La mairie de Libreville est-elle anti-développementiste ? Un ancien haut cadre de l’Estuaire, ancien conseiller de Jean François Ntoutoume Emane, alors maire de Libreville, donne son point de vue, en comparaison avec Abidjan, la capitale de la Côte d’Ivoire. Il l’explique, tout ému, dans cet entretien qu’il nous a accordé le week-end écoulé.
Mingo : Monsieur Jean-Baptiste Pontife Mba Ondzaghe, merci de nous accorder cette interview. Vous êtes à nos jours, l’un des doyens originaires de Libreville encore en vie et avoir vu le premier maire de la capitale gabonaise, feu Léon Mba exerçant comme maire de cette ville. Pouvez-vous nous dire succinctement, comment les premiers maires de la première ville du Gabon ont travaillé cette agglomération ?
Jean-Baptiste Pontife Mba Ondzaghe : Evidement, j’ai vu le premier maire de Libreville, Léon Mba travailler. J’ai vu le maire délégué, M. Lassy travailler Libreville. Par exemple, le feu tricolore de Nombakélé et les routes de Lalala à gauche. J’ai vu M. Obiang Etoughe, président des collectivités de l’Estuaire faire les routes de Derrière la prison. Construire des écoles primaires d’Okala, d’Ambowé avec logements des directeurs. La plupart des Louango le savent aussi bien que moi, puisqu’ils habitaient où se trouve l’actuel hôtel Louis. L’un d’entre eux, Henry Tasine, s’est d’ailleurs détaché des autres et est allé construire en face de la gendarmerie et a donné le nom de Gros Bouquet, à cause du bouquet de fleurs qu’il avait dessiné sur la porte d’entrée de son atelier de couture situé en face du camp de gendarmerie actuel.
Vous êtes allé à Abidjan, en Côte d’Ivoire dans les années 1970, en tant qu’étudiant. Et vous y êtes resté pendant votre cursus académique. Comment s’est développée cette ville pendant votre séjour ?
Je suis de la troisième promotion des étudiants gabonais en Côte d’Ivoire. De 1969 à 1971. J’ai vu le maire Konan Kanga ; j’ai vu le maire Dioulou ; j’ai vu le maire Konan Mobio ; j’ai vu le maire Hucher Assouan travailler Cocody, un quartier d’Abidjan, en Côte d’Ivoire. J’ai vu tous ces maires travailler pour la beauté d’Abidjan. Partir de rien pour aujourd’hui devenir un pays envié. La Côte d’Ivoire toute entière est devenu un pays magnifique, sublime, quand on sait que la plupart des fèves de cacao parties de Bitam au Gabon et, dans le Woleu-Ntem, des boutures de cocotiers partis de Libreville en 1940/1949 pour la Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, la cocoteraie de Grand Bassam existe toujours.
Je connais bien ce pays. Si je fais la comparaison de sa capitale avec la nôtre, ou, si je critique le non développement de Libreville, que les gens retiennent que, critiquer n’est pas dénigrer. Aussi, j’ai été nommé en 1980 grâce aux bienfaits du président feu Omar Bongo Ondimba comme représentant d’Air Gabon en Côte d’Ivoire et au Sénégal pendant 8 ans. Mes fonctions comme représentant m’ont permis de visiter 65 pays dans le monde, dans le cadre de mon travail. Il fallait aussi dire que je fus en même temps Secrétaire général adjoint de l’association des représentants des compagnies aériennes de Côté d’Ivoire (ARC) et mon Secrétaire général était le représentant de Alitalia Côte d’Ivoire, M. Malto.
Vous dites que vous avez visité 65 pays des 194 qui composent le monde. Libreville ne vous fait pas rêver comme certaines villes des pays que vous avez visitées ?
Assurément le monde a 194 pays les moins 65 que j’ai visité, donc je peux parler des villes dans le monde. A commencer par le Brésil, la France, la Hollande, la Suisse, l’Angola, le Togo, le Bénin, le Burkina Faso, la Guinée Conakry… Aujourd’hui, ma capitale Libreville ne me fait pas rêver. Je me pose des questions sur de multiples manquements qui s’y trouvent et qui constituent le développement d’une ville. Pas de bibliothèque municipale, pas de maison de théâtre, pas de zoo où les touristes peuvent se rendre pour admirer par exemple les animaux de chez-nous. Les boulevards comme celui Bessieux, Léon Mba, le carrefour Rio dit de la Tolérance ne sont pas pavoisé de fleurs ni d’arbres de circonstance pour faire de l’ombre. Là, ce sont des manquements de la mairie de Libreville. Il faut partir d’un principe simple, une ville qui ne se développe pas se détruit. Et il faut savoir faire des éloges aux autres villes.
Pour ce qui concerne mon pays, surtout ma ville, aujourd’hui je suis content de constater un changement radical des locaux des services de la police de l’immigration bien construit dans notre cité, et cela fait la fierté du Gabon et des étrangers aussi d’être traités dans de bonnes conditions afin d’avoir leurs cartes de séjour. Bravo aux responsables décideurs de ce projet d’embellissement. Je vous assure que cela fait plaisir aux yeux des passants et surtout les gabonais qui sont déjà sortis du Gabon.
A vous entendre, on est tenté de penser que vous n’aimez pas Libreville. Dites-nous clairement, est-ce que vous aimez votre ville ?
Je ne fais qu’un constat. J’aime ma ville, mais je veux rêver pour me sentir fier d’être gabonais chez moi et pas trop envier d’autres pays. La semaine a 7 jours, disons 6 jours de travail. Pendant les 6 jours, le maire doit pouvoir prendre 2 jours pour la visite des quartiers. J’ai vu l’ancien maire Jean François Ntoutoume Emane le faire très souvent. C’est cela le rôle d’un maire. Dommage que les ronds-points laissés par ce dernier sont maintenant dans un état sans commentaire agréable. Dommage aussi que le plus grand marché d’Afrique que ce dernier voulait réaliser pour léguer à son pays n’ait pas pu connaître la réalisation. Cela aurait pu donner du travail à plus de 1000 gabonais confondus. Dommage… !
Vous étiez l’un des conseillers de l’ancien maire de Libreville, Jean François Ntoutoume Emane, donc au fait de l’organisation de l’hôtel de ville de Libreville. Pourquoi la capitale de notre pays n’est pas développée, avec autant d’importants budgets alloués à cette institution chaque année ?
Figurez-vous que les entreprises auxquelles on donne les marchés, pour la plupart, ne terminent pas leurs travaux. C’est le cas de la plupart des rues et boulevards. Et la mairie ne dit rien à ce sujet. C’est vraiment regrettable pour la beauté de notre ville. Referons-nous à la ville de Nice, en France, avec laquelle nous avons fait un jumelage. Non! Entre nous. Il y a un problème que l’Etat devrait voir avec la mairie afin de prendre les mesures nécessaires au développement de notre cité. Par exemple, prendre un arrêté municipal afin de demander aux uns et aux autres de peindre les bâtiments au moins une fois dans les 3 ans. Cela est faisable et cela ne regarde pas le président de la République. Au contraire, il en serait heureux.
L’histoire nous apprend que, les premières élections des maires de Libreville sont organisées par les 27 anciens esclaves débarqués sur les côtes libreviloises par le bateau Elizia. Et que, le 25 août 1849, un nommé Mountier, qui signe d’une croix, est élu maire de Libreville. Avec pour adjoint, un certain Pilate. Depuis lors, votre ville n’a-t-elle pas connue de grandes restaurations pour son développement ?
Cette époque est très lointaine. Je ne l’ai pas connu. Je vous parlerais de celles que je connais. Libreville a connu 7 grandes restaurations. Il s’agit des constructions du pont de Lalala le 3 octobre 1949, du pont Mpirah à Mbatavéa où à l’inauguration, il y a eu plusieurs sortes de danses folkloriques pour l’événement. Il y a eu la fête du centenaire de Libreville en 1950, la construction de la digue du bord de mer par le président Léon Mba avec le soutien du polytechnicien français Zingzing et du gabonais Nze Biyene des Travaux publics. Cette digue a été réalisée, parce qu’en 1952, une grosse vague est venue de la mer (le Komo) et l’eau de la mer était tout au long de la côte de Libreville. Et les poissons étaient partout. Un régal pour nos mamans avec des paniers sur le dos afin de ramasser du poisson frais. C’est après cela que Mrs. Bretonney et Jean Wack ont fait le remblai d’une partie de Libreville, au niveau de la côte (Glass et Sainte-Marie). Jean Wack pour le Fort d’Aumale aujourd’hui appelé Port-Mole et Bretonney pour Glass et Oloumi.
Il y a eu l’avènement de la fête de l’indépendance en 1960/1961 où l’on a enregistré l’embellissement, l’animation par le premier groupe d’animation, Ndzoume-Ndzoume. Les femmes étaient habillées en blanc. En 1967, on a enregistré le premier carnaval qui était un mouvement de fraternisation. Il y a eu également la tenue de la conférence de l’UAM ici à Libreville après celle de l’OCAM à Madagascar. Les bars de Libreville, tels que Paradis bar, Ossouka bar, Viérin bar… étaient en mouvement. En 1977, il y a eu l’OUA, d’où la construction des hôtels que le Gabon a construit sur fonds propres. Généralement, les hôtels sont construits par des capitaux privés. Enfin, bref. C’est un dossier sur lequel je suis à l’aise étant donné que je suis moi-même inspecteur général du tourisme et administrateur hôtelier, ancien Directeur général adjoint du Novotel Rapotchombo, assistant Sheraton Paris, assistant Sheraton Bruxelles, assistant Sheraton Londres, Directeur général adjoint Sheraton Livre et enfin, Directeur général adjoint Novotel Libreville. Il faut noter également que je fus le premier Directeur général à ouvrir le Mvet Palace à Oyem lors des fêtes tournantes gabonaises.
Il y a eu plusieurs événements de triste mémoire ces derniers temps dans notre pays. En ce qui concerne Libreville, il s’agit surtout du naufrage du bateau Esther Miracle. Que dites-vous de ce drame ?
A propos des morts sur le bateau Esther Miracle entre Libreville et Port-Gentil, je souhaite d’abord mes condoléances à toutes les familles éprouvées. Et pour éviter ce genre de drames dans l’avenir, je pense qu’une grande stèle est nécessaire comme l’a suggéré le gouvernement à la population gabonaise. Je crois que c’est une bonne idée. Cette stèle doit être lumineuse et construite en pleine mer. Cette construction est à négocier entre la mairie de Libreville et le ministère de l’Intérieur et à soumettre au gouvernement (le président de la République). Non seulement cette stèle va embellir la ville de Libreville, il y aura aussi un cachet particulier pour les touristes, parce-que tout pays mérite des monuments historiques.
En guise de conclusion ?
En guise de conclusion, je dis que le maire d’une capitale a une noble tâche à remplir. Sa tâche relève plus de l’utile, du concret, c’est un bâtisseur. Son rôle est de construire une ville plus prospère, plus saine, plus innovatrice et plus heureuse d’y vivre.
Propos recueillis par C.O.