Lors de son passage à Café presse de l’Opam, celui qui se définit toujours comme le président de l’Union sacrée pour la patrie (USP) explique comment cette structure est morte, dénonce les ambitions cachées des uns et des autres avant 2016, revient sur la politique et la question ethnique au Gabon. En outre, il affirme avoir dit à Jean Ping qu’il ne sera jamais président de la République.
Journaliste : Nous abordons maintenant le volet politique.
1993, 1998, le plus grand parti de l’opposition de cette époque, le Morena des Bûcherons, puis RPG, tous deux dirigés par Paul Mba Abessole, ne parvient pas à ravir le pouvoir au PDG et à Omar Bongo Ondimba. 2009, même scénario avec André Mba Obame. Y a-t-il, selon vous, un problème ethnique qui parasite la vie politique au Gabon ?
Albert Ondo Ossa : A mon sens, le problème ethnique est tout à fait secondaire. Cependant, les politiques le mettent en avant parce qu’ils pensent, à tort, que les Gabonais y sont sensibles. Si ce n’était qu’un problème politique des Fang, pourquoi Mamboundou et Jean Ping, qui ne sont pas Fang, n’ont pas pu accéder à la magistrature suprême ? C’est tout simplement que le problème est ailleurs. Il n’est pas un problème fang.
En fait, c’est un trompe-l’œil. Je dirai, à mon sens, qu’il y a deux instruments dont se servent les médiocres dans notre pays. Le premier instrument, c’est l’ostracisme politique. Dès qu’il y a un débat, il suffit de dire que tel est PDGiste et on ne discute pas avec les PDGistes. Le débat est clos, même si le PDGiste a dit quelque chose de juste. Cela nous attriste. Et puis, si c’est un opposant, face à quelqu’un qui est avec le pouvoir, il dira, c’est un opposant. Même si Ondo Ossa a dit quelque chose de juste, on va effectivement l’écarter, tout simplement parce qu’il ne pense pas comme le pouvoir. Ça, c’est l’outil dont se servent les médiocres. Dès lors que vous avez écarté des gars compétents aussi bien de l’opposition que de la majorité, il vous reste quoi ? Les médiocres qui accèdent à des postes qu’ils ne méritent nullement.
Le deuxième élément dont se servent les médiocres, c’est le tribalisme. Si c’est un Fang, il va écarter l’Elop. Un Ellop compétent, on va le mettre de côté, juste précisément parce qu’il est Elop alors que c’est lui qui pouvait apporter la solution au problème. De même, il suffit de dire que c’est un Fang, un Fang compétent sera mis sur le banc alors qu’on prendra toute la racaille du pays. Et c’est ce que nous voyons tous les jours.
Aujourd’hui le pouvoir n’est pas chez les Fang. Mais regardez les nominations qui sont faites. Regardez le gouvernement qui est fait. Regardez à tous les postes. Vous pensez, honnêtement, je n’ai rien contre le Haut-Ogooué, que les gens du Haut-Ogooué sont les plus compétents en finances si on fait un recensement général ? Tout simplement les gens qui sont bons dans les autres provinces n’ont pas de problèmes, tous les bons ont les mêmes problèmes. Allez dans le Haut-Ogooué, vous allez vous rendre compte que les plus compétents de cette province sont mis sur le banc. C’est facile de faire PDG oyé, oyé et avoir des postes que vous ne méritez pas. Le problème de notre pays, ce n’est pas un problème ethnique. C’est véritablement l’incurie et la suprématie des incompétents sur les compétents, qu’ils soient Bilop, qu’ils soient Fang… Voilà là où est le problème. Il faut que nous fassions la promotion de ceux qui en ont réellement la compétence.
Pensez-vous que le vote massif du Woleu-Ntem, d’où vous êtes originaire, et plus généralement fang en faveur de Jean Ping, en 2016, est un fait que l’on peut assimiler à une réaction communautaire liée aux trois expériences de 1993, 1998 et 2009 ?
Il y a plusieurs Gabonais qui l’ont analysé de la sorte. D’autres se sont positionnés en fonction de cela. D’autres ont évolué en fonction de cela. Mais tel n’est pas mon cas.
Parlons tout d’abord du Woleu-Ntem. Le Woleu-Ntem est objectivement, au regard de ses potentialités et de ses ressources humaines, la province la plus brimée du Gabon. Au point que tout Woleu-ntémois est naturellement porté vers l’opposition. En 2016, Ping s’est trouvé au bon endroit au bon moment et il a été voté. C’est tout. Mais, à bien y regarder, le Woleu-Ntem n’est pas la seule province brimée. Tenez, Bongoville ! C’est là où est né, semble-t-il, Bongo Omar. C’est semble-t-il, aussi, la ville où est originaire Ali Bongo Ondimba. Mais il y a une partie de Bongoville qui vote depuis toujours pour l’opposition. Donc ce n’est pas un problème ethnique, je le répète. Je donnerai un autre exemple. En 1993, le bureau de vote de l’école urbaine (où votaient Omar Bongo et la GR – ndlr) à ce bureau de vote-là, c’est Mba Abessole qui avait gagné.
Le problème est que les Gabonais cherchent qui peut les sortir de cette situation. Malheureusement, les votes sont toujours truqués. Une élection transparente au Gabon, le PDG n’aura même pas 5 %. C’est cela la vérité.
En 2016, vous faisiez partie des personnalités politiques gabonaises qui ont créé l’Union sacrée pour la patrie et prônaient la destitution-transition-élection (DTE). Aujourd’hui, vous n’êtes apparemment plus avec les Guy Nzouba Ndama, Zacharie Myboto ou encore Alexandre Barro Chambrier, pour ne citer que ceux-là. Pourquoi ?
On a créé, à l’époque, l’USP (Union sacrée pour la patrie) dont je suis toujours le président. Et l’USP a été mise en place pour deux raisons essentielles. Première raison, ensemble faire barrage à la candidature d’Ali Bongo Ondimba. Parce qu’elle était illégale, voire anticonstitutionnelle (article 10 de la Constitution). Deuxièmement, exiger la remise en ordre des textes pour qu’on ait des textes impersonnels, pour qu’il y ait des élections crédibles et transparentes sous supervision internationale. Dès que l’objet a été changé au profit de l’élection sans condition, je me suis détaché de tout ce monde. Moi je n’ai pas changé. Voilà où je suis, à mon niveau, en disant qu’il faut qu’il y ait une élection crédible et transparente. Et lorsque je suis parti, j’ai annoncé mon départ en disant que les missions de l’USP ont été dévoyées. Et vous ne me voyez pas rester là à travailler avec des gens qui n’étaient pas capables de tenir parole.
Et Jean Ping ?
Ping a opté tout de suite pour l’élection. C’est lui qui a amené cela. Et fort de sa puissance financière, je me suis tranquillement retiré non sans avoir pris soin d’aller dire à Ping, avec témoin, qu’il filait du mauvais coton et qu’il ne sera jamais président de la République dans ces conditions. La suite, tout le monde la connaît.
La Côte d’Ivoire attire à nouveau l’attention sur elle. L’opposition, dirigée par Henri Konan Bédié, vient de mettre en place un Conseil national de la transition au lendemain de la proclamation des résultats de la présidentielle qui donnent Alassane Ouattara largement vainqueur. Repartons-nous vers une nouvelle guerre civile d’après vous ?
Guerre civile, pas tout de suite à mon sens. Pourquoi ? Parce qu’il reste à Alassane Ouattara un dernier outil. C’est la formation d’un gouvernement d’union nationale après avoir débauché les têtes de proue de l’opposition. Réussira-t-il ? Y parviendra-t-il ? Ça, je n’en sais rien. Mais, à terme, je pense que Ouattara perdra. Surtout s’il n’y parvient pas. La Côte d’Ivoire, ce n’est pas le Gabon.
La Côte d’Ivoire, ce n’est pas le Gabon. Sauf que les deux sont sous tutelle de la France qui a chassé Gbagbo du pouvoir pour installer Ouattara. L’opposition aujourd’hui peut-elle réellement gêner ou bousculer Ouattara ?
La dernière crise était soutenue par la France, mais le soutien de la France était explicite. L’armée française est intervenue en Côte d’Ivoire. C’est elle qui a délogé Gbagbo. L’opposition ivoirienne peut-elle bénéficier de ça ? Là on fait de la spéculation. Il faut vivre ce qui se passe en Côte d’Ivoire. En politique, il y a toujours des liens, des accords tacites. Quels sont les accords internes et externes que les opposants passent ? Je n’en sais rien. Mais je dis que la guerre civile d’aussi tôt, non ! Ouattara dispose encore d’un outil. S’il sait en user, il pourra tenir. Mais s’il n’y parvient pas. Que la France ait un soutien militaire ou non, le pays deviendra alors ingouvernable et on ne peut pas maintenir un pays dans une telle situation pendant cinq ans. C’est impossible.
N’était-ce pas une erreur politique à l’époque pour Gbagbo d’aller négocier à Paris au lieu de choisir la voie de Kagamé qui, à l’époque, avait ignoré la puissance coloniale ?
C’est facile de faire une analyse a posteriori, mails il faut bénéficier de tous les éléments d’appréciation. Je ne pas dispose d’éléments d’appréciation qui ont amené Gbagbo à aller négocier à Paris. Quel était l’état des forces en présence ? Les forces explicites et implicites.
Au Gabon, un certain nombre d’acteurs politiques reviennent souvent sur la nécessité d’une transition. D’aucuns la font précéder d’une déclaration de vacance du pouvoir. Jean Ping, lui, pose comme condition première qu’on le déclare vainqueur de 2016 et qu’il soit installé comme président de la République, pas seulement élu, mais en exercice. Votre analyse.
Je m’intéresserai d’abord aux divers appels au dialogue. Pour dire que tout dialogue suppose deux choses : le respect de la parole donnée et le respect des engagements pris. Engagements écrits. Or, le PDG et le pouvoir sont coutumiers du non-respect des engagements. Ils n’ont aucune parole. Exemple, les Accords de Paris. Qu’est-ce qu’on en faits ? On a commencé à dire qu’ils n’étaient pas des injonctions, mais des recommandations. Finalement on les a jetés. Les Accords d’Angondjé. Qu’a-t-on fait des actes ? Tous les participants crient aujourd’hui. Ils veulent que les actes soient mis en pratique. Donc, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Lorsqu’on a en face un pouvoir comme le nôtre qui est sourd, on se demande à quoi sert le dialogue.
Pour ce qui est de la restitution du pouvoir, cette restitution suppose que Ping avait déjà exercé le pouvoir. Donc on lui remet ce qu’il avait déjà. Or, non seulement Ping n’a pas été déclaré vainqueur par les institutions agréées, compétentes, mais en plus, il n’a jamais exercé le pouvoir au sommet. Et il ne faut pas confondre deux choses : être massivement voté et être déclaré élu. Seules les institutions déclarent quelqu’un élu.
Maintenant, si on va dans cette option, Ping n’est pas le seul. Il y a d’autres avant lui qui ont connu cette situation, notamment le seul qui est encore en vie, le père Paul Mba Abessole. Reste à savoir ce que le peuple gabonais dans sa majorité en pense. Reste à savoir ce qu’en pense la Communauté internationale à laquelle nous sommes associés. A mon avis, il faut tourner la page de Jean Ping comme président de la République ou comme potentiel président de la République.
Mais, en revanche, il faut savoir que c’est un monsieur qui a du mérite d’avoir fait ce qu’il a fait et qui a encore un rôle à jouer dans notre pays. Qu’il passe la main à d’autres qui vont relever ce pays. Et c’est ce travail que Ping doit faire. Et ce travail-là, il y gagnera.
Maintenant l’appel à la transition. Il faut le dire, cet appel s’imposait en 2016. Votre humble serviteur était le porte-flambeau en qualité de président de l’USP. Aujourd’hui, le problème ne se pose plus en les mêmes termes, car les choses ont évolué. En fait, à y regarder de près, le débat est focalisé entre le PDG ancien qui, fort de ses ressources publiques, du contrôle strict des appareils administratifs, des appareils législatifs et judiciaires, souhaite rapidement qu’il y ait la vacance du pouvoir. Et puis, dès qu’il y a vacance du pouvoir, être déclaré vainqueur, quel que soit le résultat des urnes. Coutumier du fait, il est appuyé par ses affidés. De l’autre côté, il y a le PDG nouveau qui, lui, a la ressource financière. Il souhaite gagner du temps à travers un gouvernement dit de transition. En fait, c’est un gouvernement d’union nationale qu’ils veulent faire. Au moins ça permet à chacun de se repositionner, de renforcer la puissance financière et puis cela donnera une plus grande manœuvre pour la prochaine échéance. Entre ces deux positions extrêmes, à mon avis, c’est qu’il faut savoir raison garder et penser au Gabon. Parce que ces deux positions extrêmes ne pensent qu’aux personnes qui sont impliquées et non au Gabon.
Pour que la transition au Gabon soit salutaire, à mon avis, il faut dissoudre le Parlement et proposer une charte de la transition qui sera signée par quatre acteurs principaux : le représentant de l’armée, des confessions religieuses, de la société civile et de la classe politique. Le tout sous médiation internationale. Il en sortira un président de la transition neutre qui désignerait un Premier ministre qui, lui, aurait la responsabilité de former le gouvernement. Mais un gouvernement qui ne devrait pas dépasser 25 membres parce qu’il faut redresser le pays. Et là, ça doit être des personnalités équilibrées, compétentes et sérieuses dans leur fonctionnement de tous les jours et qui pourraient effectivement fédérer les Gabonais. Et cela me semble possible.
Au regard de l’état de santé d’Ali Bongo Ondimba, êtes-vous certain qu’il soit encore apte à gouverner le Gabon ?
D’abord je ne connais pas l’état de santé actuel d’Ali Bongo Ondimba. Si vous l’avez vu quelque part, dîtes-moi, car moi je ne l’ai jamais vu. Je ne sais pas où il est, je ne sais pas ce qu’il fait. Je n’aime pas supputer. J’aime parler sur la base de ce qui est objectif. Il a eu un AVC, je ne suis pas médecin, j’attends voir le rapport. Mais le rapport qui a été fait par les médecins à Riyad, que j’ai lu, ce rapport-là, est alarmant. La première réaction est humaine. C’est de comprendre. Quand quelqu’un est dans cette situation-là, on comprend. La seconde réaction est politique. Le Gabon n’est pas la chose des Bongo. Quand quelqu’un est diminué physiquement, il faut qu’il passe la main.