Sur sa page Facebook, notre compatriote Emmanuel Ntoutoume Ndong dévoile son émotion face à la dure critique que les émergents portent envers ceux qui, hier, ont géré le pays avec Omar Bongo Ondimba, faisant pratiquement porter la responabilité du fiasco gabonais à ces derniers. A croire que les gestionnaires actuels, à commencer par le dictateur émergent, ne sont pas complices lorsqu’on fait l’inventaire de la gestion des années « Rénovation ». Notre compatriote se souvient tout de même qu’Ali Bongo a émargé au gouvernement bien avant Jean Ping et Casimir Oye Mba. Et de conclure que cette manière de présenter les choses par ceux qui ont pris le pays en otage et sont en train de l’enfoncer se livrent à un devoir d’ingratitude, une insulte à la mémoire d’Omar.
Lors d’une conférence de presse donnée la semaine dernière par le ministre émergent du Budget à propos des mesures annoncées par le gouvernement, notamment sur la masse salariale, il a affirmé que « la crise économique et financière actuelle s’explique par l’héritage légué par ceux qui travaillaient hier aux côtés d’Omar Bongo aujourd’hui passés dans l’opposition ». Une telle affirmation, venant d’un ministre du Budget, c’est à dire de quelqu’un dont le métier est pourtant de connaître les chiffres, est triplement hallucinante.
Cette affirmation traduit, en effet :
– une mauvaise foi flagrante, pour ne pas dire plus ;
– une irresponsabilité enfantine ;
– une insulte à la mémoire du président Omar Bongo.
De la mauvaise foi, tout d’abord, parce que tous les chiffres contredisent les propos du ministre émergent du Budget et démontrent, au contraire, que le Gabon se portait bien mieux en 2009 sous le président Omar Bongo qu’aujourd’hui en 2018 sous Ali Bongo et ce, malgré la grave crise économique et financière qui a marqué la fin de son dernier mandat (2008-2009) et la faible croissance économique qui a prévalu dans le pays pendant cette période difficile.
Quelques comparaisons chiffrées le démontrent sans équivoque.
En 2009, le Produit intérieur brut du Gabon s’élevait à 5 485 milliards de francs cfa. En 2018, il s’établit à 8 665 milliards de francs cfa, soit une progression de 58 %. Cette progression est davantage le résultat d’événements purement conjoncturels que de véritables performances économiques.
En 2009, les ressources propres de l’Etat s’élevaient à 2 411 milliards de francs cfa, soit 44 % du PIB. En 2018, elles ne s’élèvent plus qu’à 1 909 milliards de francs cfa, soit seulement 22 % du PIB, soit une contraction de 21 %. Il est établi que cette contraction s’explique surtout par une faible mobilisation des ressources.
En 2009, les ressources propres du budget de l’Etat couvraient 97 % de ses charges. En 2018, elles n’en couvrent que 74,64 %.
En 2009, les ressources d’emprunt s’élevaient à 74,6 milliards de francs cfa. Elles représentaient 3 % des ressources du budget de l’Etat et ne finançaient que les investissements publics. En 2018, les ressources d’emprunt s’élèvent à 690 milliards de francs cfa, soit 27 % des ressources du budget de l’Etat. Elles financent prioritairement le fonctionnement de l’Etat et le remboursement de la dette.
En 2009, les charges totales de l’Etat s’élevaient à 2 485,51 milliards de francs cfa. En 2018, ces mêmes charges s’élèvent à 2 558,16 milliards de francs cfa. Soit une très faible variation.
En 2009, les dépenses de personnel s’élevaient à 336 milliards de francs cfa, soit 28 % des recettes fiscales. En 2018, elles s’élèvent à 695,26 milliards de francs cfa, soit 61 % de recettes fiscales. Un doublement.
En 2009, le service de la dette s’élevait à 400,6 milliards de francs cfa, soit 16,1 % des charges totales du budget de l’Etat. En 2018, ce service s’établit à 951,35 milliards de francs cfa, soit 49,82 % des ressources propres du budget de l’Etat.
Ces chiffres, que chacun peut consulter et vérifier, montrent très clairement que la gouvernance financière du pays s’est fortement dégradée depuis 2010.
De l’irresponsabilité enfantine, ensuite, parce que les émergents se comportent comme des enfants qui fuient leurs responsabilités en rejetant leurs propres échecs sur les autres. Si leur ambition avait été de développer le Gabon, pourquoi, en huit ans, n’ont-ils pas pu corriger les dérives de leurs prédécesseurs qu’ils dénoncent sempiternellement depuis 2010 ? L’on a coutume de dire que pour réussir en politique, il faut trois choses : le temps, les moyens et la volonté. Ils ont eu huit ans pour faire leurs preuves. Échec. Ils ont disposé, de 2010 à 2014, avant le retournement de la conjoncture pétrolière, près 11 900 milliards de francs cfa. Echec. Quant à la volonté, ils en sont plus que dépourvus.
Une insulte à la mémoire du président Omar Bongo enfin parce que quand on tient son pouvoir par le seul fait d’être le « fils » d’Omar Bongo, l’on est en droit d’attendre un minimum de reconnaissance de la part de ceux qui en sont les bénéficiaires. Lorsque le président Bongo a succédé au président Léon Mba en 1967, il n’a eu de cesse de valoriser et de s’inspirer de l’héritage de son prédécesseur. Il n’a, à aucun moment de son long magistère, cherché à critiquer ou à minimiser la mémoire de celui qui l’avait initié à la conduite des affaires de l’Etat. L’impression qui se dégage avec Ali Bongo est celle d’un reniement. On fait comme si tout ce qu’avait entrepris Omar Bongo devait être frappé d’opprobre ou d’obsolescence. Et pourtant, celui qui trône aujourd’hui à la tête du Gabon fait partie de ceux qui ont conseillé Omar Bongo et travaillé avec lui. Ali Bongo est entré au gouvernement dans le milieu des années 1980, bien avant Jean Ping et Casimir Oye Mba, et à quels postes ?
Quand l’ingratitude atteint ce niveau, ça devient de la sorcellerie.