Auteur de la première alternance politique et de la passation de pouvoir civilisée en République démocratique du Congo, l’ex-président Joseph Kabila Kabangué, s’est muré dans le silence depuis la rupture de l’accord politique passé avec son successeur Félix Antoine Tshilombo-Tshisékédi. Cédant, puis concédant tout à un nouveau régime qui, malgré tout, ne parvient pas à oublier ce bouc-émissaire qui ne parle jamais.
Si celui qui n’est plus, depuis la fin de son second mandat passé à la tête de la République démocratique du Congo (RDC), que le «Le Sénateur à vie », parlait et maniait aussi bien le lingala de Kinshasa que le Swahili du Tanganyka de ses origines, il aurait certainement déjà interpellé son successeur pour lui dire : « Nini napesi yo té ?! » (Qu’est-ce que je ne t’ai pas donné… ». Arrivé au pouvoir en 2001 à la suite de l’assassinat de son père Laurent-Désiré Kabila, Joseph Kabila s’y maintiendra pendant 18 ans. Passant par la négociation pour recouvrer l’entièreté d’un vaste territoire national morcelé par des rebellions aux frontières des voisins ougandais et rwandais. Organisant les cycles électoraux de 2006 et de 2011 qui le verront battre à la présidentielle, Jean-Pierre Bemba Gombo du Mouvement pour la Libération du Congo (MLC) et feu Etienne Tshisékédi de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS).
C’est lui aussi qui fera organiser, sans prendre part au scrutin aux élections générale de 2018, qui verront l’arrivée à la tête de l’Etat, le fils de son principal opposant jusque-là, Félix Antoine Tshilombo Tshisékédi, dont le parti n’obtiendra pas le nombre d’élus suffisants pour prétendre diriger complètement le pays dans un système semi-présidentiel où le gouvernement doit être obligatoirement investi par le parlement à travers l’Assemblée nationale.
Pour éviter une cohabitation qui fragiliserait le nouveau président, Joseph Kabila Kabangué consentira de former avec son successeur inexpérimenté, une coalition de gouvernance appelée FCC-Cash regroupant des élus majoritaires de la plateforme du Front commun pour le Congo du président sortant avec celle ayant soutenu le nouveau président et son allié de circonstance Vital Kamhéré.
Naturellement, lors de la formation du gouvernement confié au kabiliste Elukamba, c’est le FCC qui va, non seulement se tailler la part du loin, mais prendre également les principaux départements ministériels des Finances, de la coopération internationale, de la Justice, de l’Education nationale…). Le partage des responsabilités, à cause de la gloutonnerie des hommes de Joseph Kabila, va plutôt et très vite donner des allures de cohabitation à un schéma initial de compromis politique. Les ministres du FCC, y compris le chef du gouvernement, continuant à s’en référer à Kingakati où Kabila s’était retiré depuis la fin de son dernier mandat.
Le nouveau chef de l’Etat va alors préparer le déboulement du système Kabila après un long séjour passé en Belgique, suivi d’un petit détour par Brazzaville. Va ainsi intervenir le discours de 6 minutes dans lequel « Fatshi béton », après avoir pris anticonstitutionnellement le contrôle de la haute cour, va annoncer la rupture de la coalition FCC-CASH et la création de l’Union sacrée pour la Nation où les députés du FCC devaient venir adhérer…librement pour lui donner la nouvelle majorité, hors élection, qu’il était en train de se fabriquer.
Alors qu’on attendait une réaction plutôt virulente de Joseph Kabila suite à autant de violation de dispositions de la loi fondamentale issue des accords de Sun City en Afrique du Sud, l’homme d’Etat ne placera pas un mot, exaspérant même des fidèles soutiens Néhémie Muilanya. Et pendant que le « Raïs », insécurisé, quittait Kinshasa pour sa ferme de Lubumbashi, les masques de certains de ses anciens collaborateurs tombaient les uns après les autres. Certains se rendant complices de la mise en place illégale de la centrale électorale confiée par le nouveau régime à Dénis Kadima.
Jugeant le processus électoral irrégulier, Joseph Kabila demanda à son parti le PPRD et ses derniers alliés du FCC de boycotter le processus électoral de décembre dernier, affaire de le discréditer. Il avait néanmoins appelé les siens à la résistance. Un vocable qui dérangerait l’actuel pouvoir au moment où il est dans l’incapacité de résoudre la question de l’insécurité qui sévit à l’Est du pays. Dossier sur lequel Kabila ne souhaite pas s’exprimer en vertu droit de réserve auquel est astreint cet ancien chef d’Etat. D’autant plus que son successeur n’a pas encore jugé utile de le consulter sur ce dossier sensible. Malgré cela, la presse proche du pouvoir au pays et les officines politiques sous son contrôle n’hésitent pas exiger de Joseph Kabila qu’il s’exprime sur ces questions.
Après l’avoir privé de sa pension d’ancien chef de l’Etat et détruit une partie de sa clôture à Kinshasa, les services de sécurité sont allés violemment perquisitionnés la fondation de feu son père présidée par sa sœur jumelle Jeannette Kabila. Tout dernièrement c’est pour l’un des soutiens de la rébellion du mouvement rebelle M23 qu’on voudrait le faire passer dans l’espoir de le faire parler. Mais l’ancien président, qui s’est plongé dans les études universitaires récemment, reste toujours bouche cousue. Rappelant sans doute à ses détracteurs que l’on ne doit s’exprimer que si ce que l’on a à dire est plus éloquent que le silence.
Sylvanal Békan