Le Gabon connaîtra-t-il un autre août 2016 ? Difficile à dire, mais ce qui est certain, c’est que ce ne sera pas demain. Aujourd’hui, nous sommes réduits à dire : « Si Ali a pris le pouvoir malgré ses multiples actes de naissance, Alihanga ne le prendra pas ». Et pourtant, ce qui se passe sous nos yeux a tout l’air d’une passation de manière soft du pouvoir.
Le Gabon tout entier a vu, le regard médusé, comment un grand notable de la communauté mpongwè, André Dieudonné Berre Aboukou, a donné la bénédiction ancestrale au futur président du Gabon. Un acte symbolique aux allures d’investiture qui a fait frémir plus d’un compatriote et n’a pas laissé indifférent un membre de sa communauté, sieur Adyayeno Ivanga Paul Adrien, qui a eu cette réaction sur sa page Facebook : « La réception, puis la bénédiction de Brice Fargeon par André Dieudonné Berre n’est en réalité qu’un acte de plus de la parodie tragi-comique qui se joue dans notre pays depuis bientôt une année. André Dieudonné Berre aurait gagné à épargner le peuple gabonais de cette lamentable prestation qui, en réalité, fut une grande mystification. Tous les ressortissants des communautés de l’Estuaire : Akèlè, Benga, Fang, Sékiani, Mpongwè savent pertinemment qu’André Dieudonné Berre n’a pas qualité pour procéder à un quelconque acte rituel de bénédiction au nom d’une communauté mpongwè autocéphale. Il n’a pas cette qualité au nom du clan des Aguékaza-Awondo dont les lignages descendant des grands chefs Kakarapono et Louis Dowé. Il a encore moins ce droit chez sa parentèle maternelle galoa de Lambaréné. On peut affirmer que l’homme faisant dans l’imposture a littéralement tourné son hôte en dérision lorsqu’il prétend s’exprimer au nom de la constellation des clans mpongwè de Glass absents pour la circonstance. A ce propos, le clan des Agwenkowa, dont je suis issu pour ne citer que celui-là, n’apprécie pas du tout la blague et se réserve le droit de le lui faire savoir en temps opportun. Au-delà de ces manquements inacceptables de la part d’un homme au crépuscule de sa vie et singulièrement supposé incarner la sagesse de l’âge, se pose la question de crédibilité lorsqu’il procède à ce rituel avec autant de légèreté, confondant ce qui se fait pour une femme partant en mariage. La bénédiction donnée pour un homme aux ambitions de pouvoir, comme ça semble désormais se dessiner à la lecture de l’agenda de Brice Fargeon et son entourage, est une chose sérieuse qui se fait autrement chez les Myènè comme chez les Membè et, probablement, dans les autres groupes ethno-linguistiques gabonais. Restons fidèles aux traditions enseignées par nos prédécesseurs selon lesquelles la responsabilité et le devoir des justes est de déconstruire la culture de l’imposture. André Dieudonné Berre, coutumier du fait, a, par conséquent, in fine, manqué une autre occasion de démontrer qu’il mérite sa place parmi les « Grands » dans nos Igala et abeigne ».
Au Gabon et ailleurs, c’est l’intérêt qui guide la conscience. Venir dire sur les réseaux sociaux qu’Alihanga ne va pas prendre le pouvoir tout en se cachant sous le lit lorsque ce dernier tousse n’est rien d’autre qu’une manière d’animer le village. Une blague de mauvais goût qui n’intéresse pas les Gabonais pour le moment.
Août 2016 ressemble, à s’y méprendre, à décembre 1981, avec la création du Morena. Pour les pères fondateurs du Morena, l’heure avait sonné pour faire tomber le régime. Simon Oyono Aba’a et ses compères croyaient dur comme fer qu’avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en France, les dictateurs allaient tomber en Afrique francophone. Au finish, Omar Bongo est resté au pouvoir. En revanche, ses contradicteurs ont été arrêtés et jetés en prison comme de vulgaires terroristes. Un acte manqué.
Un autre acte manqué fut la tenue de la Conférence nationale de mars-avril 1990. Dès son retour définitif au Gabon, le père Paul Mba Abessole soulève des foules. L’heure du changement pour la majorité du peuple gabonais avait sonné. A l’époque, les militants PDG rasaient les murs. Mais la conférence nationale terminée, Omar Bongo, maître de son agenda, avec l’appui de la France qui tenait Mba Abessole sous contrôle, reprit tout de suite le contrôle du pays. Au cinquième arrondissement de Libreville, Jean François Ntoutoume Emane contraignit le leader de l’opposition à un humiliant ballotage lors des législatives de l’après-Conférence nationale alors que tout montrait que le locataire de Siloé passait au premier tour. Sentant une possible défaite concoctée depuis le bord de mer, le saint homme refusa d’aller au second tour et décréta le boycott. Une aubaine pour son contradicteur naturel au sein de l’opposition qui clama : « La cause secondaire (celle de l’appartenance de Mba Abessole à l’opposition – ndlr) peut devenir la principale ».
A la présidentielle de décembre 1993, le Gabon, dans sa majorité, s’aligne derrière Mba Abessole qui inflige une véritable correction à Omar Bongo dans les urnes. Ce dernier refuse sa défaite et sort ses chars dans la rue. On dénombre des morts à Libreville, Port-Gentil, Oyem et Lambaréné, villes où les populations étaient descendues dans la rue pour protester… La France, encore elle, vola au secours d’Omar Bongo.
En 2016, les Gabonais, qui n’avaient pas oublié ce qui s’était passé en 2009, se mobilisent pour une sorte de referendum avec, comme choix, pour ou contre Ali Bongo. Tous les calculs faits, rien ne pouvait présager d’un quelconque maintien d’Ali Bongo au pouvoir. Le pays tout entier voulait en découdre avec un régime qui, durant son premier mandat, s’était montré impitoyable. Nombreux, au soir du vote, avaient commencé à savourer la victoire avant même le terme du dépouillement. Au soir du 31 août, le QG de Jean Ping grouille de monde. Tous attendent la bonne nouvelle. Le grand soir, dont ils avaient longtemps rêvé, venait d’arriver. Ils vont enfin le voir de leurs yeux. Malheureusement pour eux, tard dans cette nuit infernale, ils sont surpris par les engins de la mort d’Ali Bongo. Ceci sous la barbe de l’armée française qui avait pris position quelques jours plus tôt au camp de Gaulle. Un autre rendez-vous manqué, car la France prit acte du hold-up d’Ali Bongo tout en refusant le pouvoir à Jean Ping, le vrai élu.
Trois ans après, Ping continue de revendiquer sa victoire alors que la France, qui donne le pouvoir au Gabon, est passée à autre chose. Alihanga se comporte aujourd’hui comme en terrain conquis.
Tout en procédant à des nominations qui influenceront l’organisation des élections demain, BLA semble se trouver en terrain vierge où tout le monde au sein du régime rampe à ses pieds. Chez les Gabonais d’en bas, on vit cela comme un autre coup du sort, mais personne ne peut protester, la violence du régime est encore trop présente dans les esprits. On se résigne, on conspire en silence, mais sans plus. L’opposition a fait la démonstration qu’elle est dans l’incapacité d’inquiéter le régime actuel. Et comme tout régime porte en lui-même les germes de sa propre destruction, tout le monde espère que les contradictions graves qui minent le régime en ce moment arriveront à venir à bout de son règne. Mais là est une autre histoire.