« C’est fini ! 70 députés du Parti démocratique gabonais viennent de rendre leur tablier ». Cette info, qui s’est finalement révélée être une fake news, a circulé sur la toile et certains y ont cru. D’ailleurs, pourquoi ne pas y croire ? Il est vrai que dans un pays où, depuis 1990, toutes les élections n’ont servi qu’à préserver, reproduire et conforter le pouvoir existant, c’est-à-dire l’establishment-Bongo, les esprits peuvent être enclins à s’en remettre aux vertus de l’insolite ou de la providence. Et un clash de ce niveau d’amplitude – 70 députés – pourrait justifier de telles inclinations.
Près de la moitié des députés – notamment PDG – de l’Assemblée nationale (AN) qui abandonneraient leurs écharpes tricolores !!! Un pur miracle. Chez nos peuples, où animisme et bondieuseries font bon ménage, quoi de plus normal que l’anormal ?
Flash-back. Doupamby Matoka est ministre des Finances dans les années 1990. Plus précisément de 1994 à 1999. Il négociait alors un programme de soutien financier (1995-1997) avec le Fonds monétaire international (FMI). Pour ce faire, il lui fallait prendre des mesures de redressement financier, budgétaire et de réformes économiques qui convainquent le fonds pour que ce dernier sorte son chéquier. Passage obligé : l’Assemblée nationale qui doit adopter les textes idoines prouvant les engagements officiels de l’Etat à l’endroit du créancier mondial. Eloi Rahandi Chambrier, alors président de l’AN, le sait. Mais il a décidé de trainer des pieds. Tant et si bien que Doupamby Matoka lui envoie des émissaires pour s’enquérir du moment où lui, le ministre, pourrait être reçu par les députés pour faire adopter les conditionnalités du FMI pour le Gabon. Chambrier, qui les fait poireauter quatre heures d’horloge ne les reçoit qu’à 14h. Chambrier explique assez vertement aux messagers que la balle est dans le camp du ministre à qui il reproche de mettre un temps fou pour signer un texte concernant le régime spécial et privilégié de retraite des députés. Comme pour faire comprendre aux représentants du ministre que le débat se situe à un autre niveau, Chambrier leur lance aux visages qu’il détient l’information d’Omar Bongo lui-même, c’est pas « on a dit ». Argument-massue selon lequel Doupamby Matoka détient le projet et Eloi Chambrier considère, de source digne de foi, que le ministre de l’Economie et des Finances s’est assis dessus. Que disait donc ce texte ? En gros, qu’il ne suffisait que de 30 mois de cotisations à un député pour qu’il bénéficie d’une pension-retraite d’1 million de Fcfa mensuels et puisse en jouir dès l’âge de 50 ans et bien d’autres avantages. Alors que les hauts fonctionnaires de la catégorie A1, la plus élevée, eux, doivent non seulement trimer près de 30 longues années pour percevoir un traitement de retraité atteignant péniblement les 400 mille Fcfa mensuels, mais également patienter jusqu’à 60 ans pour commencer à le toucher.
Et ce n’est là qu’un des nombreux privilèges que très peu de députés auraient à cœur d’abandonner…pour les intérêts supérieurs de la Nation. Ils auraient plutôt à cœur de les préserver. Qui est fou ? Ils l’ont d’ailleurs prouvé. Les multiples départs scissions qui ont émaillé la vie du Parti démocratique gabonais n’ont pas fait ciller ce dernier au Parlement. Que ce soit la démission de Jules Bourdès Ogouliguende, les naissances du PGCI, du CLR, du MCD, de l’UGDD, elles n’ont eu quasiment aucun impact sur la stabilité du fait majoritaire PDG à l’Assemblé nationale. Ni les départs, en 2009, d’André Mba Obame, d’Eyeghe Ndong, d’Oye Mba et, plus tard, à partir de 2014, de Jacques Adiahénot, de Jean Ping, de Hugues Alexandre Barro Chambrier, de René Ndemezo’o Obiang, de Guy Nzouba Ndama, de Jean-François Ntoutoume Emane, de Léon Paul Ngoulakia. Ils n’ont, à aucun moment, fait perdre au PDG sa majorité écrasante à l’Assemblée nationale. L’un d’entre eux, observateur politique averti, questionné, en 2016, sur son choix de quitter le PDG plutôt de batailler en son sein, notamment au Parlement, expliquait, en privé, que le Parlement, compte-tenu de la montagne de privilèges acquis, offre aux « représentants du peuple » – toutes tendances confondues – de telles situations de rente qu’il ne faut pas rêver. En cas de mutinerie parlementaire, il évaluait le nombre de députés mutins à 15, à tout casser.