« Le militaire est un homme méthodique ». Cette phrase, devenue célèbre, annonce l’approche managériale de la nouvelle équipe gouvernementale de la République gabonaise. Une phrase qui suscite beaucoup d’interrogations partant du programme que le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions veut se donner comme feuille de route durant la période dite de transition. Ouvrir une ère nouvelle de réformes institutionnelles non passionnelles, mais pensées, réfléchies, pour ne pas dire méthodiques. Il s’agit de comprendre que le professionnalisme s’impose, et que l’amateurisme n’a plus de place au Gabon, pour le bien de tous les gabonais. Il s’ensuit que la nouvelle ère qui se projette devra reposer sur un duo savamment combiné : Méthode et Restauration.
Aussi, pour cerner la phrase couperet de l’élite dirigeante du Gabon, nous nous servirons de Madeleine Grawitz dans sa définition de ce qu’est une méthode pour comprendre les enjeux de l’approche méthodique dans la démarche de restauration des institutions gabonaises. Cela nous donnera, par la méthode S.M.A.R.T., de ressortir, finalement, les objectifs et les étapes clés qui devront accompagner le Comité pour la transition et la restauration des institutions durant le temps qu’il s’est donné. Une telle démarche fournira des clés objectives de lecture et de compréhension des actions à venir.
Si nous nous servons du Grand Larousse encyclopédique, l’expression « méthodique » donne la compréhension suivante, d’une part, qui résulte de l’application d’une méthode et, d’autre part, qui agit avec méthode. Il y a, dans cette définition, deux éléments essentiels : le moyen/instrument et l’action/l’agir. Faisant appel à R. Descartes, nous dirons que le CTRI s’inscrit dans une démarche cartésienne de doute méthodique conduisant à révoquer tout ce qui a été admis jusqu’alors afin de laisser place au seul critère de l’évidence et de reconstruire les institutions sur une base inébranlable objective reposant sur la Constitution, loi fondamentale d’une nation. Et pourtant, nous pouvons encore remettre en cause la notion d’évidence cartésienne, car dans un monde complexe comme le nôtre, la notion d’évidence est dépassée. Il s’agira, plutôt, partant du regard systémique, de s’inscrire dans un nouveau discours de la méthode et faire advenir le concept de pertinence, car, selon Le Moigne, ce que l’on entend par évidence n’est rien d’autre que l’ensemble de slogans intériorisés qui, à force de répétitions, finissent par nous apporter des certitudes que, parfois, nos connaissances ne peuvent pas justifier. D’où il faut réduire au maximum les évidences d’antan qui ont conduit à la dérive du pays. Le nouveau discours de la méthode du CTRI reposera alors sur un concept clé : la méthode. Finalement, qu’est-ce que la méthode ?
Une fois de plus, nous faisons appel à Madeleine Grawitz. La méthode est un « ensemble concerté d’opérations mises en œuvre pour atteindre un ou plusieurs objectifs… un plan de travail en fonction d’un but ». Ensemble d’opérations, atteinte des objectifs et plan de travail sont les ingrédients de la méthode, pour ne pas dire de la démarche militaire et, par conséquent, du CTRI. Aussi, dire que « le militaire est un homme méthodique » c’est dévoiler une série d’objectifs fixés moyennant une feuille de route clairement établie. C’est dire que notre agir est planifié. Et s’il est planifié, la restauration reposera sur un ensemble d’étapes. Ainsi, reprenant l’approche S.M.A.R.T., le temps de la transition devrait reposer sur les éléments suivants : un projet, des objectifs mesurables, atteignables avec des actions clés. Ce qui laissera poindre la planification suivante :
Un projet unique et englobant : Le rétablissement d’institutions stables et fonctionnelles au Gabon. Le « rétablissement des institutions stables et fonctionnelles » fait référence à la nécessité de restaurer et de renforcer les organes de gouvernance, les structures administratives et les systèmes juridiques d’une société qui ont été affaiblis, perturbés ou compromis. Ici, nous comprenons toutes les institutions dissoutes par le CTRI qui ont failli.
Un objectif dans le temps : d’ici la fin de l’année 2024, rétablir les principales institutions gouvernementales dissoutes dans un état fonctionnel et efficace garantissant ainsi la stabilité politique et le fonctionnement régulier des institutions.
Des indicateurs de réussite mesurables qui incluent :
• la nomination et la confirmation de dirigeants crédibles, processus par lequel des individus compétents, dignes de confiance et ayant les qualifications appropriées sont choisis pour occuper des postes de direction au sein d’une organisation, d’une entreprise, d’un gouvernement ou d’une institution. Voici ce que nous devrions comprendre par cette expression. La nomination implique la sélection et la désignation d’une personne pour occuper un poste de direction spécifique. Ce processus peut être effectué par diverses entités telles que des comités de sélection, des conseils d’administration, des organes gouvernementaux ou d’autres autorités compétentes. La nomination devrait être basée sur les compétences, l’expérience et les qualifications de la personne, ainsi que sur sa capacité à remplir les responsabilités du poste de manière efficace ;
• la rédaction et l’adoption de lois et de politiques nécessaires au bon fonctionnement des institutions. Ce processus implique la création et la formulation de textes juridiques et de directives qui régissent les activités, les responsabilités et les opérations des institutions.
La rédaction minutieuse de lois et de politiques est essentielle pour clarifier les attentes, les procédures et les normes auxquelles les institutions doivent se conformer.
C’est ici qu’il faut actualiser la Constitution ou, si possible, exhumer et actualiser le texte de 1991, fruit de la Conférence nationale de 1990.
Le projet est réalisable parce qu’atteignable grâce à :
• l’allocation adéquate de ressources financières et logistiques pour soutenir les efforts de restauration ;
• la collaboration avec des organisations internationales ou des partenaires étrangers pour obtenir un soutien supplémentaire si nécessaire.
Pertinent : le projet est essentiel pour maintenir la stabilité politique, rétablir la confiance des citoyens dans les institutions et permettre au pays de reprendre son fonctionnement normal après une période de crise ou de changement majeur.
Limité dans le temps : le projet doit être achevé d’ici la fin de l’année 2024. Ce qui offre un délai raisonnable pour rétablir les institutions essentielles et garantir leur bon fonctionnement.
Des actions clés :
1. Identifier les principales institutions gouvernementales touchées par la crise et les domaines spécifiques nécessitant une restauration.
2. Constituer une équipe de transition comprenant des experts en droit, en gouvernance et en administration publique.
3. Élaborer un plan détaillé de restauration, y compris un calendrier pour la nomination des dirigeants, l’adoption de lois et de politiques et la reprise des opérations régulières.
4. Allouer des ressources financières et logistiques nécessaires pour soutenir les activités de restauration.
5. Collaborer avec des organisations internationales pour obtenir des conseils et un soutien supplémentaire si nécessaire.
6. Mettre en œuvre et surveiller les progrès conformément au plan établi en apportant des ajustements si besoin.
7. Communiquer régulièrement avec les citoyens pour maintenir la transparence et la confiance tout au long du processus.
8- Le climat de confiance permanent entre les putschistes et le peuple, dont le soutien constant est indispensable pour la réussite de la période transitoire, en cette période d’extrême fragilité, peut permettre de dissuader les velléités d’invasion et d’ingérence des puissances étrangères.
9- Le retour rapide à l’ordre constitutionnel est susceptible de permettre, lui aussi, l’efficience de l’Etat de droit.
En suivant ce modèle d’analyse, le CTRI au Gabon opte pour l’approche « voir-juger-agir ». Le défi est celui du pays réel tel qu’il est hérité des prédécesseurs, puis de prendre le temps d’interroger, de questionner, d’analyser la réalité donnée et d’émettre des pistes d’action permettant de répondre aux attentes des Gabonais et Gabonaises tout en s’accordant avec la réalité internationale. Mieux, par cette approche, le CTRI devrait être en mesure de guider, méthodiquement et efficacement, le Gabon vers la restauration de la stabilité gouvernementale et le fonctionnement normal des institutions parce que le « militaire est un homme méthodique ».
Par Mgr Dieudonné Mouloungui Moussavou,
vicaire épiscopal de l’Archidiocèse de Libreville, Curé de la paroisse Cœur Immaculé de Marie de Nzeng-Ayong
Certifié en management des organisations politiques,
Diplômé en théologie pastorale,
spécialiste de l’approche systémique