Le 27 avril 2024, les lampions se sont éteints au stade de l’amitié sino-gabonaise d’Angondjé où les constitutionnalistes commis à la tâche, joues luisantes de crèmes, costards hors de prix importés de l’Occident, se sont démenés à fourguer dans les esgourdes des six cent commissaires leur invention du siècle, à savoir le régime présidentiel d’une durée de sept ans renouvelable une fois.
Les rentes épistémologiques gabonaises
Depuis lors, ces constitutionnalistes envahissent les écrans des chaînes de télévision publique. La 1ère chaîne les oppose à André Pépé Nze devenu coqueluche du général Brice Clotaire Oligui Nguema qui en a fait son idole et se trémousse de son air « Dzal ».
Les constitutionnalistes y font la promotion de la trouvaille sortie tout droit de leur boîte à idées : le régime présidentiel renouvelable une fois. Ils expliquent, démontrent et décortiquent ce qu’est un régime présidentiel fort, faible, voire semi-fort et patati et patata. Ils savent tout ça de tout ça et du bout des lèvres. D’aucuns les soupçonnent d’être des valeurs conventionnelles formées pour répéter et reproduire les concepts occidentaux grâce auxquels ils se sont bâtis des rentes épistémologiques ou des situation qui leur permettent de tirer des avantages d’une position protégée, de monopole. Des génies avec une pensée binaire qui, grâce à leurs parcours universitaires, pour les uns, leurs aptitudes aplaventristes pour les autres, se sont construit des postures honorifiques qui leur rapportent de l’argent, leur permettent de s’approprier une prestance et préséance certaines. Cette position agrée qu’ils se présentent à la société comme des bergers conduisant des brebis à retrouver le chemin perdu. Ces génies, qui écument les administrations publiques et parapubliques, sont placés çà et là par les Occidentaux pour de vecteurs de manipulation des consciences des populations et des âmes des institutions par le biais de la science ou des connaissances qu’ils possèdent ou supposent posséder. Il est prouvé, sous le soleil équatorial, que lorsque la science est subordonnée à l’argent et aux intérêts, elle perd sa neutralité. Elle pollue, prostitue et aliène l’attributaire.
La science est la capacité de l’homme à faire de sa culture un objet de connaissance. A partir de cette assertion, il reste à comprendre si l’élite intellectuelle manipule des connaissances ou seulement des savoirs. Car pour qu’ils deviennent des éléments de la connaissance, nos savoirs ancestraux devraient, le cas échéant, être soumis à l’épreuve du constructivisme. En d’autres termes, de la construction de la connaissance qui suit les phases de la contextualisation, de la décontextualisassion et de la recontextualisation afin qu’ils deviennent des objets de connaissance. En optant pour le régime présidentiel, les constitutionnalistes en herbe du dialogue CTRI/PDG/clergé n’ont fait que du copier-coller insusceptible d’établir des institutions fortes escomptées par le CTRI. Pendant que tous les secteurs de la vie économique et sociale sombrent à travers ce type de régime de gouvernement hyper présidentialisé par les Bongo, les constitutionnalistes commis à la tâche en font une trouvaille magique présentée aux populations comme un trophée de guerre courageusement remporté sans interroger l’histoire pour savoir comment nos ancêtres ont pensé le monde et comment ils y interagissaient.
Le pays des rendez-vous manqués
Il va peut-être falloir qu’on explique pourquoi le dialogue national du CTRI/PDG/clergé a subitement changé de cap. Allant du principe que la terminologie définit l’analyse et oriente les solutions, nous constatons que « restaurer les institutions » n’est pas la terminologie appropriée à la situation de notre pays dont la réparation ne peut se résumer par l’application d’un simple placebo. Elle nécessite plutôt une véritable acupuncture ou une chirurgie lourde.
La Conférence nationale, tenue à Libreville en 1990, avait donné l’opportunité aux Gabonais de procéder à une modification de la nature de leurs institutions. Mais les résultats obtenus au cours de cette rencontre (qui ne furent que des simples modifications de degré) connurent une application sélective, sinon purement et simplement jetées à la poubelle. Parmi les dividendes obtenus figure le fameux régime dit présidentiel fétichisé aujourd’hui par les commissaires constitutionnels du dialogue du CTRI/PDG/clergé. Cependant, celui-ci ne génère pas que le bonheur dans les pays qui l’ont souvent mis en œuvre. En Amérique latine, au lendemain des indépendances, la plupart des Constitutions de ces pays s’inspirèrent de celle des États-Unis d’Amérique reconnus maîtres du régime dont nos constitutionnalistes raffolent. Mais, très rapidement, sa pratique a divergé dans beaucoup de pays. Parmi les affres de celle-ci figure l’appropriation du pouvoir par un homme et son parti. Pour réagir, la plupart des constituants se sont contentés d’y mêler des emprunts au régime parlementaire par exemple, en attribuant au président la possibilité de dissoudre le Parlement ou en y introduisant des mécanismes de responsabilité. Juan J. Linz fait constater que les Constitutions des régimes présidentiels incorporent, paradoxalement, des principes contradictoires. D’un côté, ces régimes conduisent à créer un Exécutif fort, stable avec assez de légitimité populaire pour résister aux intérêts particuliers représentés dans le Parlement. D’un autre côté, ils reflètent aussi une forte suspicion à l’égard de la personnalisation du pouvoir. C’est ce que connurent les Gabonais tout au long du règne des Bongo avec l’hyper présidentialisme. Il s’est malheureusement retrouvé confronté au dilemme de la puissance puissante qui se conclut par la perte de la puissance.
Ici, le débat ne se situe pas entre régime présidentiel, régime parlementaire et autres. Comme nous le savons, toutes ces conceptions résultent de l’élite occidentale qui pense que la conception du monde de l’Occident est la conception de tout le monde. Vu ainsi, la seule et unique finalité est de nous faire consommer ce qu’elle a pensé. La durée dans le temps de cette logique, sa médiatisation et sa propagande semblent donner raison à ceux qui, comme Jerry Rawlings, pensent que « quand on a vécu longtemps à côté de la poubelle, on finit par ne plus sentir son odeur ; le cerveau, s’étant normalisé à cet état, ne détecte plus la puanteur ».
L’élite au pouvoir dans notre pays s’est accommodée à cette réalité qui se résume à dire que « lorsqu’on ne fait pas comme l’élite occidentale a conçu, on n’est pas dans la vérité ». Ainsi s’est normalisée la pensée linéaire, la mémété, autrement dit l’idéologie des mèmes.
Ayant longtemps refusé de réfléchir, l’élite au pouvoir chez nous se contente de reproduire ce que les autres ont élaboré. Les autres ont établi des régimes de gouvernement, la démocratie, les droits de l’Homme…, l’élite s’est accommodée et demeure consommatrice résignée des doctrines et concepts occidentaux, même ceux qui sont nés du monde des ténèbres. Toutes choses à l’origine du drame intellectuel du pays avec des diplômés répétiteurs des narratifs des Occidentaux. Notre drame intellectuel est alors l’auto-maintien de notre élite dans une position marionnétique. L’absence de volonté d’en sortir fait du Gabon le pays des rendez-vous manqués. La Conférence nationale de 1990 et le récent dialogue national inclusif constituent trente-quatre (34) ans de désillusion et de gâchis.
Faire preuve d’ipséité
En quête de la restauration d’institutions fortes, le dialogue du CTRI/PDG/clergé aurait servi autre chose qu’une simple « reproduction de la colonialité » par l’exploration de mécanismes qui feraient preuve d’ipséité avec l’intégration de nos valeurs sociétales gardiennes de notre civilisation pour instaurer des institutions portant des références qui tiennent compte de nous. La restauration des institutions aurait débuté par une phase interrogative : comment nos ancêtres ont-ils pensé le monde et comment interagissaient-ils ?
A l’évidence, nos ancêtres ont imaginé des sociétés et ont mis des règles pour les régir. La littérature donne trois directions en lien avec la conception très ancienne des sociétés africaines. Il s’agit de la relation harmonieuse entre l’homme et l’univers, entre l’homme et l’homme, entre l’homme lui-même et son intérieur.
Les organisateurs du dialogue auraient convoqué la mémoire sémantique des meilleurs anthropologues, philosophes, sociologues, juristes, historiens et des penseurs libres sur la question pour recourir au cadre historique général de nos connaissances ancestrales. C’est l’exhumation des régimes d’administration des sociétés d’antan, aujourd’hui en état de latence, et de la nature des règles qui ont régi leur fonctionnement qui permettrait l’émergence d’institutions faisant enfin preuve d’ipséité, frappées du sceau d’une identité propre. La mission confiée à ce compendium d’experts aurait été de réfléchir sur la mise en place d’institutions soumises aux ordres absolus et immuables de nos cultures ainsi qu’au respect de la nature et non des simples reproductions des rhétoriques d’usage et de convenance de marionnettistes tapis dans l’ombre.
Nonobstant le caractère méphistophélique des Bongo, caractérisé par leur volonté de se maintenir au pouvoir à tout prix, si, malgré les dialogues et conférences à répétition et que les problèmes demeurent les mêmes, la responsabilité incombe à l’élite politique et militaire au pouvoir qui a « capitulé en rase campagne » face à la conception de l’Occident qui fait du Gabon l’un des seuls condominiums terrestres, c’est-à-dire un Etat souverain dont la souveraineté nationale est contestée par d’autres Etats souverains. Ce fut le cas du condominium anglo-égyptien sur le Soudan de 1888 en 1956 et le condominium franco-britannique sur les Nouvelles-Hébrides, archipel de l’océan Pacifique, de 1906 en 1980.
Le condominium sur notre pays est caractérisé par la manipulation constante de nos institutions par les néo colonisateurs. Les dirigeants de notre pays sont présélectionnés par le pouvoir dominant néocolonial et les élections consistent à donner l’illusion d’un choix démocratique du peuple souverain.
Et dans ça tout s’installe le caciquisme où payer les Rappels de solde amène le nouvel homme fort du Gabon à dire aux fonctionnaires, je vais payer mais si vous faites grève je ne paierai pas, comme s’il s’agissait d’une faveur et non un droit.
Vu comme un Messie, comment le bonhomme ne va-t-il pas se croire avec tous les droits de faire et défaire?
C’est ce qui arrive dans tout pays de moutons et de bénis oui oui.