« Patriotes, au nom de la justice, que notre victoire nous soit restituée ! »
Jusques à quand allons-nous accepter de vivre béatement dans le déshonneur ? Pendant un demi-siècle, nous avons été invités en permanence par un régime abject dirigé par une aristocratie ethno-régionale, anti-nationale, impopulaire et illégitime, à nous prosterner matin, midi et soir devant la cocarde du parti unique PDG qui a réussi à faire oublier à certains citoyens l’emblème, le drapeau, l’hymne et les armoiries de la République, ces symboles qui sont les référents patriotiques du Gabon éternel.
Au nom de la préservation d’une paix qui n’était que de façade et vantée par démagogie, nous avons perdu le sens du discernement et le réflexe d’auto-défense. Réduit en serf, le Gabonais est en situation d’étranger dans son pays tandis que l’étranger devient son maître. Pendant un demi-siècle, le pouvoir autocratique des Bongo-PDG l’a humilié, ridiculisé et abêti. Il a dévergondé et désolé la nation en ouvrant grandement le pays à l’infamie, au vice et à la jouissance. Les élections présidentielles, organisées par le parti unique, avaient pour candidat unique son fondateur qui était toujours élu avec 99,99 % des suffrages. Ces élections ont été outrageusement présentées et servies aux Gabonais comme démocratiques. La démagogie, la violence étatique, les vols, les détournements d’argent et les crimes rituels pour besoins fétichistes ont causé d’énormes dégâts dans de nombreuses familles. Nous avons supporté cela du père et du fils et à nouveau on entend dire qu’un autre fils veut continuer l’œuvre anti-nationale des prédécesseurs de sa parentèle.
A ce jour, le Gabon a connu deux successions au sommet de l’Etat, après avoir chaque fois constaté le décès du président en poste : celle de 1967-68 après la mort de Léon Mba et celle de 2009 à la mort de Bong’Omar. Toutes deux étaient placées dans la continuité du système. En 1967-68, pour placer Mbongo Albert au pouvoir, la France colonialiste de De Gaulle et Foccart avait renoncé au mode de scrutin à la française préconisé dans leurs néo-colonies et avaient provisoirement emprunté le mode américain. Mba président et Mbongo vice-président formèrent un tandem pour une candidature unique avec la promesse que le vice-président remplacerait le président en cas de vacance du pouvoir. La supercherie passa comme une lettre à la poste.
Quant à la succession de 2009, elle a eu la particularité de mettre en compétition plusieurs candidatures, dont celles des personnalités dissidentes du PDG qui se réclamèrent toutes immédiatement de l’opposition à côté de celle du PDG portée par un Bongo. Aidé par la France et appuyé par l’armée et la Cour constitutionnelle, un Bongo-PDG accéda encore au pouvoir. 1968-2018 cinquante ans que le pouvoir est détenu par la même famille, la même province, le même parti politique. A l’orée du 21ème siècle, un troisième président gabonais est malade à l’étranger et, comme en 1968 et 2009, c’est le même montage qui se prépare au mépris du peuple. Les informations relatives à l’état de santé du chef malade sont tenues secrètes. Comme toujours, on veut procéder par cooptation en écartant la succession au pouvoir de la voie démocratique qui fait du peuple le souverain créateur des institutions.
Peuple gabonais, la « victoire de Bongo-PDG en 2016 », fabriquée avec la complicité des dirigeants socialistes français, et les législatives-locales de 2018 ont clairement démontré que l’électorat gabonais est conscient des enjeux de son pays ; qu’il sait choisir de voter et qui voter ; comme il sait choisir de ne pas voter.
En 2016, à la présidentielle, il a massivement voté Jean Ping. En 2018 aux législatives-locales, il a librement choisi de s’abstenir d’aller voter. Si l’état de santé d’Ali entraine une vacance du pouvoir et que la succession, gérée par la France et la Cour, échappe au peuple et aboutit à l’arrivée au pouvoir d’un compatriote non élu, ne faudrait-t-il pas pactiser avec le diable ? Cette fois, l’enjeu n’est plus seulement le changement et l’alternance. Il s’agit de procéder à une véritable « rupture » pour instituer par toutes les voies la nouvelle République que la majorité du peuple gabonais attend impatiemment en exigeant la validation de la victoire de Ping Jean. La succession en perspective se dessine dans un contexte national marqué par une violente crise qui affecte tous les secteurs de la vie du pays, en particulier le social, le politique, l’économique et les finances publiques. Le mauvais traitement du contentieux électoral de la présidentielle de 2016 doit être évoqué et intégré lors de la constatation de la vacance du pouvoir.
Les juristes nous diront si les électeurs du deuxième arrondissement de Libreville, qui ont été exclus de la présidentielle de 2016, peuvent voter à celle qui pourrait survenir. Si la réponse est oui, il faudrait que la Cour explique pourquoi elle a refusé à ces citoyens la jouissance de leur droit civique en ne reprenant pas le vote. Aussi, devrait-elle se soumettre ou se démettre. D’éminents juristes gabonais ont analysé la situation née de l’absence au Gabon d’Ali Bongo pour cause de « fatigue sévère » qui place au centre des préoccupations la qualification de « vacance du pouvoir » qui déclenche la procédure d’application de l’article 13 de la Constitution qui conduirait à une élection présidentielle.
Chers compatriotes, je ne suis pas juriste, mais politologue. C’est en cette qualité que je vais modestement participer à ce débat qui est crucial pour le pouvoir exécutif, le pouvoir parlementaire, la Cour constitutionnelle, les forces armées, la société civile, l’opposition pour nos partenaires au développement, dont la France, et pour tout le peuple gabonais. Il faut, au préalable, rappeler que l’élection présidentielle de 2016 s’est déroulée en présence des témoins et observateurs étrangers de l’Union africaine et de l’Union européenne qui ont pondu un rapport dont le contenu est connu. Aussi, l’Union européenne pourrait et devrait-elle être associée à la gestion de la succession qui est en cours et que les juges constitutionnels ne peuvent nullement conduire dans la transparence, la justice et en toute équité.
L’absence d’Ali du Gabon met en première ligne, outre la France, trois institutions : l’Exécutif, réduit au gouvernement, le Parlement, ramené au seul Sénat qui exerce les prérogatives de l’Assemblée nationale, et la toute puissante Cour constitutionnelle dont les membres semblent liés par un très solide pacte de solidarité. D’où le règne en son sein du consensus et de l’unanimité : pas une voix discordante, jamais de fausse note, tous toujours d’accord. Combien de nos compatriotes comprennent que, plus qu’en 2009, nous sommes à une véritable étape historique de la vie politique et institutionnelle de notre pays ? Ceux qui se montreront irresponsables et inconscients seront sévèrement châtiés par les populations.
L’armature institutionnelle est composée de trois centres de pouvoir : l’Exécutif, avec, à sa tête, le président de la République, chef de l’Etat, institution suprême du pays qui est assisté du gouvernement ; le judiciaire et le législatif. Le débat sur la mise en œuvre de l’article 13 et sur le délai pour constater « la vacance du pouvoir » pourraient tourner au vaudeville si les autorités présentes au Gabon utilisent des subterfuges et autres faux-fuyants pour demeurer dans la logique qui consiste à refuser l’accession au pouvoir d’un citoyen qui n’est pas du camp du PDG-Bongo. La planète entière sait que Jean Ping est le président élu. Les Gabonais attendent son installation à la fonction de chef de l’Etat. Que va faire la Cour, qui sait pertinemment que Ping est le « président élu de la République gabonaise » ? La Cour a une opportune occasion pour réparer toutes les misères qu’elle a causées au peuple depuis sa création.
Tous les Gabonais savent que la Cour a souvent réussi à trouver des arguments pour sortir des situations les plus compliquées et les plus abjectes. Sur quelles références juridiques la Cour a-t-elle fait démissionner le gouvernement et transféré les prérogatives de l’Assemblée au Sénat ? Demandé au vice-président de présider un Conseil des ministres ? La Cour peut et doit trouver les voies et moyens pour mettre Ping à sa place et dispenser au pays une dépense inutile en organisant une nouvelle présidentielle et pour ramener la tranquillité dans le pays. Le peuple dit non à l’article 13 qui a été appliqué en 2009 suite à la vacance du pouvoir provoquée par le décès d’Omar ; tout comme il refuse le recours à un coup de force qui serait préjudiciable pour tous. Le peuple dit non à l’article 13, non point parce qu’il ignore la loi, mais parce que le climat social actuel, pour son application, est différent de celui de 2009 ; parce que la majorité des Gabonais savent à qui ils ont confié leur destin en 2016, parce qu’il sera difficile et dangereux de frauder à une prochaine présidentielle et de proclamer de faux résultats.
Le Gabon est dans une situation inédite qu’aucun pays ou peu de pays au monde ont connue. Les compatriotes qui doutaient de l’importante place que le Gabon occupe dans le monde s’en rendent compte présentement. Celui qui exerce la fonction de chef de l’Etat est hors du pays depuis bientôt trois semaines et aucune information officielle fiable émanant des autorités nationales, des institutions internationales ou des pays amis n’est donnée « au peuple qui l’a élu ». Plusieurs pays du monde sont tournés vers le Gabon. Du jamais vécu. Les gouvernants gabonais lancent un très mauvais message au reste de la planète. Bonnes gens, dîtes-nous la vérité ! Où est Ali ? Est-il dans le coma ? En est-il sorti ? Est-il vivant ou pas ?
L’activité de l’Etat est volontairement perturbée par des stipendiés et des renégats à la souveraineté du peuple. Certains analystes, surtout les juristes, affirment qu’en l’absence de fixation d’un délai pour constater la vacance du pouvoir, c’est le statu quo qui peut durer ad vitam aeternam. La question politiquement correcte est : qu’est-ce qui prime ? L’absence de ce délai dans la Constitution ou l’absence de celui qui occupe la direction de l’Etat en rendant vacante sa fonction ? Faire valoir l’absence de délai pour ne pas déclarer la vacance du pouvoir n’est rien, mais alors rien face au vide provoqué par la présence de l’absence d’un chef à son poste. Il faut urgemment clarifier les choses et combler ce vide sans que l’on soit obligé de recourir à l’expertise extérieure.
La réconciliation dont on parle tant doit commencer entre la Cour constitutionnelle et l’électorat et, partant, tout le peuple gabonais. Que la Cour ne s’y méprenne pas ! Les Gabonais sont très patients et peuvent encore supporter deux mois d’attente pour l’accession au pouvoir du président qu’ils ont élu. Aussi, le 31 décembre, jour où le président de la République s’adresse à la nation est retenu comme la date butoir qui devrait permettre de constater la vacance ou pas du pouvoir. Le droit n’est pas la politologie. Pour solutionner certaines situations, le droit applique des procédures clairement établies. Quant à la politologie, elle constate les dysfonctionnements et suggère des schémas réparateurs.
Le cas actuel du Gabon, qui met en première ligne le juridique et le politique, et, accessoirement, l’économique et le social, défie l’intelligence des experts et des spécialistes. Dans quel pays au monde un Etat s’est-il retrouvé sans chef et sans que le peuple sache où il se trouve et dans quel état, avec une Assemblée renouvelée non investie, un Sénat en fin de mandat rendu arbitrairement bicaméral par une institution qui n’en a pas la compétence ; des institutions locales élues non installées ; un gouvernement en passe de présenter sa démission (à qui ? président absent) pour son renouvellement après les législatives ; un triumvirat illégal et familial chargé de diriger passagèrement le pouvoir ; une armée et autres corps habillés dont le peuple attend toujours la réaction protectrice ?
Pour violations multiples de la loi, les juges constitutionnels se sont auto-disqualifiés pour organiser et gérer les élections et tout évènement à caractère démocratique qui impacte le pouvoir. L’on doit appeler à la dissolution de la Cour constitutionnelle. Le Gabon n’est pas un pays de droit. Croire que le bulletin de vote est suffisant pour les changements démocratiques et populaires est un leurre dans un pays qui est le lieu d’expérimentation de toutes les laideurs juridico-politiques. Un pape avait dit : « Peuple gabonais, lève-toi et marche ! ».
Guy Nang Bekale