Depuis l’humiliante destitution de l’ancien PM Julien Nkoghe Bekale, sa communauté peine à cacher sa frustration. En effet, la primature était le poste emblématique qu’ils occupaient jusqu’en présent, au nom des équilibres géo-ethniques laissés par Omar Bongo Ondimba. Avec la chute de Julien, la communauté ethnique autochtone et la plus nombreuse de l’Estuaire se retrouve lésée et humiliée devenant la risée de l’autre communauté autochtone la moins nombreuse, les Mpongwè.
Si, à Louis et à Glass (bastions mpongwè de l’Estuaire) l’heure est à la fête, à Ntoum, Kango, Cocobeach, Nkembo et Lalala (bastions fang de l’Estuaire) c’est le deuil et la consternation après le limogeage de l’ancien Premier ministre Julien Nkoghe Bekale.
Il faut le rappeler, nombreux adhèrent au PDG non pas par conviction, mais par intérêt. Et en parlant d’intérêt, la communauté compte. Ainsi, faisant le bilan après la formation du dernier gouvernement Rose Christiane Ossouka Raponda, les Fang de l’Estuaire constatent, pour le regretter, qu’ils ont été les vrais dindons de la farce. « Si vous prenez les postes en vue au sein de l’Exécutif, il y en quatre. Le premier, c’est le chef de l’Etat d’abord. Ensuite le Premier ministre. Viennent le secrétaire général de la présidence de la République et le directeur de cabinet du président de la République. Faisons ensemble le décompte ! Si vous enlevez le président de la République, qui est un élu, il vous reste le Premier ministre, Rose Christiane Ossouka (Myènè de l’Estuaire), le secrétaire général de la présidence de la République, Yves Teale (Myènè de l’Estuaire), le directeur de cabinet du chef de l’Etat, Théophile Ogandaga (Myènè de l’Ogooué-Maritime)… Cette promotion des minorités porte en elle la frustration des majorités, surtout que lorsque vous descendez au niveau du gouvernement lui-même, sur les deux postes qui ont été attribués aux Fang du PDG de l’Estuaire, vous vous apercevez que cette communauté est représentée par deux femmes, toutes des demi-ministres. Il s’agit de Camélia Ntoutoume et Gisèle Akoghe. Aucun homme, car Michel Menga est opposant. Deux demi-ministres vous donnent un ministre. Voilà ce que mérite la communauté fang de l’Estuaire qui milite au PDG et qui vient de perdre la primature ». Cette analyse nous a été livrée par un notable fang de l’Estuaire visiblement dépité.
D’aucuns pourront parler ici d’un élan tribaliste. Mais ce serait faire preuve de cécité, car Omar a bien fonctionné sur la base des équilibres ethniques. Ce qu’il a appelé « la géopolitique à dosage ethnique ». En outre, nous n’avons pas encore accédé au niveau de développement qui permet de se passer des équilibres géopolitiques, car les besoins de base, à savoir manger, se loger, trouver un emploi, aller à l’école et à l’hôpital ne sont pas réunis. En France, par exemple, on parle d’équilibre homme/femme parce qu’à la base les institutions fonctionnent et les besoins essentiels économiques et sociaux sont au point alors qu’au Gabon nous sommes encore en train de nous battre pour sortir du sous-développement. En outre, on ne peut pas ignorer qu’au Gabon les partis politiques ne fonctionnent pas sur la base des idéologies. Il n’y en a pas. Mais sur la représentativité ethnique. C’est même la doctrine du PDG depuis 1968. Et c’est cette représentativité ethnique qui a fait en sorte que le président fondateur découpe les organes du PDG par province. Et lorsqu’il était question de composer les gouvernements depuis 1968, le président s’assurait du respect des équilibres géo-ethniques en fonction de leur poids démographique. Et pour montrer la finesse de cette doctrine, c’est que même le PDG, au sommet de son art, avait produit des groupes socio-culturels à connotation provinciale et ethnique, même par leur appellation (Kounabeli, Nkol-Engong, Dimossi, Boumamè, Azembi, Missema, Moukogha, Arongo, Egnounga…). Ainsi, la gestion du Gabon par Omar Bongo Ondimba a été une gestion patrimoniale liée à la redistribution ethnique de la manne pétrolière. Et chaque roitelet, qui était choisi dans chaque province et chaque ethnie, avait la charge de recruter des jeunes cadres et de les conduire auprès d’Omar Bongo et de sanctionner ceux qui voulaient verser dans la rébellion.
La cause première de la chute d’Ali est d’avoir mis une croix sur ce système vieux de 42 ans et qui a produit ses fruits. Il a plutôt créé un système fondé sur les amitiés qu’il avait. Et ces amitiés, pour l’essentiel, étaient des étrangers (la tristement célèbre légion étrangère). Donc l’irrigation financière laissée par Omar Bongo et qui faisait en sorte que tout le monde, ou presque, s’en sorte, a pris fin avec Ali Bongo Ondimba. Sauf que cet argent, au lieu d’aller dans les canaux économiques traditionnels, a été malheureusement expatrié. Et la source, suite aux détournements par la légion étrangère, s’est asséchée. Et les crises, dont celle lancée par Jean Ping en 2015, suivi par le courant Héritage & modernité jusqu’à ce que la grosse pointure (Guy Nzouba Ndama) quitte le navire…Tout cela n’est autre que la conséquence de la rupture brutale de la doctrine Omar Bongo et la mise en place par Ali d’une doctrine qui ne correspond en rien à l’anthropologie et au corpus social gabonais, car l’ensemble de ses comparses qui l’ont accompagné là dedans était, pour l’essentiel, d’origine étrangère. Et même les quelques Gabonais qui l’ont accompagné ont eu pour réflexe de voler l’argent et de le planquer à l’étranger. Ils n’ont même pas honoré, ne fût-ce que le financement des services de base tel que les routes, les logements et même les hôpitaux, car les hôpitaux, ce n’est pas seulement les bâtiments où ils ont pris des commissions et des pots-de-vin, c’est aussi des médecins, un personnel soignant bien formé et un plateau technique performant… C’est donc un fiasco total sur tous les plans de la gestion d’Ali en 10 ans. Ne parlons même pas de l’école. Voilà des gens qui donnent l’image d’être un groupe de « cancres » qui pense qu’il faut régler des comptes à toute une communauté en bousillant l’école et en se refusant de déclarer une année blanche. C’est extrêmement grave. Combien d’années nous faudra-t-il pour rattraper ces années scolaires et académiques perdues ? On pourra peut-être lorgner du côté des cadres de la diaspora. Sauf que si elle arrive aux affaires, elle sera vite noyée sous les considérations locales, alors qu’ils viendront avec des clichés occidentaux basés sur la compétence et non sur la région et l’ethnie.