Notable de la province du Moyen-Ogooué et de la République, Eugène Revangue, dit le Villageois, certainement à cause de son attachement au village, dans cette tribune qu’il signe, nous partage les raisons de son « oui » au référendum du 16 novembre dernier. Sans fausse modestie, l’homme a commencé par étaler son CV, question de montrer que non seulement il est loin d’être un crève-la faim, mais aussi qu’il s’est battu toute sa vie pour préserver son honneur et défendre des principes… Lecture !
Le 16 novembre 2024 j’ai voté « oui » après avoir partagé ce point de vue avec plusieurs Gabonais qui hésitaient entre le « oui » et le « non ». Avant d’évoquer les raisons de mon choix, je voudrais, d’abord, me présenter aux Gabonais dont nombreux, à la première rencontre, quand je leur dis que je m’appelle Eugène Revangue, sursautent, surpris, en criant « ah, le mari de Madame Revangue, ou le père de…». Ce qui suppose que mon épouse et certains de mes enfants sont plus connus que moi-même.
Qui suis-je ? Sans fausse modestie, le diplôme le plus élevé que j’ai obtenu, après le brevet élémentaire, est celui d’instituteur de la 2ème promotion de l’Ecole normale de Mitzic, la première promotion étant celle de l’écrivain-poète Ndounah Dépénaud. J’ai enseigné une année à la mission protestante d’Andende, à Lambaréné, dans une classe de CP avec comme élèves Dr Guy Mviè Nguema, médecin, Dr Moïse Nsolet-Biteghe, docteur en histoire, enseignant à l’UOB, pour ne citer que ceux-là, une promotion de 25 élèves, tous diplômés de l’enseignement supérieur.
Cette expérience dans l’enseignement s’achève une année scolaire après, suite à ma réussite au concours général d’admission à l’Ecole des cadres communs supérieurs de l’AEF, école annexée au lycée fédéral Savorgnan de Brazza, à Brazzaville. Diplômé de cette école, je suis intégré dans la fonction publique par décret à compter du 1er août 1959, affecté, sans stage pratique, comme agent spécial du trésor à Mimongo où je fais 2 années avant d’être muté à l’agence de Mouila (3 ans). Entre-temps, je m’inscris, par correspondance, à l’institut d’études administratives africaines de l’université de Dakar Fann où j’obtiens, en une année, le diplôme du 1er degré, équivalent à 2 années de capacité en droit, l’année suivante, le diplôme du second degré dont l’équivalence, à l’époque, correspondait à 2 années de licence en droit (licence en 4 ans).
Ce parchemin m’autorise à participer au concours d’entrée à l’Institut des hautes études d’outre-mer (IHEOM), avenue de l’observatoire, à Paris, aujourd’hui Institut international d’administration publique (IIAP). J’y suis admis en octobre 1964. Diplômé de cet institut, je rentre au Gabon en janvier 1967. J’occupe les fonctions de chargé d’études au cabinet du ministre de l’Agriculture (ministre Joseph Etoughe Ostaghe) pendant 6 mois, puis nommé successivement contrôleur fiscal au cabinet du ministre des Finances et du Budget, directeur adjoint du budget chargé du patrimoine, un stage de finances publiques à l’institut du Fonds monétaire international, directeur général adjoint de la Caisse gabonaise de prévoyance sociale (CGPS) fin1973, en pleine réforme pour devenir Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) par la loi 6/75 du 25 novembre 1975 dont l’élaboration est le fruit d’un travail collectif du groupe que nous formions. 8 ans après, je suis nommé premier directeur général de l’Institut de l’économie et des finances, puis, cumulativement avec ce poste, directeur général de la fonction publique, ensuite directeur général de la Caisse nationale de garantie sociale (CNGS), inspecteur général au ministère des Affaires sociales. Admis à la retraite en 2003, je suis rappelé en activité au ministère des Affaires sociales par le ministre André Mba Obame qui initie aussitôt les réformes qui ont abouti à la création de la fondation des hôpitaux (très tôt abandonnée) et de la Caisse nationale d’assurance maladies (CNAM) transformée en CNAMGS par décisions de son successeur. Ce changement justifiait mon départ définitif pour jouir de ma retraite en 2005.
Cette longue carrière administrative m’a contraint, à plusieurs reprises, à un dilemme « cornélien » : garder intact mon honneur, m’enrichir illicitement ou encore placer les membres de ma famille dans des emplois publics. J’ai choisi mon honneur. En effet, en ma qualité de directeur du patrimoine de l’Etat, j’avais la responsabilité de l’hébergement et de l’ameublement de tous les fonctionnaires, tant à Libreville que dans toutes les provinces du Gabon. J’avais comme collaborateur un adjudant de gendarmerie qui, en complicité avec les vendeurs de meubles, est devenu, en si peu de temps, propriétaire de multiples villas. Mes rapports pour dénoncer cette situation sont restés sans suite jusqu’à ce que le concerné soit rappelé par Dieu.
Ce qui m’a valu aussi une sorte de sanction à mon retour de l’Institut du fonds monétaire international (IMF). J’ai été interdit de travailler à la direction du budget pour avoir, avant mon départ pour Washington, dénoncé le bradage du patrimoine de l’Etat et, surtout, le refus de m’octroyer une villa à Batterie IV alors que c’est moi qui les distribuais aux autres fonctionnaires. Parmi ces derniers, il y en a encore en vie pour le témoigner (n’en déplaise à mon ami Jean-François Ntoutoume Emane ; qu’il veuille bien accepter mes excuses pour le citer).
Enfin, directeur général de la fonction publique de 1981 à 1991. Des enfants en quête d’emplois. Sur 10 enfants du couple et sensiblement le même nombre de neveux et nièces, de mon épouse et de moi-même, qui sont passés sous mon toit, deux seulement ont émargé dans la fonction publique : une fille professeur de maths-physique-chimie au lycée Léon Mba et une autre médecin dermato-vénérologue, avec possibilité de dispenser des cours partout et ouvrir son propre cabinet. Les autres ont créé chacun son entreprise, de taille différente bien sûr, mais chacun à la tête de son affaire et solidaires, ils le sont. Très jeunes, ils ont appris que le fonctionnaire que j’étais n’avait pas de salaire, mais un traitement qui ne pouvait pas lui autoriser une aisance financière outrancière, sauf cas de détournement de deniers publics. Quelle horreur et quelle honte pour la société ! Toujours est-il que j’ai mis mon honneur en tête de mes priorités.
Ce long déballage m’est apparu nécessaire pour que les Gabonais sachent qu’il y a encore, dans ce pays, des personnes qui font des choix loin de toute compromission possible. En faisant celui de voter « oui » au référendum, c’est après une longue analyse de la situation et en se posant toujours la question de savoir ce qu’on peut obtenir en retour après chaque acte posé.
Nous avons construit ce mouvement à la suite d’un aveu formulé par le président Ali Bongo Ondimba à l’occasion de la célébration différée du 55ème anniversaire de son parti politique en avril 2023. Aveu de son absence du pouvoir pendant cinq (5) années ! Nous avons battu, en 2023, une campagne citoyenne contre l’organisation d’élections générales nouvelles, cause de pertes en vies humaines.
Promouvoir une transition encadrée par la Communauté internationale était notre souhait. Cette dernière est restée muette et sourde aux cris des Gabonais. Elle s’est contentée de se mêler d’une candidature consensuelle suggérée par les partis politiques regroupés autour d’Alternance 2023. Ce qui mettrait fin aux revendications des élections tronquées de 2016 et qui, in fine, justifierait de nouveau une victoire du président sortant. Le challenger retenu, sevré de parti politique et de moyens de sa campagne, présageait la meilleure stratégie d’un nouveau coup d’Etat électoral. C’est ainsi que le système a toujours fonctionné.
Mais, ironie du sort, le candidat consensuel bénéficie du soutien des autres candidats éliminés de la course, pourtant mieux outillés. Ensemble, ils drainent des foules. Une situation inattendue qui invite les forces de défense et de sécurité, que nous saluons vivement, à arrêter ce spectacle de mauvais goût, à proposer au peuple, qui l’a acceptée à bras ouverts, la transition qu’il a toujours rêvée par la voix des sages devenue, en la circonstance, une réalité palpable.
Les sages, sans texte définissant leur statut, disposés à partager leur expérience avec les autres Gabonais, ont été reçus par le président de la transition, malgré la réticence de certains de ses collaborateurs. Quelques-uns parmi ces sages ont eu le privilège d’être admis dans l’Ordre national de la libération, au grade de commandeur. Ils sont, à ce titre, désignés « Compagnons de la libération ». Ils ont été entendus par le bureau de la Constituante. L’écho retentissant de leur voix ne serait-il pas, en toute honnêteté, le fruit de l’attention toute particulière que le chef de l’Etat porte sur notre rôle ? Pour quelles raisons nous éloignerions-nous alors que tout milite en faveur de notre présence permanente à côté de celui qui tient le pouvoir ?
La transition, telle que nous l’avons imaginée, ne saurait s’arrêter avec l’adoption d’un texte qui favorise simplement le retour immédiat à l’ordre constitutionnel. Répondre par un « oui » nous débarrasse d’une Communauté internationale hypocrite qui, pendant plus de cinq années de naufrage de notre pays, nous a ignorés. Il appartient à tout Gabonais conscient de prendre en main la destinée de son pays.
Sortir de la pression internationale en disant « oui » était notre priorité. Le « non » aurait perpétué la crise institutionnelle et la présence de la Communauté internationale dans nos murs. N’oublions pas que les forces extérieures sont redevables d’une explication, au peuple gabonais, sur la perte en vies humaines occasionnée par les évènements sanglants de la nuit du 30 au 31 août 2016. Au regard du rapport de la Mission d’observation électorale de l’Union européenne (MOE-UE), Ali Bongo Ondimba ne se serait pas autorisé un tel acte sans leur caution.
Le « non », enfin, n’était qu’une diversion de trop de la faction PDGiste désireuse de se refaire une place au soleil. Il ne fallait pas lui laisser cette opportunité que certains ambassadeurs lui offrent gracieusement.
Tous les peuples ont besoin de leaders pour les diriger. Ce que ne tolèrent pas les puissances qui nous exploitent et sèment la zizanie entre nous : diviser pour mieux régner, déstabiliser le pays par des manipulations multiples, voire des coups d’Etat successifs ! Pour y parer, le peuple gabonais, fortement uni, doit s’abstenir de tout repli identitaire et soutenir ensemble nos propres leaders dont certains membres actuels du CTRI. Sommes-nous incapables de redéfinir notre vivre-ensemble pour laisser des vautours toujours à nos côtés avec des conseils qui privilégient leurs intérêts égoïstes ?
La perfection n’est pas de ce monde et tout texte ne vaut que par les personnes appelées à l’appliquer. Le projet soumis à referendum n’échappe pas à cette remarque. Il contient des avancées, certes, mais aussi des articles qui laissent supposer un recul démocratique. Il n’en demeure pas moins qu’on peut l’améliorer et la proximité des anciens au pôle des décisions contribuera, j’en suis certain, à rendre cette loi « intemporelle-impersonnelle et non discriminatoire ».
Les Gabonais ont montré leur capacité à transcender leurs divergences en 2016 et, tout dernièrement, en 2023 par le choix à chaque fois d’un candidat consensuel à l’élection présidentielle. La classe politique française en décadence croit pouvoir user des pratiques surannées dont le monopole réserve à son président la primeur de la reconnaissance internationale d’un président élu en Afrique francophone. Cela doit prendre fin définitivement.
Pour conclure, je dirais que notre engagement ne peut être porteur de fruits que si nous restons à côté du pouvoir qui, le moment venu, décidera de l’institutionnalisation d’une cellule du conseil des sages auprès des hautes autorités. Contrairement aux partis politiques dont le leader peut être porté au pouvoir par le peuple, les syndicalistes, par leurs corporations respectives, un organe de sages autour du chef, jouant le rôle de médiateur ne sera jamais l’œuvre d’un peuple, mais au service du peuple.
« Heureux ceux qui ont vécu, qui ont écouté, qui ont vu et qui ont retenu », dixit Guy Nang Bekale dans son livre « De l’aurore au crépuscule de mon séjour terrestre ». Encore, sans fausse modestie, le Villageois pense faire partie de ces élus.
Eugène Revangue, dit le Villageois