A la tête d’un mouvement baptisé « Mouvement patriotique des jeunes des forces de défense et de sécurité du Gabon (MPJFSG) », le lieutenant Kelly Ondo Obiang et ses frères d’armes ont lancé une offensive militaire dans la matinée du 7 janvier 2018. L’objectif était la prise de pouvoir et la restauration de la souveraineté.
Un acte politique qui rentre, quoi qu’on en dise, dans l’histoire du Gabon, mais qui laisse entre doute sur la sincérité de l’opération et désillusion pour une grande partie de l’opinion nationale qui, visiblement, était descendue dans les rues de Libreville et de l’intérieur du pays pour saluer le « changement » de régime par les militaires. Une difficile synthèse à établir quelques jours seulement après l’évènement.
L’hypothèse d’un vrai faux coup d’Etat monté par les émergents
En effet, l’appel de l’officier de la garde Républicaine, Kelly Ondo Obiang, et ses frères d’armes a été teinté de doute et d’une volonté d’y croire. Cela est normal parce que nous sommes dans un pays où le pouvoir a le faux dans son ADN : fausses élections, faux papiers du président en place, faux budgets, etc. Nous sommes dans un pays où c’est le pouvoir lui-même qui a toujours crié au feu tout en l’allumant. En 2015, fausse découverte d’armes sur l’îlot gabonais Nendjé pour faire croire que l’opposition voulait fomenter un coup d’Etat. En 2017, l’affaire Aba’a Minko qui menaçait de faire sauter le centre-ville si Boa ne démissionne pas et là, en 2019, le commando dirigé par Kelly Ondo Obiang qui prend la RTPDG et appelle la classe politique à les rejoindre à l’Assemblée nationale pour mettre en place un « Conseil national de la restauration »…Des évènements qui ont presque un même fil conducteur : montage d’un homme ou d’une affaire d’armes. Mais, en réalité, bien que comparaison ne soit pas raison, dans quel pays un renversement du pouvoir établi par les armes s’est-il opéré de la sorte ? Nulle part !
Sur le plan tactique, comment un groupe de quelques « officiers », par de simples soldats de rang, mais des officiers qui ont étudié la stratégie de guerre, peuvent-ils croire que sans un véritable bataillon, la prise d’un site sensible (RTPDG), voire l’attaque de quelques structures peuvent garantir le succès d’une prise de pouvoir par la force dans un espace quadrillé par des camps militaires (GR et Baraka pour le centre-ville et Camp Aïssa et groupement blindé de la présidence pour la protection de l’aéroport et du domicile privé du chef de la junte Boa et, plus loin, à plus de 10 km, le Bataillon de reconnaissance et de combat (BRC) au PK 12 pour stopper une attaque entrant sur Libreville ou pour venir en renfort des troupes du centre-ville en cas d’attaque ? Le dispositif militaire installé tourne, non pas autour de la sécurité de l’Etat et des Gabonais, mais de la personne du président de la République. A cela il faut ajouter le camp de Gaulle (armée française) qui est le dernier rempart sécuritaire du régime des Bongo. Il aurait donc fallu un vrai bataillon (200-500 hommes) qui, lourdement armé et prenant les autres par l’effet de surprise, pouvait, entre 04heures du matin et midi, prendre réellement le pouvoir en neutralisant la capacité de réaction des principaux camps opérationnels du centre-ville. Or, il n’en a manifestement pas été le cas. Même dans l’hypothèse que le commando dirigé par Kelly Ondo Obiang aurait été lâché au dernier moment par d’autres collègues, l’on peut légitimement douter qu’ils avaient mobilisé une masse critique de leurs collègues pour intenter, comme cela a souvent été le cas ailleurs, un vrai coup d’Etat militaire. Donc, des doutes…
Il faut donc rechercher ailleurs les raisons qui auraient motivé, à un titre ou un autre, ces jeunes officiers, certes bien formés dans leur CV, mais disposant de peu d’expérience opérationnelle. Promesse de galons et d’argent ? On le saura. En effet, politiquement, il est établi que Boa ne reviendra plus au Gabon pour diriger ce pays. Les séquelles irréversibles de son AVC sont visibles dans les vidéos amateurs tournées dans sa ville de retraite médicale à Rabat, au Maroc : locution affaiblie, œil et regards brouillés, côté droit atteint, difficulté à se maintenir assis tout seul pendant quelques minutes… Conscients de ce que s’ils allaient aux urnes ils perdraient les élections sans appel comme Kabila vient de le vivre cruellement (son candidat est sorti 3ème malgré la fraude), et cela après 17 ans de pouvoir sans partage et 2 ans (2016-2018) de préparation de ce scrutin pour le tricher, les émergents cherchent le scénario adapté pour éviter les urnes. Le premier est de faire croire aux Gabonais que Boa dirige le pays depuis Rabat, qu’il y tient des réunions tous les jours avec ses collaborateurs, etc. Comme ce scénario exige des apparitions épisodiques de Boa difficilement réalisables, ils cherchent un plan B. Ce plan consiste à déclarer l’état d’urgence et à imposer une marche militaire au pays : pas d’élections, arrestations des politiciens de l’opposition, des journalistes, instauration de couvre-feu, etc. L’état d’urgence est prévu par la Constitution et ne se décrète qu’en cas de menace à la sécurité de l’Etat. Le Burkina Faso, le Mali et bien d’autres pays l’ont déjà décrété à cause des attaques terroristes. Dans d’autres cas, il est décrété par un gouvernement en cas de drame naturel (tremblement de terre, etc.).
En manipulant et en doublant ces jeunes officiers (deux tués froidement abattus pour faire croire à une vraie opération), majoritairement d’ethnie fang (Woleu-Ntem, la province frondeuse, rebelle selon les émergents), cela constituerait une occasion de décréter l’état d’urgence pour justement clore le débat sur la santé de Boa, arrêter les opposants cités par le jeune officier et ratisser d’autres milieux politiques et de la société civile qui tiennent le leadership de la contestation anti-régime. Tout le monde en prison. Ce qui leur permettrait, avec une Assemblée nationale monocolore, de diriger le pays à leur guise.