Aujourd’hui, samedi 31 août, le projet de Constitution portant l’estampille experte du Comité constitutionnel national a été officiellement et solennellement remis au président de la transition. De ce qu’il ressort de l’énoncé de ses dispositions essentielles par la présidente dudit comité (par ailleurs ministre en charge de la Réforme des institutions), il n’est manifestement pas question de régime présidentiel idéal-typique que d’aucuns se sont figurés. Lequel est, par l’esprit autant que par la lettre, celui de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs (principalement l’Exécutif et le législatif) comme chacun le sait.
Il s’agit, à proprement parler, d’un régime de mélange ou de confusion des genres dont le fin mot est d’ériger le président de la République en autocrate de droit, à l’inverse du système Bongo-PDG qui s’était borné à n’être autocratique que de fait.
Dans l’attente d’être en possession de l’intégralité du texte – qui doit encore transiter par un Parlement de la transition mué en Constituante – je puis d’ores et déjà dire la déception profonde qui est la mienne devant le constat, non seulement de la sourde oreille aux mises en garde du public contre la tentation obstinément hyper présidentialiste et contre le recul démocratique dont ses inspirateurs font montre, mais plus généralement des incongruités que ceux de ses rédacteurs qui sont auréolés des titres de constitutionnaliste et d’agrégé en droit public ont laissé passer en connaissance ou en méconnaissance de cause.
Un mélange des genres parlementaire et présidentiel
Parmi les nombreuses incongruités constitutionnelles que je note d’emblée dans le projet, quatre me paraissent particulièrement saillantes.
1) La dissociation du mandat de député d’avec le parti politique sous la bannière de laquelle il a été élu. Bien que le mandat de député soit généralement admis comme n’étant pas impératif, il est inconcevable dans le système présidentiel américain qu’un sénateur ou un représentant exclu du Parti républicain ou du Parti démocrate conserve son siège au Congrès, ou qu’un parlementaire britannique exclu de son parti garde son siège à la Chambre des communes en passant outre l’élection partielle. La pratique constante de par le monde est que les mandats de députés appartiennent aux partis politiques, hors le cas des indépendants et autres apparentés.
Une des conséquences de la disposition selon laquelle un député exclu de son parti conserve son siège est que le président de la République (qui, sous nos cieux, tend à disposer des deniers publics à sa convenance) pourra corrompre ou débaucher les députés à volonté et, de ce fait, aura la haute main sur le législatif ainsi que le Gabon en a vécu l’expérience à la suite des législatives de 1992. La négation même du principe de séparation des pouvoirs tant clamé par les tenants du régime présidentiel.
2) L’affirmation de l’incompatibilité entre les fonctions de membre du gouvernement et celles de parlementaire qui est déjà la règle dans la Constitution actuelle. C’est justement en vertu de cette règle qu’au Gabon les députés ont été élus en ticket avec un suppléant, lequel par définition supplée automatiquement le titulaire quand celui-ci accepte une fonction exécutive, ce pour ne pas multiplier les élections partielles.
3) L’existence d’un vice-président du gouvernement aux côtés d’un vice-président de la République. Pour rappel, il ne peut y avoir de vice-président du gouvernement s’il n’y a pas un président du gouvernement. Or, le président de la République n’en porte pas le titre en régime présidentiel, même s’il en assume la fonction de facto. Le titre de président du gouvernement et (donc) celui de vice-président du gouvernement n’existent qu’en régime parlementaire.
Le président du gouvernement est l’appellation du chef du gouvernement, notamment en Espagne, pays à régime parlementaire dont le chef de l’État est un monarque. Il n’est ni plus ni moins que l’équivalent du Premier ministre et du président du conseil (des ministres). Cette dernière appellation est utilisée actuellement en Italie et a été utilisée en France sous les 3è et 4è Républiques avant d’être abandonnée pour celle de Premier ministre sous la 5è République actuelle. Autrement dit, le projet de Constitution prévoit la fonction de vice-Premier ministre alors qu’il n’y a pas de Premier ministre.
4) Mais l’incongruité, sans doute, la plus flagrante dans le projet de future Constitution est que le président de la République est investi du pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale.
S’il n’est pas interdit d’innover, il faut rappeler qu’une telle disposition n’existe pas dans les Constitutions véritablement présidentielles. La dissolution du Parlement étant plutôt l’apanage du chef du gouvernement sous un régime parlementaire, même à Exécutif monocéphale comme celui de la République d’Afrique du Sud. La Constitution de ce pays, bien que ne prévoyant pas de Premier ministre, mais un président de la République qui cumule les fonctions de chef du gouvernement, est bel et bien parlementaire. Précisément, en contrepartie de son pouvoir de dissoudre le Parlement, le président de la République sud-africaine et son gouvernement sont responsables devant ce Parlement qui peut les mettre en échec ou les renverser.
Or, dans le projet de future Constitution gabonaise l’Exécutif dissout l’Assemblée nationale, mais reste intouchable politiquement, ne pouvant pas être renversé par celle-ci.
Une confusion entre responsabilité pénale et responsabilité politique
Du peu qu’il me reste de mes cours en DEA de science politique et en maîtrise de droit public, je sais que conférer au Parlement le pouvoir de mettre le président de la République en examen « en vue de le destituer en cas de haute trahison » ne peut pas être la contrepartie de la dissolution de l’Assemblée nationale par ce dernier. L’affirmer serait confondre, d’une part, la responsabilité politique (une notion propre aux régimes parlementaire et semi-présidentiel) qui concerne la gestion et la gouvernance de l’Exécutif et, d’autre part, la responsabilité pénale du chef de l’Exécutif qui concerne les crimes que celui-ci commettrait pendant l’exercice de ses fonctions.
La responsabilité pénale du président de la République est déjà prévue dans la Constitution gabonaise actuelle. Elle est engagée par le biais de la Haute cour de justice (une juridiction non permanente) qui le juge après qu’il a été mis en accusation par les deux chambres du Parlement.
Dans la Constitution de 1991, la responsabilité pénale du président de la République coexiste, effectivement, avec la responsabilité politique de l’Exécutif à travers le gouvernement dirigé par un Premier ministre.
Dans le système américain, la mise en accusation du président de la République est du ressort de la Chambre des représentants, tandis que le jugement est, lui, du ressort du Sénat présidé, pour l’occasion, par le président de la Cour suprême des USA. Les deux chambres du Congrès tiennent lieu de cours de justice dans ce cas.
À noter que des 46 présidents qui ont été à la tête des États-Unis, aucun n’a été destitué selon la procédure de l’impeachment, qui est extrêmement difficile à mettre en œuvre. Faire croire qu’une telle procédure est possible au Gabon sous une Constitution présidentocratique est une plaisanterie d’un goût douteux.
En revanche, d’anciens chefs de l’État français ont fait l’objet de poursuites et été condamnés pour des faits accomplis pendant l’exercice de leurs fonctions sous un système judiciaire semblable à celui existant actuellement au Gabon.
Il suit de ces considérations que la responsabilité pénale n’est pas le substitut de la responsabilité politique ni ne peut-elle être, a fortiori, le pendant au pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale donné au président de la République sous le projet de Constitution remis au président de la transition. On ne saurait trop rappeler aux parlementaires gabonais l’intérêt qu’il y aurait pour eux à revisiter de fond en comble la mouture émanant du comité constitutionnel. Au demeurant, à l’ignorer purement et simplement ne serait pas une mauvaise option.
Un risque certain de recul démocratique
La nouvelle Constitution, si elle est adoptée en l’état par référendum, va, à n’en point douter, consacrer un recul démocratique par rapport à la Constitution de mars 1991, même avec ses multiples révisions et remaniements.
1) Elle dispose un mandat du président de la République à 7 ans, contre 5 ans sous l’actuelle Constitution. Et, comble d’aberration, elle rend cette disposition insusceptible de révision sous peine de condamnation pour haute trahison du président de la République qui entreprendrait de réduire la durée du mandat à 5 ou 4 ans pour coller aux standards internationaux et à l’exigence du plus grand nombre des citoyens gabonais ;
2) La ségrégation aux relents xénophobes des Gabonais en ce qu’il conditionne l’éligibilité à la naissance de deux parents nés Gabonais eux-mêmes nés de parents gabonais, disposition qui n’a cours dans aucune démocratie connue comme telle ;
3) la constitutionnalisation des putschs, du fait que l’amnistie des auteurs du coup de force d’août 2023 est désormais expressément inscrite dans la Constitution (alors que l’amnistie relève traditionnellement du domaine de la loi votée par le Parlement et s’applique a posteriori aux cas d’espèce) sera logiquement étendue aux autres putschs éventuels si on part des caractères de la règle de droit selon lesquels la loi est générale et impersonnelle (elle ne règle pas les cas personnels ou particuliers) et dispose pour l’avenir non pour le présent. Le coup d’état militaire pourrait devenir la règle en matière de changement de pouvoir et l’élection l’exception.
Le débat sur la Constitution ne fait que commencer
Je n’ai de cesse de m’interroger sur à la fois les tenants et aboutissants, le substrat paradigmatique, le bien-fondé et l’opportunité du projet de Constitution qui secoue le landerneau gabonais depuis quelques mois. Ce qu’il m’apparaît clairement, en revanche, c’est que le mélange des « genres constitutionnels » qui caractérise la dernière mouture est tributaire de la méthodologie empruntée par ses rédacteurs.
Méthodologie dont deux d’entre eux ont indiqué dans les médias qu’elle a consisté à piocher dans plusieurs Constitutions de différents types et variantes.
Autant dire que le Parlement de la transition aura sur sa table un texte en forme de macédoine sans cohérence ni âme, mais de nature à ébranler la République jusque dans ses fondements et tréfonds.
Il aura également entre les mains la crédibilité du Gabon dans le concert des nations et, plus prosaïquement, la communion entre les Gabonais et leurs libérateurs du 30 août 2023.
En tout état de cause, ceux qui assimilent le vote en faveur de la future Constitution à un plébiscite pour le président de la transition commettent une faute dont je doute qu’ils mesurent la portée et les conséquences potentielles.
Pour rappel à l’adresse des adeptes des comparaisons internationales faciles : la seule fois que le sort politique d’un président de la République française a été lié à l’issue d’une votation populaire c’était à la faveur du référendum constitutionnel du 27 avril 1969 initié par Charles de Gaulle. Celui-ci avait proclamé qu’il démissionnerait en cas de résultat négatif.
Le « non » l’ayant emporté à 52,4 % (malgré les sondages qui donnaient le « oui » vainqueur), l’auteur de l’appel du 18 juin 1940 avait tiré les conséquences de l’échec en quittant le fauteuil présidentiel et la scène politique.
Pour ma modeste part, j’estime que rien n’oblige les parlementaires à aller dans le sens d’une Constitution qui expose les autorités dirigeantes de la transition à un désaveu populaire dans un référendum à haut risque. Ils ont le choix entre, d’un côté, satisfaire l’ego des savants à l’origine de ce projet de Constitution sujet à controverse autant qu’il est sujet à caution, et, de l’autre côté, extraire les militaires du piège constitutionnel dans lequel ils se retrouvent, probablement malgré eux.
Un piège qui pourrait engloutir dans le même élan l’ambition salutaire de réformer les institutions et les hautes aspirations du peuple gabonais qui tiennent moins au changement de régime qu’au changement dans l’exercice et la finalité du pouvoir politique. À ce titre, ils pourraient opter pour revoir totalement la copie en planchant sur la Constitution du 26 mars 1991 qu’ils ont le loisir de compléter et de corriger de ses vices de forme et d’esprit.
Le référendum, s’il y a toujours lieu de le tenir, porterait non pas sur la Constitution ainsi reformulée (qui peut s’arrêter à l’étape de la Constituante), mais sur la question du « pour » ou « contre » la candidature du président de la transition à la prochaine présidentielle, sous un régime civil.
Nous y reviendrons.
Romuald Assogho Obiang, enseignant-chercheur à l’UOB