de jouer sur le même terrain c’est parce qu’elles font confiance à l’arbitre. Elles se soumettent à son autorité au motif qu’il est impartial donc il ne fera preuve d’aucun favoritisme. Le président, en créant des agences, a sevré les ministres de toute action publique, car il ne leur fait pas confiance. Les relations interpersonnelles sont phagocytées par la délation et l’opportunisme. Comment faire société dans ces conditions ? L’autoritarisme est donc un signe de faiblesse. On ne force pas son autorité on l’exerce par le truchement de la loi.

Aussi, l’alternance politique au lieu d’être la conséquence de choix alternatifs arbitrés par les citoyens est perçue comme la perte des privilèges acquis. Les détenteurs du pouvoir mobilisent tous les moyens de l’Etat en leur faveur. Les Bongo ne connaissent pas une autre vie en dehors du pouvoir donc de l’Etat, sans lequel ils redeviendraient pauvres. L’alternance ce n’est plus céder le pouvoir à une autre majorité, mais perçue comme la fin du monde par les détenteurs du pouvoir. Sans compter ceux des petites ethnies qui conjecturent sur le fait que l’alternance serait la prise du pouvoir par un fang. Il vaut donc mieux maintenir le statu quo au détriment de tout un pays.

Je suis tombé par hasard sur le site de l’UJPDG en 2009. Il y avait un texte à l’adresse de Pierre Mamboundou lui demandant en filigrane de renoncer à sa candidature au risque de voir un fang redevenir président. On ne dira jamais assez que cette fascination du fang est au cœur du blocage politique au Gabon depuis 54 ans. Car la vie pour les détenteurs actuels du pouvoir n’a pas de sens en dehors de l’Etat qui est leur seule source d’enrichissement. Ils n’étaient rien avant le pouvoir, ils ne seront rien sans ce dernier. L’on se livre à une fuite en avant qui devient un acharnement thérapeutique qui ne règle rien. Pourquoi nommer des ministres qui n’ont aucune capacité d’agir.

Depuis 54 ans, s’est bâtie une culture du pouvoir qui consiste à profiter de sa position.

On ne peut donc pas la perdre. La redevabilité informelle supplante la redevabilité formelle. Et pourtant, le Gabon est une République et non un royaume. On ne saurait gouverner le Gabon en mimant le royaume Marocain ou les pays du golfe, qui sont des sultanats ou des monarchies. Le roi (ou le sultan) y possède le pays. Et comme il est aussi le « commandeur des croyants » il bénéficie d’une double légitimité : une profane, qui s’appuie sur un Etat. Et une religieuse, qui s’appuie sur son ascendance religieuse en tant que « descendant du prophète ». Notre politique peut avoir deux corps, mais ils ne sont pas aussi ancrés que les exemples du Maroc ou des pays du Golfe voire le sultanat de Brunei. Car nous avons des anthropologies politiques aux rationalités différentes, dont seule la République peut en faire la synthèse.

Il y a des sociétés acéphales, des sociétés anarcho-égalitaristes (fang), et des sociétés plus ou moins organisées (vili-mpongwè, orungu etc). Le droit moderne fait le lien entre ces différentes conceptions du pouvoir. Nos sociétés sont donc organisées contre l’absolutisme. Le PDG contrôle tout mais il agit comme s’il était assis sur un équilibre instable. Quand dans un pays moderne on modifie une Constitution en pleine nuit, sans consulter ceux qui seront affectés par cette « révision » l’on n’est plus dans le cadre institutionnel. La politique de recrutement au sommet de l’Etat depuis 1967 était fondée sur la défiance, au motif d’un imaginaire « rattrapage » sociologique. En réalité, OBO souhaitait s’appuyer sur des hommes liges qui lui devraient tout. Et particulièrement originaires de « sa région ». Et pourtant depuis l’origine, la politique de formation au Gabon était fondée sur le mérite et non sur le patrimonialisme. Tous les fils du Gabon trouvaient leur voie indépendamment de leurs origines. Imaginez que le président Léon Mba ait eu la même conception de l’Etat. Il n’aurait jamais pris ABB naguère protégé de Jean-Hilaire Aubame dans son cabinet.

Il y a une incompréhension sur les origines des cadres gabonais. Les fangs ne devaient pas leurs fonctions sous León Mba au piston, mais au mérite. Il se trouve que c’est le groupe majoritaire et par leurs positionnements géographiques autour des zones de contact avec l’extérieur. Leur occidentalisation était précoce par rapport aux autres groupes. Ils devinrent ainsi statistiquement les plus nombreux dans toutes les fonctions, plus qu’ils sont aussi démographiquement majoritaires. Et selon la loi des grands nombres : Un groupe dominant démographiquement sera le plus présent dans toutes les cohortes. De plus comme ils étaient compétents, le pays en a profité. Cela a d’ailleurs eu un effet incitatif sur les autres groupes. Si l’on prend par exemple les deux lycées importants du Gabon : Le Lycée Félix Eboué devenu Léon Mba et le Lycée Technique devenu après « Albert » puis Omar Bongo, ces deux établissements étaient dirigés par deux docteurs en physique nucléaire fang : Jean-Pierre Nzoghe-Nguema au Lycée Léon Mba et François Owono-Nguema au Lycée Technique à l’époque situé au lycée d’Etat de Libreville devenu Paul Indjendjet Gondjout. Ils ne devaient pas leurs fonctions aux relations exceptionnelles, mais à leur mérite. C’est donc cela une société de confiance.

La société de défiance c’est celle qui imagine une société où l’on ne fait confiance qu’aux liens de sang. Et si d’aventure c’est le cas il faut privilégier la compétence. Par exemple si je suis responsable des ressources humaines et que nous recherchons un comptable, et si j’ai un frère (ou une sœur) comptable au chômage je pourrais les recruter, car ils répondent aux critères. En revanche si je les recrute alors qu’ils n’ont aucune compétence ce serait du pur népotisme. Ou alors, si je fais passer des tests. C’est, le meilleur candidat qui sera recruté et non celui dont je suis le plus proche.

Les institutions gabonaises ont été dévoyées en raison de la défiance.

Les maitres (maitresses) de notre école ne notaient pas les élèves en fonction de leurs noms, mais de leur qualité. La plupart des enseignants étaient fang et myènès envoyés sur l’ensemble du territoire. Ils avaient pour mission de former de jeunes gabonais et non chercher à bloquer des élèves qui ne seraient pas de leurs groupes. Sous Léon Mba on n’était pas affecté dans sa région d’origine par souci d’impartialité et d’intégration nationale. Les bourses étaient attribuées à tous les gabonais sans distinction. Tout comme le furent les carrières administratives. De nos jours, la tyrannie de ces petits ressentiments et décisions quotidiens obèrent la société entière. Personne ne prendra le risque car il n’y a pas de garantie. C’est une forme de crédit sociétal, autrement dit une société fiduciaire donc fondée sur la confiance. De fait, c’est parce qu’il y a la confiance que le banquier vous prête de l’argent. Il fait confiance en votre capacité à rembourser. De son côté, il fait confiance à la rentabilité de son investissement. En revanche dans une société de défiance personne ne pourra vous prêter de l’argent et la société entière en pâtira. De fait personne ne fera plus d’effort. La prise de risque est annihilée. C’est ce que je nomme le citoyen découragé, car il anticipe les obstacles et ne veut donc plus fournir d’efforts. Il estime que quoi qu’il fasse, ses efforts seraient vains. Ou alors s’il est dans une position de subordination et qu’il est convaincu que son supérieur n’est pas compétent, il sapera le travail au motif qu’il ne recevra rien en retour.

Les ressources humaines gabonaises sont gaspillées depuis 54 ans, car les compétences sont dans les placards, ou ceux dont les efforts ne sont guère justement récompensés. Les sociétés de défiance se caractérisent par une méfiance envers les institutions, qui se traduit par une méfiance réciproque entre les autorités publiques et les usagers. C’est le cas avec le Covid-19. La fonction manifeste c’est de « protéger » les gabonais contre le virus. Alors que la fonction latente c’est d’imposer un Etat de siège permanent qui ne dit pas son nom, pour parer à tout soulèvement avant 2023. Le but étant de placer le régent de la République Nourredin Bongo à la fonction suprême.

En effet, malgré les facéties d’ABO et son équipe de communication qui exerce le ministère de la vérité, c’est bien lui, sous l’influence de sa mère, qui dirige le Gabon comme naguère BLA. La société de défiance est le propre des régimes faibles qui ont peur de leurs propres citoyens pour lesquels ils prétendent « travailler ». Des maladies contagieuses plus dévastatrices ont frappé les gabonais, mais l’Etat n’a jamais manifesté la même attention. Le covid-19 participe des stratégies de conservation du pouvoir. Aussi une certaine manière de faire la politique a fini par convaincre le plus grand nombre que les politiciens sont tous des menteurs. En conséquence même une offre politique sérieuse devient suspecte. C’est la société du soupçon perpétuel.

Il faut cependant rappeler que la défiance n’est pas un caractère national.

Elle est plutôt le résultat d’un certain nombre de pratiques sociales. La construction sociale se heurte à la difficulté pour les acteurs sociaux d’imaginer une communauté d’existence, qui se donne des valeurs civiques s’imposant à tout le monde. L’action publique est bloquée par la tyrannie de petites décisions quotidiennes fondées sur des petits calculs. Même les choix partisans en sont affectés. En réalité, l’engagement politique est une union de volontés qui aboutissent à des actions collectives productrices de biens publics. Cette fébrilité sociétale a rendu la puissance publique impuissante. La fameuse « solidarité africaine » est un fantasme exotique qui ne résiste à aucune analyse anthropologique sérieuse. On confond la juxtaposition de petits groupes grégaires avec une société fondée sur une solidarité universelle, c’est-à-dire qui dépasse les solidarités de base qui ont colonisé l’Etat, qui ressemble de plus en plus à une horde. Les corps intermédiaires comme les syndicats devraient jouer leur rôle de vecteur de valeurs solidaires. Mais là aussi il n’y a rien au-delà des revendications catégorielles.

Les partis politiques sont coincés entre le marteau de la répression et l’enclume de la disette financière.

Le régime a tout fait depuis 1990 pour subvertir la démocratisation du système. De plus les militants des partis politiques infimes, ne jouent pas leur rôle de formation civique de nouveaux adhérents. Aussi l’organisation politique est réduite à la direction du parti qui se méfie de ses propres militants. Ils nouent des alliances sans la base. L’offre politique se trouve brouillée si ce n’est inexistante. Il n’y a aucune substance idéologique au-delà du catalogue d’épicier sur les routes, écoles, hôpitaux etc. que proposent tout le monde y compris le pouvoir. Ces partis bénéficient du sentiment de rejet du pouvoir et non d’adhésion à une offre politique précise et mobilisatrice. Il se trouve – comme cela a été prouvé dans d’autres situations historiques – que, le système influence les acteurs politiques. Le même autoritarisme et le culte de la personnalité que l’on reproche au pouvoir se retrouvent davantage dans ces partis. Le dirigeant est un timonier intouchable, sa propre famille est de facto directrice du parti. Aussi des militants qui ont donné de leurs personnes pour la nationalisation du parti sont relégués au profit des membres de la famille. C’est le patrimonialisme généralisé dans la société qui se reproduit dans les partis politiques. Il n’y a pas de débat d’idées au sein de ces bunkers ethniques. Cette défiance structurelle obère toute forme de solidarité. Les originaires de la même région que le président finissent par croire que le pouvoir, voire le pays tout entier est leur propriété. Peu importe le coût pour la société, ils n’en ont cure.

Les fonctions institutionnelles ont perdu leur rationalité.

Les gendarmes au lieu de lutter contre le phénomène, ce sont eux qui deviennent le phénomène de coupeurs de route. Ce qui renchérit les coûts de transport par exemple entre Libreville et Lambaréné 20 000 FCFA aller simple. Et pour une distance de 267km on y passe 6-7 heures. Les gabonais paient les impôts, qui paient les salaires des forces de l’ordre. Mais ces dernières les taxent comme elles peuvent rendant futile leur rôle de gardiens de la paix. Chaque agent profite de sa position. La petite corruption qui n’existait pas au Gabon est devenue une plaie inguérissable. C’est presqu’une société à somme nulle, où l’on se livre à la chasse au bien personnel. Au lieu de rechercher le bien commun.

Selon des expériences de terrain en occident il en ressort que « La défiance à l’égard d’autrui, est étroitement corrélée (…) avec diverses formes d’incivisme ». Ainsi, « une expérience menée par un magazine canadien en 1996 consiste à égarer volontairement vingt portefeuilles contenant le même montant de monnaie nationale ainsi que les coordonnées du supposé propriétaire, puis à compter le nombre de portefeuilles restitués. Cette expérience a été menée dans quatorze pays européens et aux Etats-Unis. Le taux de restitution est très différent suivant les pays. En Scandinavie, il est de l’ordre de cent pour cent. A l’autre extrémité, seulement 28 % des portefeuilles sont restitués en Italie. Quant à la France, sur les quinze pays, elle se classe au onzième rang seulement » Imaginez où se situerait le Gabon dans ce classement.

La « stabilité » devient le prétexte de toutes les inerties. Ce qui about à des inégalités structurelles. C’est dans ce type de société de défiance que la mobilité sociale est plus faible. Si l’on prend des exemples internationaux. Il faut par exemple 11 générations en Colombie pour que les plus pauvres puissent avoir un niveau de vie honorable. Autrement dit le temps social qu’il faut pour que leur revenu atteigne le revenu moyen. Ce qui est terrible quand on se rappelle que la Colombie est indépendante depuis 1810. Alors qu’il n’en faut que deux générations au Danemark. Ce type d’analyses s’applique peu au Gabon, car il y est difficile de distinguer le privé du public. Mais il est clair que si l’on continue dans le registre,  sans rupture avec l’ordre socio-politique actuel, le dessein sociétal du Gabon est plus proche de la Colombie voire Haïti, que du Danemark. La seule chance du Gabon repose sur le fait que la structure sociale n’est pas aussi étroite que celle de la Colombie où se superposent des inégalités raciales, spatiales et économiques. Les groupes sociaux du bas de l’échelle sociale y accumulant tous les handicaps. De plus, avec les politiques néolibérales des 40 dernières années, la violence sociale qui y règne depuis l’indépendance (1810), n’ont fait qu’aggraver la fracture sociale. La défiance est ce ressort imaginaire qui décourage toutes les vocations quotidiennes. Les appels à « l’émergence » dans ce contexte deviennent de simples incantations.

Dans la société de défiance le ressentiment et l’aigreur sont de mise.

Chacun ressent ce qui lui manque et non montrer ce qu’il possède. C’est d’autant plus accentué que, la légitimité sociale est désormais fondée sur le matériel. Et comme seul l’Etat permet d’avoir accès aux ressources financières, les gens sont prêts à tout. Ce qui favorise la délation et l’opportunisme. On ne se bat pas autour de valeurs ni de principes. Mais pour ses avantages supprimés ou saisis par le pouvoir. Les gens par exemple font grève pour leurs droits impayés. Mais il suffit qu’on leur verse une partie pour que le mouvement s’estompe ou s’arrête, sans compter ceux qui négocient leur propre cas à l’insu des autres.

Le système tel qu’il a été conçu depuis 54 ans a construit des rentes de situations favorisant le souci individuel et non collectif. Un gabonais (une gabonaise) considère que le pays va bien tant que lui (elle) touche. Peu lui importe le sort des autres. Et pourtant le terme concitoyen signifie bien communauté politique qui a en partage donc, une communauté de destins formée par des citoyens égaux, fondée sur la réciprocité sociale. Mais les gens agissent comme des monades juxtaposées. De nombreuses personnes parlent de République et de démocratie par commodité de langage, mais en ignorant le sens de ces deux mots qui sont sur toutes les lèvres. Y compris de la part des dirigeants dont les politiques sont liberticides. Le fait que l’Etat d’urgence sanitaire continue alors que les conditions épidémiologiques ne l’exigent plus, relève de la défiance du pouvoir à l’égard de la population. Ils n’hésitent pas à arrêter voire tirer pour conserver le pouvoir.

Le Covid-19 est une aubaine pour un régime aux abois dont la défaillance est patente. Ils ont défait une société au lieu de la construire. Il y a une formation involontaire de l’Etat. Mais elle n’est pas suivie d’une construction réelle. Les seules capacités étatiques qui subsistent sont celles qui relèvent de la période immédiate postcoloniale. Cette défiance mutuelle ne fait que crisper les pratiques sociales. La société de défiance cultive depuis 54 ans le désamour des autres. Le débat politique se réduisant à l’inimitié partisane. Alors que le choc des différends et des différences idéologiques est parfaitement compatible avec une coexistence pacifique.

Les conséquences économiques de la défiance sociale sont gravissimes. Il ne suffit pas de brandir le per capita ou alors les satisfécits des écologistes occidentaux sur le « Gabon vert ». Il faut une traduction politique des avantages aux gabonais que confèrent la nature gabonaise. Le régime ne produit rien il se contente de confisquer les rentes issues de la vente des matières premières. En 54 ans, il n’a rien créé qui marquera des générations de gabonais. La défiance a des racines historiques que seule, la longue durée permet de cerner. Les hoquets de la modernité y trouvent leurs sources.

Ce qui est décrit ici n’est pas une anomalie normative.

Autrement dit le cas gabonais serait pathologique par rapport à une « normalité » occidentale dont on a montré qu’elle est historiquement construite. La défiance vient aussi de conséquences sociétales des traites des noirs, car la traite des noirs a eu des effets contre-productifs pour les sociétés africaines. C’est une marque indélébile dans les imaginaires sociaux. En effet les peuples qui ont participé à la traite et sont esclavagistes, avaient déjà une culture de défiance en leur sein. Elles pouvaient donc vendre les leurs sans remords. Aussi « Est-ce à dire que les esclaves tombaient du ciel ? ». Car « Il a bien fallu les produire. Il n’y a aucune puissance qui a les ressources pour venir sur les côtes africaines, pénétrer à l’intérieur du continent, […] pour les exporter. C’est parce que des groupes sociaux, des élites africaines ont très bien compris l’avantage qu’elles pouvaient tirer de ce facteur externe qui arrive sur les côtes africaines, et servir de relais » les victimes de rafles et leurs descendants ont subi un traumatisme psychologique, qui affecte leurs trajectoires sociales postcoloniales. De fait, comme dit Hubert Deschamps il subsiste « une hiérarchie du mépris ». Au Tchad par exemple où subsiste toujours le : « Mépris des Arabes blancs du Nord pour les Arabes noirs du Centre, mépris de ceux-ci pour les Noirs islamisés du Baguirmi, mépris des Baguirmiens pour les Noirs païens du Sud, ancien réservoir de captifs ».

En effet dans certaines sociétés les gens livraient leurs propres parents à ce commerce honteux qui dura cinq siècles sur l’atlantique et plusieurs siècles pour les traites arabo-orientales. Puisque malgré l’abolition elle a continué sur d’autres formes. On ne rappellera jamais assez que, les derniers contingents qui quittèrent l’Afrique entre 1854 et 1862 soit 18 500 personnes, partaient des côtes gabonaises, des Congo et de l’Angola vers les Antilles et la Guyane. Non plus comme « esclaves » proprement dit mais comme « travailleurs » sous le principe du « rachat préalable », avec des contrats à vie avec leurs patrons dans les plantations modernes. Un euphémisme pour une « liberté forcée ».

Les sociétés postcoloniales gabonaises et celles de sous-région en sont toujours affectées. Aussi puisque les gens se vendaient entre-eux, notamment parmi les peuples côtiers, cela a favorisé une défiance dirimante. Les gens sont méfiants les uns et les autres. Y compris dans les familles. Nos propres imaginaires mettent les relations sociales sur une posture obsidionale. Chacun croit que l’autre lui veut du mal. Ou alors il ne peut délivrer sur son talent, mais parce qu’il fait recours au fétiche. Celui qui détient le pouvoir ne souhaitant pas le perdre, est obligé de faire le fer de tous les nganga pour sauver sa position. Alors qu’en général, on y on allait à des fins thérapeutiques. C’est-à-dire la quête de soi et non la recherche d’un stimulant psychosomatique. Désormais les nganga sont devenus des sorciers. Ce qui est un renversement ontologique. Celui qui se fait initier devient suspect.

Les gabonais anomiques investissent les « églises de réveil » pour sauver leur âme.

Alors que dans nos sociétés on implore le pardon des ancêtres et non d’un Dieu du livre. Un gabonais peut gagner honnêtement sa vie, mais autour de lui cela éveillera du soupçon, car les gabonais n’ont plus d’éthique de la responsabilité, ni le sens du travail bien fait comme le précisait le président Léon Mba lors de son discours du 17 août 1960. Les gens se méfient de leurs propres cultures. Pis ils se réfugient dans la culture occidentale, qui n’est qu’un particulier qui est devenu absolu. En somme, les cultures nationales deviennent comme de mauvais esprits qu’il faille chasser de son corps.

La présence des « forces de l’ordre » au lieu de rassurer, inquiète. Lesquelles forces de l’ordre perçoivent les citoyens qu’ils sont censés servir – en tant que gardiens de la paix – comme des ennemis à abattre ou à rapiner. Ce cynisme sociétal devient dirimant. La société gabonaise est devenue inhibitrice. Une forme de Dissocieté. Autrement dit, un conglomérat sous la tyrannie des désirs personnels. Où les gabonais ne sont plus que des individus rivaux sans lien social. Or, pour qu’il y ait un lien social, il faut des valeurs communes, avec des interdits sociétaux. La puissance régalienne devient le garant de simples fantasmes, au lieu de garantir l’égalité de tous. Ce n’est plus une société d’émulation sociale, mais un archipel abandonné par une élite narcissique où les membres de la communauté politique décomposée se regardent en chiens de faïence.

Les racines de la société de défiance, sous nos yeux sont donc anciennes. Le renversement sociétal repose sur le fait que les gabonais ne se méfient plus seulement les uns et les autres mais de l’Etat. Au lieu donc de construire cet Etat qui doit assurer l’égalité, certaines élites gabonaises veulent le préserver pour ceux qui sont dans les arcanes du pouvoir. Ce sont des données historiques qu’il faut contextualiser et donc réversibles. Il n’y a pas de fatalité historique ici, mais un construit que l’on peut déconstruire. Pour faire société, il faut reconstruire une conscience sociale.

Nous devons défaire le mauvais raphia que nous tissons depuis 54 ans. Pour ce faire, il convient de tordre le cou à ce processus de destruction du tissu sociétal. Vivre sur soi-même est synonyme d’appauvrissement. L’incivisme est le corollaire de la société de défiance. Il est impératif de sortir de cette conception de l’humain en une figure individuelle, hors des liens sociaux et sociétaux, d’autant que les formes d’incivismes se sont institutionnalisées au Gabon depuis 54 ans. Une forme de banalité du mal, qu’il faut conjurer. Les faux bâtisseurs qui nous gouvernent ignorant de nos réalités anthropologiques ne sont que des démolisseurs du bien commun.

La communauté recomposée doit redevenir une idée neuve au Gabon. Il convient de repenser le lien humain, car des gabonais pouvoiristes ont détruit le Gabon. Lobotomisés par le bongoïsme ils ont oublié qui ils sont. Il incombe à d’autres gabonais de changer la donne. En effet aucune situation historique n’est irréversible. Et c’est quand on a été confronté à l’impossible que l’on peut penser le possible et le faire éclore. On peut passer des apories d’une modernité inaccomplie, dont résulte la société de défiance ; à la société de confiance pour sortir de l’autoritarisme. Refonder le lien social et politique. En d’autres termes une communauté politique d’égaux recomposée autour de principes s’imposant à tous sans exception. Repenser la relation à l’autre. Et comme tous les peuples, les gabonais sont sujets de leur histoire. Il leur appartient d’en changer la donne.

Aristide Mba

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