Une Constitution irréprochable sur le papier garantit-elle la démocratie et l’état de droit ? Cette question vaut son pesant d’or en cette veille de « conférence nationale » dont le Premier ministre de la Transition vient d’indiquer par voie de presse qu’elle portera, entre autre, sur la Constitution. Sans toutefois dire s’il est question de remaniement ou de changement du tout au tout, bien qu’il ait dit avoir une préférence pour le régime parlementaire. Il faut donc s’attendre à assister dans les prochains jours à une débauche de recettes constitutionnelles allant de la plus pragmatique à la plus échevelée.
Sans préjuger de l’arrangement institutionnel qui retiendra les faveurs des «conférenciers » il me plaît, en mon humble qualité de profane dans le domaine des systèmes politiques, d’émettre quelques réserves et réflexions.
Premièrement, je ne suis pas convaincu que l’échec du Gabon à asseoir une démocratie véritable et à connaître l’alternance au pouvoir depuis le retour au pluralisme politique soit tributaire du modèle institutionnel qui a été globalement le sien. Un modèle dont il y a lieu de rappeler qu’il emprunte considérablement au système français (en l’occurrence celui de la Cinquième République), nonobstant les modifications d’opportunité et de convenance qu’y a apporté le pouvoir déchu. Non des moindres l’introduction d’un Vice-président de la République qui rend le système gabonais difficile à situer dans la typologie des systèmes politiques contemporains.
En tout état de cause le système gabonais n’est pas présidentiel, dont les USA sont le seul spécimen idéal-typique, contrairement à la légende qui fait croire qu’une République où le Président concentre tous les pouvoirs a un système présidentiel.
Le présidentialisme américain est précisément le seul au monde à consacrer dans la lettre, l’esprit et la pratique la stricte séparation des pouvoirs ainsi que leur équilibre de force (« checks and balances »).
J’encline à penser que ce qui est en cause au Gabon, ce n’est pas la Constitution mais son viol et son dévoiement permanents ainsi que le verrouillage de tous les rouages (de nature législative, réglementaire et institutionnelle) des dispositif et processus électoraux. Le Gabon n’a pas été le théâtre de vols électoraux à main armée depuis 1993 parce que le système semi-présidentiel est inapproprié pour sa société politique.
À ceux qui sont séduits par le régime parlementaire (assorti avec le fédéralisme par certains) je voudrais faire ces quelques rappels :
– les constitutionnalistes américains sont les inventeurs du gouvernement fédéral (comme du système présidentiel), lequel n’est donc pas consubstantiel au parlementarisme ;
– la France a renoncé au système parlementaire en 1958 (plus encore en 1962 avec l’élection du PR au suffrage universel direct) pour cause de fragmentation partisane notoire et d’instabilité gouvernementale chronique, et d’autres pays comme l’Italie s’en sortent à meilleur compte aujourd’hui après avoir corseté le leur ;
– le mode de scrutin est, plus que le régime politique, déterminant pour se constituer le type de majorité de gouvernement que l’on envisage;
– en tant qu’il favorise le règne des partis, le régime parlementaire exacerbe les divisions sociétales que le système semi-présidentiel (ou semi-parlementaire) couplé au scrutin majoritaire à deux tours maintient en état de latence;
– le Gabon n’a pas une démographie ni est-il clivé sur les lignes ethno-communautaristes, religieux, historiques ou géographiques pour y substituer l’Etat unitaire actuel par un Etat fédératif (comme l’Allemagne, les USA et le Nigeria) ou consociationnel du genre de la Confédération helvétique ou encore de la Belgique. En conséquence de quoi je garderais les architectes et ingénieurs constitutionnels contre la tentation de refaire le monde.
Certes, la Constitution n’est pas un papyrus sacré. Mais elle n’est pas non plus une construction aérienne coupée du réel. Elle doit correspondre à la culture politique du pays. Culture politique qui, en ce qui concerne le Gabon d’aujourd’hui, s’est forgée par strates sédimentaires et conformément au métabolisme distinctif de la société et de la nation gabonaises depuis la colonisation française.
Le Président de la Transition a été bien inspiré de prôner le retour à la Constitution de 1991, sous réserve d’agencements mineurs, ainsi que la révision du code électoral.
Romuald ASSOGHO OBIANG
Universitaire en poste à l’UOB
(Notice Républicaine Nº1, du 25 septembre 2023)