« C’est toujours après sa mort que le prophète acquiert sa vraie dimension prophétique ». Ceci pour dire que « nul n’est prophète en son pays ». Ces mots de Jésus Asurmendi, théologien, spécialiste de l’ancien testament, analysent bien la condition de vie de l’acteur émérite du cinéma gabonais, Prince de Capistran, alias Oncle Didine (devenu célèbre avec la série gabonaise « L’Auberge du salut ») dans sa carrière cinématographique, dans son propre pays le Gabon. Avec 59 films à son actif, celui qui reste l’un des pionniers de notre cinéma, après la disparition de Philippe Mory et qui se dit homonyme de Jésus-Christ qui l’aurait conduit dans le 7è art depuis l’âge de 7 ans, nous résume, dans cet entretien, sa vie d’acteur en répondant à nos questions de façon anecdotique. Il martèle qu’il ne vit pas de son art, car « est-ce que tout le monde doit être franc-maçon ? ». Comprenne qui pourra !
Mingoexpress : Oncle Didine, merci de me recevoir. Vous êtes un acteur émérite du cinéma gabonais, pour ne pas dire africain. Mais est-ce que Oncle Didine est le nom que vos parents vous ont donné ?
Oncle Didine : Oncle Didine est le pseudonyme que j’ai dans la série L’Auberge du salut. Dans cette série, je suis Mangoula Bodzanga Joseph, alias Oncle Didine. Vous savez, dans chaque production cinématographique, la dénomination change. Dans « Le singe fou », par exemple, je suis Ickafi et dans la série allemande « Albert Schweitzer », je suis Joseph.
Quelle est donc votre vraie identité ?
Je suis une graine de bénitier. C’est-à-dire que je suis né dans l’église Sainte Thérèse d’Angone, mon village aujourd’hui devenu un quartier d’Oyem. Mon père était l’un des premiers diacres du Gabon à l’époque des révérends pères Délèque Véhis Bouaha et de Mgr Adam. Ma très vénérée mère, Hélène Ntsame-Engone, était novicienne. Avec papa, ils se sont connus à la mission catholique d’Angone. Papa était le premier séminariste et devait être ordonné prêtre. Quand Mgr Adam constate que maman est enceinte, il dit à papa : « comme tu as failli à ta parole, si cet enfant, qui est dans le ventre, est un garçon, tu l’appelleras Prince de Capristran Adrien ». Quand maman a accouché, papa n’était plus à la mission. Il voulait bien me donner un nom familial, mais comme c’est la mission qui gérait l’univers à cette époque, il s’est souvenu de la parole qu’il a donnée à Mgr Adam. C’est ainsi que je porte ce nom. Et les noms de tous mes enfants commencent par Prince. J’en ai 17.
Qu’est-ce qui vous a incité à faire du cinéma ?
C’est une histoire qui remonte à ma tendre enfance et qui est dans mes gènes spirituels. J’ai vu Jésus sans savoir que c’est lui. J’avais 7 ans. C’était à la mission d’Angone. Nous avions la messe auxiliaire de 5h 30. Le père Jacquard, en retraite à Oyem avec le père Lamaz, et le père Nicholas m’envoient chercher les hosties chez les bonnes sœurs. L’une des particularités de la mission catholique d’Angone est que quand on part de l’église pour se rendre chez les bonnes sœurs, on passe par un couloir où il y a un mini verger à gauche et à droite. Puis, c’est le dispensaire avant d’accéder au noviciat qui est le logement des sœurs. Je crois que c’était le printemps gabonais parce que les arbres fruitiers étaient en fleurs et le bourdonnement des abeilles dans les fleurs était d’une extase auditive.
J’ai récupéré le calice avec les hosties. C’est en revenant que le déclic va se passer. En dehors du bourdonnement des abeilles, j’ai entendu un oiseau chanter. Si je te dis le chant de cet oiseau, c’est que je suis un menteur. Le chant de l’oiseau était si pénétrant, si pathétique, si transporteur, c’est-à-dire que la sonorité te pénétrait jusqu’au tréfonds, jusque dans l’âme. Et je me suis mis à pleurer. Aussitôt je vois quelqu’un habillé en blanc. Je me suis agenouillé en pleurant et en regardant la cime du verger. Je n’ai pas vu l’oiseau. Mais je peux dire que j’étais au ciel. Parce qu’autant de bonheur pour bonhomme de 7 ans. A 7 ans, qu’est-ce qu’on sait du bonheur ?
Le monsieur, barbu, beau gosse, me trouve en pleurs et m’appelle, « mon ami ». Je dis « oui, mon ami ». « Pourquoi tu pleures ? ». Je dis « les choses qu’on me fait ». Et il m’a essuyé les larmes. Dans sa main gauche pliée il tenait un objet et me dit, « mon ami, est-ce que toi et moi on peut marcher ensemble ? ». Je dis oui. Il plie sa main gauche et me demande si je peux l’aider à porter ce qu’il tenait à la main gauche. Il a plié ma main gauche comme était la sienne. Il a déposé l’objet. Je lui ai tendu ma main droite et il m’a rendu sa main gauche. Nous n’avons même pas fait 3 mètres et il me dit, « regarde ! ». Quand je regarde, la configuration de l’environnement avait changé. C’était devenu une étendue florale. Il y avait toutes sortes de fleurs et c’était si beau. Quand je me retourne pour lui dire que je vois des fleurs, il n’était plus là.
Les fidèles qui ont assisté à cette messe de 5h 30 n’étaient pas nombreux. Dieu merci ! Donc, les hosties qu’il y avait à la sacristie ont suffi. Parce que s’il y avait eu beaucoup de fidèles, je crois qu’il devait y avoir un couac. Parce que j’étais perdu dans l’espace-temps.
A partir de là, je commençais à m’intéresser à beaucoup de choses. A commencer par imiter les autres. Leurs façons de parler, de marcher, de mimer et c’est ainsi que, comme à la mission il y avait cette particularité qu’à chaque fête religieuse du parcours de l’église au carrefour on dessinait les personnages célestes avec la sciure de la menuiserie de la mission. C’est de là que le père Dominique Vanderbeck, qui était enseignant d’art dramatique, a vu en moi une étincelle et m’a fait jouer deux rôles. Celui d’un roi-mage, Melchior, le roi des morts, ensuite celui du roi Hérode. C’est comme ça que la créativité s’est installée et que le jeu scénique m’a habité. C’était dans les années 1953.
Notre pays a des acteurs de votre génération talentueux. Comment Prince de Capristran a fait pour devenir presqu’incontournable comme acteur ?
Il se trouve que j’étais en service à Port-Gentil et André Marc Apérano était enseignant d’histoire au collège Raponda Walker. Ce dernier m’a présenté à Raponda Walker avec lequel je suis devenu ami ; comme avec le frère Guerino Hubert. C’est ainsi que Raponda Walker, par manque de distraction pour ceux qui ne pouvaient pas se rendre dans les sites touristiques, demanda à Apérano ce qu’il y avait lieu de faire. C’est ainsi qu’Aperano et moi avions créé la troupe de théâtre Gnimanakombo (initiateurs et grands penseurs dans le monde spirituel). Avec cette troupe, nous avons interprété la pièce qui s’intitule « La marmite de Coca Mbala ». Une pièce du congolais Guy Menga. Voilà mon premier jeu officiel. Nous l’avions jouée à Port-Gentil et à Gamba et elle a connu un franc succès. Elle a d’ailleurs été filmée par Georges Gauthier Revignet.
Maman étant tombée gravement malade, j’ai dû repartir à Libreville pour rester à ses côtés. C’était en 1984. C’est à cette période que le ministre de la Communication, Zacharie Myboto, émet le souhait de développer le cinéma au Gabon. C’est ainsi qu’Henri Joseph Koumba Bididi écrit le scénario du Singe fou qui était, à l’origine, Essiringuilia. Puis, le Cenaci (Centre national du cinéma du Gabon – ndlr) annonce la participation à un casting de recrutement des acteurs. Ce casting tenait sur trois thèmes. Le premier : vous êtes chez vous, le téléphone sonne et c’est le commissaire de police qui vous annonce la mort par accident de circulation d’un très proche. Comment réagissez-vous ? La scène commence quand le téléphone sonne. Le second : vous venez de perdre votre emploi. La situation démarre quand vous arrivez chez vous avec cette nouvelle. La troisième situation, vous êtes chez vous, vous attendez la visite d’une jeune femme dont vous êtes éperdument amoureux. Elle vous rend visite à 19h. La situation commence quand elle cogne à la porte.
Nous étions 75 postulants. Je ne savais pas que, pendant que je jouais, M. Zacharie Myboto était derrière la baie vitrée. On a donné 15mn à chaque candidat. Mais on m’a laissé jouer pendant 45mn. Parce que tout le monde était suspendu à ma prestation. C’est comme ça que j’ai eu le premier rôle du Singe fou.
Avant d’arriver là, n’avez-vous pas suivi des cours d’art dramatique ?
Aucunement. Je suis l’homonyme de Jésus. Et Jésus m’a fait comprendre que la vertu cardinale qui commande l’univers, c’est l’amour. Toutes les autres vertus se greffent sur l’amour. Je suis catholique. Je suis curé… Quand je vois les merveilles que Dieu a réalisées, je continue de me poser la question « Il a commencé comment ? ». J’ai voulu être un émule, pas jusqu’à vouloir prétendre à créer. Non. C’est cette magnificence… Dieu est un créateur et, en créant, il a vu que cela était beau. Ça traite de l’amour. Je ne peux pas prétendre aimer mon prochain si je ne m’aime pas moi-même, sans être égocentrique. Je n’ai jamais été à l’Ecole nationale des arts et métiers (Enam). On ne m’a jamais envoyé aux Beaux-Arts. On ne m’a jamais fait assister à un colloque. Je n’ai jamais assisté à un séminaire, à un symposium ou à un état général. Autodidacte, je suis.
Quand Jésus m’a essuyé les larmes, c’est là que ça s’est passé. Les yeux physiques voient ce qui se passe physiquement. Mais il y a les yeux de l’intelligence qui sont au-delà. Un sage a dit : « un arbre planté au bord d’un cours d’eau ne verra jamais ses feuilles flétrir ni ses branches s’assécher ». Parce que ses racines sont enfoncées profondément où elles retirent les éléments nutritifs nécessaires à son exubérance. Et Dieu c’est la même chose. Tout ce que tu feras sur terre empreint d’amour est voué au succès.
Depuis que je suis au cinéma, chaque fois que je suis interpellé pour un tournage, je prie Dieu, parce que Dieu est en moi. Il m’a créé à son image et à sa ressemblance. Donc, je suis un demi-dieu et je magnifie la créature de Dieu, la création de Dieu. C’est dommage, les mots physiques qui sortent de ma bouche, il n’y a que Dieu qui sait les comprendre. Parce qu’il est Dieu. Quand je suis sur scène, Dieu est en moi. Tout ce que je fais, Dieu est en moi.
Après la disparition de Philippe Mory, je peux dire, sans risque de me tromper, que Oncle Didine reste l’un des doyens des acteurs du cinéma gabonais encore en service. Vivez-vous de votre art ?
Merci, Chris Oyame, de cette question. J’espère que tu es le digne ambassadeur de tes géniteurs. J’espère que tu as compris pourquoi Jésus est rentré dans ton âme. Je ne sais pas. Parce que tu aurais pu être maçon, menuisier, avocat, clandoman, forgeron… Pourquoi as-tu choisi le journalisme ? Il n’y a que Dieu qui sait. De toute ma carrière, aucun journaliste gabonais ne m’a jamais interviewé comme tu le fais.
Après Le Singe fou, qui a été tourné en fin 1984-1985, en ce qui me concerne, c’est triste, comme tu le sais, n’ayant jamais été dans une école de cinéma, en 1967 je devais jouer le premier rôle de la série « Où vas-tu Koumba ? ». Mais je passais le conseil de révision. J’ai alors demandé à mon petit frère, le défunt Ndong Damas, de jouer ce rôle. Nous étions à l’époque de l’Ocora, qui était un organe de radiodiffusion à l’époque de la France. Le défunt ministre Vincent de Paul Nyonda était un grand homme de culture… C’est dommage, il n’y a pas un deuxième depuis qu’il est décédé. Pourtant, ça fait plus de 30 ans. Depuis lors, il n’y a pas un autre qui a pris la relève. La chose artistique culturelle n’a pas retrouvé ses lettres de noblesse. Je ne jette la pierre ni l’anathème à personne. Pourtant, il se trouve que notre chef d’Etat est un artiste. Parce que le président Ali Bongo, avec Jimmy Ondo, était au firmament de la musique. Jimmy Ondo est un petit frère, mais je ne sais pas où le président Ali Bongo donne des directives pour qu’elles soient freinées. Ou alors elles sont mal comprises. Je n’en sais rien. Mais toujours est-il qu’après le tournage du Singe fou, ils l’ont amené au Fespaco, à Ouagadougou et à Carthage, en Tunisie. Les Allemands qui étaient à ces deux festivals ont également présenté leurs films. Après avoir vu Le Singe fou, ces Allemands ont vu en moi un génie. D’ailleurs, Le Singe fou a obtenu 3 prix lors de ces deux festivals. Parmi les 3 prix, il y avait celui du meilleur comédien qui ne m’a jamais été remis. Il paraît qu’il n’était pas à moi. Mais à qui ?
Quand les Allemands m’ont remarqué, ils sont venus au Gabon pour tourner le premier épisode de la série Albert Schweitzer qui parlait de son arrivée dans notre pays. On a tourné à l’aéroport, au port et à Lambaréné. Après Lambaréné, ils m’ont amené en Allemagne pour terminer la série. Les deux Allemagne étaient encore divisées par le mur de Berlin. Au séminaire Saint Jean, comme à Bessieux, on n’apprenait pas l’allemand. On m’a affecté un professeur d’allemand pour les besoins du tournage. La particularité de cette série est que ses 4 épisodes ont été tournés en allemand. Chaque épisode a une durée d’une heure.
Quand ils m’ont amené en Allemagne, je m’y suis plu. C’est un pays où j’ai réellement voulu vivre. Ils m’ont appelé à trois reprises pour aller à ma traduction des 4 épisodes en français pour les pays francophones. C’est par la suite que j’appris que le président Omar Bongo avait décidé de déplacer la Fondation Schweitzer de Lambaréné pour Franceville. M. Georges Rawiri et les autres lui dirent que c’est impossible. Mais comme c’est lui le patron, il a, de ce fait, déplacé la fondation avec la tombe de Schweitzer, sa maison et l’hôpital. Mais qu’il sache que dans les cœurs et les cerveaux des gens, il ne pourra pas extraire que Schweitzer est à Lambaréné. Il s’est énervé comme à son habitude et a martelé que : « si c’est comme ça, gardez votre film allemand. Je ne m’en occupe plus ». Et comme le Gabon n’avait pas payé ses frais de co-production à l’Allemagne, l’Allemagne ne nous a pas donné la copie du film. Même moi, en tant qu’acteur principal, depuis 1988, je n’ai pas de copie et ce film, on ne le voit pas au Gabon. C’est ce film qui fait de moi, en tant que Gabonais, le premier acteur intercontinental du Gabon.
Je suis parti du continent africain pour le continent européen pour hisser haut le flambeau du Gabon. Mais, hélas ! Je ne sais pas ce qui ne va pas. Je ne connais pas les critères de sélection utilisés dans mon pays. Même le défunt Philippe Mory, quand il a introduit le cinéma au Gabon en 1962, il m’a trouvé, j’étais déjà sur les planches. J’étais déjà comédien à la mission dans le cadre des activités socio-éducatives des jeunes. Je suis le seul artiste comédien gabonais qui totalise 32 films. Et pas des moindres. On ne me voit pas, mais ce n’est pas grave. De toutes les façons, je crois qu’il y a des hauts faits cinématographiques dans mon pays qu’il faut mettre à mon actif. Parce que je suis inspiré de Jésus-Christ. L’Esprit-Saint est avec moi quand je suis sur scène. Vous ne pouvez pas savoir, vous, les Gabonais, de quoi je suis capable quand je suis sur scène.
Pour conclure ma réponse à cette question, je vous confirme qu’il y a des Gabonais qui vivent de leurs arts. Moi, non. Eux-mêmes savent pourquoi je suis exclu.
Propos recueillis par Chris O.