« Le pétrole d’Ezanga peut-il sortir les lacs du sud de la pauvreté ? ». C’est la question que se pose Gilles Térence Nzoghe, journaliste, Mingovéen et ressortissant du canton lacs sud, juste quelques temps après le lancement officiel de la production pétrolière de Maurel & Prom il y a douze ans. Le sujet est encore brûlant aujourd’hui, car Maurel & Prom se comporte à Lambaréné et dans la région des lacs du sud où il pompe aveuglement le pétrole, comme en terrain conquis. Il sait compter sur le régime qui n’hésite pas à réprimer la moindre contestation des populations qui subissent maltraitance, humiliation et pollution de la part de cette société qui n’a réalisé aucun investissement dans le Moyen-Ogooué, prouvant que nous somme en territoire pétrolier. Le régime veille au grain…
Si, comme ils veulent le faire croire, les principaux dirigeants de Maurel & Prom sont parfaitement conscients de l’évolution du rôle des entreprises pétrolières et minières dans la société d’aujourd’hui, l’engagement que vient de prendre ce groupe pétrolier français d’allouer aux populations locales, chaque année, une enveloppe de 100 millions de francs cfa destinée au développement durable sur une période estimée entre vingt et trente ans a de quoi rendre optimiste.
Le pétrole de Nkegh-Milong (la région des plaines en fang nzaman) est un atout extraordinaire qui devrait effectivement permettre au Moyen-Ogooué en général et au canton lacs sud en particulier de sortir d’une situation de sous-développement pour envisager un avenir fait d’espérance et de progrès pour cette contrée placée depuis près de trente ans dans la misère.
Mais il faudrait pour cela que les hommes politiques de notre province prennent conscience à leur tour qu’ils sont, avant tout, des représentants du peuple et que sans ce peuple ils ne sont rien du tout ; que les richesses naturelles du pays appartiennent au peuple à qui ces richesses doivent d’abord profiter avant d’aller faire le bonheur des autres hors de nos frontières notamment en Europe, car le grand mal dont souffre notre pays est la redistribution très inégale, à l’intérieur, des immenses richesses dont il regorge. On ne peut donc s’empêcher d’être septique quant au sort qui pourrait être réservé à ce canton riche en ressources naturelles, malgré les promesses, la forte charge symbolique et la solennité qui ont entouré le lancement officiel, il y a deux mois, de la production pétrolière de la société Maurel & Prom sur son site d’Onal dans le lac Ezanga.
Par la voix de son ministre du Pétrole, Casimir Oye Mba, le gouvernement a certes invité le 05 mai dernier Maurel & Prom à prendre en compte les droits économiques et sociaux des populations de cette région oubliée des lacs. Force est cependant de constater que le nouveau-né des très rentables champs pétroliers du Gabon voit le jour au moment où ses ainés de Rabi Kounga, Coucal, Avocette, Dianongo et Maghéna achèvent de briser les espoirs que les compatriotes originaires de ces contrées avaient placés en eux. Espoir de travailler, de réussir et de vaincre enfin la précarité pour exister.
Le cas des populations de Mandji, dans la Ngounié, est le plus patent. Victimes de la mauvaise gouvernance, car c’est bien de cela qu’il s’agit, ces pauvres paysans n’ont jamais pu bénéficier de la manne pétrolière promise et versée effectivement chaque année par Adax Pétrolum qui exploite leur pétrole.
A ce sujet il faut se souvenir que des violences, exercées dans le but de faire pression sur cet opérateur pétrolier, avaient éclaté là-bas sur le site de Fouanou en novembre 2004. Une attaque au fusil de chasse qui avait fait des victimes, contraignant Addax Pétrolum à prendre de nouveaux engagements consistant à investir dans la réalisation des infrastructures sociales et communautaires de base durant toute la production de l’or noir de Mandji. Malheureusement, les pontes de ce bled se partagent l’argent du peuple en prenant soin de soudoyer au passage quelques notables triés sur le volet. C’est ce qui s’appelle injustice et corruption.
Mais Mandji, tant s’en faut, n’est pas resté longtemps un cas isolé dans ce milieu du pétrole de plus en plus gangréné par des pratiques mafieuses. Depuis quelque temps, en effet, la corruption sévit également dans les lacs du sud. Ce venin que l’on inocule en distribuant aux chefs de cantons, de regroupements ou de villages, pour les faire taire en faisant d’eux des complices ; tout en détournant, toute honte bue, l’argent destiné à la réalisation des projets communautaires.
Ces indices de corruption et de mauvaise gouvernance, qui plongent les populations des lacs du sud dans le désarroi, sont de sérieux motifs d’inquiétude qui ne laissent présager rien de bon quant aux perspectives d’avenir des populations longtemps marginalisées et qui sont toujours tenues à l’écart du développement par des blocages ethno-politiciens sans pareil dans aucune autre province du pays. Des blocages qui minent les carrières des hauts cadres et autres ressortissants de ce canton peuplé de 3 000 âmes environ où Fang, Galoa et Akèlè vivent en paix depuis des temps immémoriaux. Il y a donc de bonnes raisons de craindre que la corruption et le nouveau rapport avec l’argent sale de cette corruption ne constituent à partir de maintenant la cause de futurs conflits entre Maurel & Prom et ces braves lacustres qui, jusque-là, ne savaient compter que sur leurs propres forces et leur imagination.
Les ressources humaines aussi abondent dans le canton lacs sud : des ingénieurs, dont un docteur ingénieur en pétroléochimie, le tout premier du Gabon, des économistes, des juristes, des comptables, des managers, des historiens et autres maîtrisards auxquels s’ajoute une main-d’œuvre d’exécution inoccupée. Comment comprendre donc que, dans le souci de gaboniser, tout au moins partiellement, son équipe dirigeante, Maurel & Prom préfère aller recruter un directeur général adjoint ressortissant de Mayumba ? Peut-être en prévision des succès futurs d’exploitation sur le permis de Nyanga-Mayombe. Même s’il était recevable, ce motif n’est pas suffisant pour ignorer royalement l’ensemble des cadres du Moyen-Ogooué qui sont manifestement tenus à l’écart de ce nouveau pôle de développement qui prend sa source chez eux.
Les Mingovéens ne comprennent pas et n’acceptent pas que le siège social de cette société, créée en 2005, soit localisé à Port-Gentil et pas à Lambaréné où, sur les 135 puits découverts, 110 sont dans les lacs du sud. Les populations du Moyen-Ogooué doivent être les bénéficiaires prioritaires des retombées avantageuses des activités de Maurel & Prom. A l’instar de leurs frères de l’Ogooué-Maritime, qui bénéficient avant tout le monde des retombées du pétrole de cette province, mais également des contrées environnantes.
Certes, comme l’a dit le ministre Oye Mba : « les populations de cette contrée (les lacs du sud) n’ont pas un droit exclusif sur ce site d’Onal, car nous sommes une République qui pratique de surcroît une économie d’ouverture ». Mais cette économie d’ouverture doit prendre en compte la situation réelle des riverains qui doivent être intégrés dans le processus d’exploitation de l’or noir en cours.
Maurel & Prom indique sur son site web qu’elle est présente dans dix pays répartis sur les quatre continents. Ses dirigeants déclarent péremptoirement que « par souci de transparence et de responsabilité l’entreprise s’est fixée des règles » et que l’un de ses sacro-saints principes est « le respect de ses partenaires et de la population locale ». Tant et si bien qu’au Congo Brazzaville, pour ne citer que cet exemple, le plus proche de nous, Maurel & Prom jure que « les travaux pétroliers se font avec une concertation préalable avec les représentants de l’Etat en charge des localités concernées, les représentants des comités des villages, les chefs de terres et éventuellement les différentes ONG ». Pour rendre crédible cette assurance, Maurel & Prom doit donc reconnaître immédiatement comme interlocuteur majeur « Le club de l’amitié » qui est jusqu’à présent l’unique ONG locale dont l’objectif est le développement rural et la lutte contre la pauvreté. Ses membres sont paysans, pêcheurs, illettrés et cadres ressortissants du canton et du département de l’Ogooué et des lacs.
Mais, curieusement, Maurel & Prom rechigne à appliquer au Gabon les mêmes principes qui, selon cet opérateur économique, auraient guidé ses actions dans les autres pays en développement où le groupe est présent. L’entreprise française est pourtant fière de ce que « le Gabon représente un intérêt stratégique grâce au champ d’Onal et par la qualité du territoire d’exploitation, constituant aujourd’hui pour Maurel & Prom un relais de croissance ». Il serait donc bon que la joie et le bonheur de Maurel & Prom, qui a acquis quatre permis d’exploitation en 2005, se doublent du bonheur et du bien-être des habitants des lacs du sud.
Un autre point préoccupe déjà tous ceux que le doute commence à envahir, en particulier les agents de Maurel & Prom. Ce point concerne la signature du contrat d’exploitation et de partage de production sur le permis Omouéyi. Le personnel s’interroge si le gouvernement gabonais s’était suffisamment assuré que ce contrat comportait à l’instar de ceux que Maurel & Prom a passé avec ses autres partenaires d’Afrique et d’ailleurs « une annexe spécifique dédiée à la garantie du respect des règles définies par le groupe pour mieux protéger le personnel employé contre les maladies professionnelles…et contribuer de manière significative au développement et à l’amélioration du niveau de vie des communautés locales ». Et si la réponse à toutes ces questions est oui, les Gabonais peuvent-ils espérer que le gage de bonne foi de Maurel & Prom ne se limitera pas à la distribution annoncée des fournitures scolaires aux deux écoles du canton et des petites enveloppes glissées périodiquement à quelques élus locaux ?
Déjà victimes d’un demi-siècle de pillage destructeur de ses bois précieux par des forestiers voyous, responsables par ailleurs de la pollution des eaux du canton, le peuple oublié des lacs du sud va-t-il enfin pouvoir savourer le succès de ses richesses naturelles, en l’occurrence le pétrole d’Ezanga et demain celui d’Oguemoué ? Ou bien au contraire, comme le signale mon petit doigt, Maurel & Prom de connivence avec les hommes politiques, qui avaient déjà laissé-pour-compte ces pauvres lacustres, va à son tour leur refuser le droit de se développer et d’exister ? Les condamnant du coup au même triste sort que les peuples frères de Mandji Ndolou et de l’ensemble des régions de notre pays qui n’ont plus que leurs yeux pour pleurer leur pétrole expédié par centaines de milliers de barils/jours, loin, très loin de chez nous par des entreprises étrangères plus soucieuses d’assurer le bonheur de leurs compatriotes restés en Occident.
Telles sont les questions lancinantes qui méritent d’être posées à nos hommes politiques, à commencer par le futur premier d’entre eux : le prochain chef de l’Etat. Celui qui sortira des urnes dans les mois qui viennent et qui, j’ai fait un rêve, transformera la malédiction du pétrole gabonais en bénédiction et se donnera pour cheval de bataille le retour à la bonne gouvernance des années 60. Pour l’avènement d’une société gabonaise plus juste où la misère sera vaincue dans les cantons oubliés de l’intérieur du pays, les bidonvilles et les quartiers déshérités des grandes villes. Une société où chaque Gabonais peut avoir une place au soleil.
Gilles Térence NZOGHE