Par Guy Nang -Bekale, Docteur d’Etat en Sciences Politiques. Tél : 077 35 89 49
« J’ai choisi de twister les mots et de révéler certains faits pour qu’un jour nos enfants sachent ce que certains ont été ; ce que d’autres ont obtenu et ce que nous avons fait du Gabon ».
Une fois encore, la présente adresse est une invitation à une prise de conscience, à un sursaut d’orgueil et pour l’avenir. Elle a pour destinataires les patriotes gabonais de tous les camps socio-politiques conscients de la désolation de leur pays, du déshonneur, des humiliations et de la honte que vit notre peuple. Il s’agit de réfléchir à la manière de poser les jalons pour bâtir une société où les conditions d’existence de la multitude seraient agréables et conformes à leurs aspirations humaines vitales. Un Etat et un peuple responsables capables de créer, pour leur progrès, les mécanismes et les instruments matériels et immatériels robustes, durables et perfectibles à transmettre de génération en génération sans falsification.
Le travail collectif et surtout une langue nationale sont deux données essentielles qui introduisent l’amour, la solidarité et une vie convenable au sein d’une communauté citoyenne. Quand elles sont pratiquées par la majorité de la population, elles mobilisent le peuple quand ce dernier entreprend d’importantes réalisations patriotiques. Or, notre peuple est composé de plusieurs mini communautés ethnolinguistiques ayant chacune son parler. De plus, les membres de ces communautés sont confrontés à la violence, au chômage et à la corruption.
L’intégration des Etats africains dans le système libéral d’échanges commerciaux et des transactions monétaires n’a pas laissé place à la création et à la maîtrise des espaces économiques ayant une autonomie dans ce contexte caractérisé par la mondialisation des mouvements et de la circulation en masse et à grande vitesse des hommes et des biens. Et paradoxalement, ce sont les biens marchands et les capitaux qui circulent plus librement que les humains avec des documents standardisés et reconnus par les agents publics et privés de tous les pays. Aux traditionnelles luttes économiques pour la possession et le contrôle des matières premières et des marchés pour l’écoulement des produits finis et consomptibles, qui ont été pendant longtemps à l’origine de la concurrence, des crises et des affrontements internationaux, se sont greffées les luttes pour la conquête, l’exercice et la conservation des pouvoirs étatiques par les nationaux de connivence avec les puissants Etats et organismes du monde civilisé.
Les crises socio-politiques qui surviennent au Gabon depuis plus de six décennies racontent en traduisant fidèlement son immobilisme et sa déstructuration. Ce que l’Occident avait naguère proposé aux peuples noirs comme des valeurs susceptibles de garantir leurs libertés individuelles et collectives, leur bonheur et le progrès de leurs pays, devenus indépendants, a souvent été brutalement et continuellement remis en question par les puissants pays de la planète. Il semble que plus les conditions de vie matérielle des peuples se dégradent, plus les pratiques occultes, sataniques et criminelles des nantis s’intensifient et plus la violence se développe en devenant multiforme. L’humanité est placée sous le règne de la force. Les individus, les groupes privés, les collectivités et les institutions publiques y recourent pour s’affirmer ou pour consolider leurs intérêts. Toutes les valeurs universelles conquises dans la douleur par les luttes de vaillants, braves et téméraires gens du passé et les contemporains sont présentement inscrites au compte des pertes.
L’Egalité, la Liberté, la Fraternité, la Démocratie et la Souveraineté ont disparu des références aux valeurs universelles désirées par l’ensemble des peuples de la terre et davantage par les peuples et les sociétés africaines qui paraissent les plus faibles, les plus vulnérables et qui sont poussés à la désagrégation, voire à la disparition. Un rapide regard sur l’arsenal militaire des Etats forts d’Europe, d’Amérique et d’Asie provoque, chez l’honnête homme, des sentiments d’incompréhension, de tristesse, de honte et de mépris à l’égard des puissantes nations.
Comment une fraction de l’humanité peut-elle choisir de dépenser autant d’argent pour la sophistication des moyens de violence destinés, non point à tuer les féroces bêtes sauvages, mais à assassiner les hommes dont ceux qui croupissent dans la pauvreté ? L’humanité devient folle. Elle évolue vers sa perdition par auto-destruction. Les femmes et les hommes, qui sont supposés aptes à conduire le destin des peuples, parce qu’a priori porteurs des valeurs consacrées pour exercer le pouvoir, sont, hélas, les premiers à pratiquer l’abaissement du genre humain qui conduit à sa dégénérescence et à son agonie. Le mode d’exercice du pouvoir d’Etat en Afrique concrétise cette dévalorisation de l’homme. Parvenus au sommet du pouvoir par la violence sous les formes de fraudes, de violations de la loi et des règles établis, les dirigeants des Etats noirs, toutes catégories et natures confondues (diplômés, intellectuels, militaires, analphabètes…), font fi des stipulations, des procédures et des modalités qui régissent tour à tour l’accession des citoyens au sommet des institutions républicaines, l’exercice de l’autorité publique et la fin du mandat de chef d’Etat. La généralisation et l’adoption du suffrage universel par de nombreux pays du monde ont fait des populations les dépositaires de tous les pouvoirs qu’elles confient à un et/ou à nombre de citoyens de leur choix : chef de l’Etat, parlementaires, élus locaux, etc. Ce transfert du pouvoir à un petit groupe de femmes et d’hommes doit obéir aux règles applicables à tous les postulants à ces fonctions électives.
Lorsque les actions stratégiques qui doivent conduire au développement d’un pays et au progrès d’une société sont l’œuvre des tiers, elles n’impactent que rarement et imparfaitement le milieu humain de leur mise en œuvre. Les schémas et les montages socio-économiques, politico-institutionnels et administratifs qui sont élaborés ailleurs et expérimentés dans les pays destinataires, sans prendre en considération les réalités endogènes, sont inefficaces, inopérants et voués à la contestation. Aussi, le mode de fonctionnement des Etats francophones se fonde, par mimétisme, sur le modèle français sans résultats positifs probants pour les habitants. Les indépendances gaullistes n’avaient pour portée historique que de placer légalement, officiellement et solidement l’Afrique sous tutelle internationale. Dans tous les secteurs et domaines publics et privés : civil, militaire : intellectuel, scientifique, éducatif théorique ou technique… économiques, politiques, juridiques, culturels, sociologiques, religieux, philosophiques, alimentaires, vestimentaires, etc. Les Africains ont été et sont formés et formatés par l’Occident, dont la France.
La Communauté internationale agit pour le compte des intérêts de ses Etats membres
En se réclamant fallacieusement des valeurs universelles telles la liberté, la démocratie, la paix et la justice qu’elle exporte pour les installer à travers le monde parfois avec violence comme en Iran, en Libye, en Afghanistan, en zone francophone…Partisane déclarée de la liberté, du droit et de la paix, la Communauté Internationale, en véritable gendarme de la planète, met l’accent sur le respect de ces valeurs dont la prétention finalité est de garantir à la fois la sécurité des peuples et les avantages des oligarques financiers. Il se trouve que, dans plusieurs pays francophones, ces valeurs sont en balbutiements, mais souvent remises en cause ou violées sans que les coupables soient sanctionnés par le gendarme international.
Sur le continent africain, c’est dans le domaine politique que se dévoile la contradiction entre un laxisme complice, qui se manifeste par l’absence de sanctions, et une fermeté qui se traduit par un interventionnisme brutal à l’encontre des dirigeants réputés être des dictateurs. Ce système de « deux poids deux mesures » pour imposer la paix dans le monde conduit à des abus de toutes natures sur le continent. Aujourd’hui, un dirigeant africain est dit démocrate et fréquentable. Le lendemain il devient autocrate. Un autre jour, un autre président, qualifié de dictateur, est encensé le jour suivant par la Communauté internationale ou par certains de ses membres. Comprenne qui pourra !
Communauté internationale, démocratie et pouvoir politique
Les crises politiques électorales des Etats francophones mettent en évidence le mépris, les mensonges et les humiliations du monde civilisé envers les pays et les peuples africains. Les Etats occidentaux de la Communauté internationale ont en théorie montré la voie et édicté les principes et les modalités pratiques à suivre pour organiser, structurer et fortifier les Etats noirs qu’ils ont intégrés dans leur armature juridico-institutionnelle, politique et socio-économique libérale. Ce sont, entre autres, la République et l’Etat de droit, la justice et la sécurité, l’éducation et la santé pour tous, le suffrage universel, la souveraineté des peuples, la liberté d’expression, dont celle des choix électoraux par le vote citoyen pour permettre l’alternance du pouvoir au sommet de l’Etat. Tous ces principes et stipulations ont été transcrits dans leurs Constitutions qui sont communément considérées comme la référence juridique suprême, la mère des lois qui fut rendue imprescriptible à l’origine par ses auteurs et dont le fondement est de certifier les droits fondamentaux des citoyens et d’ordonnancer la séparation des pouvoirs dans l’Etat.
Si la Constitution est sacrée pour les gouvernants occidentaux, en revanche, elle est devenue un véritable chiffon pour les chefs des pays africains francophones. Elle est manipulée, violée, réécrite à volonté. Contrairement à « Etat », qui est masculin, et l’instrument que le pouvoir politique utilise pour asseoir son diktat, on serait tenté de penser, a contrario, que élection, liberté, justice, démocratie, loi, souveraineté, qui se déclinent au féminin, relèvent de la prostitution et manquent de virilité dans les Etats francophones noirs malgré l’occupation, de plus en plus effective, des hautes fonctions par des femmes dans ces Etats.
Après soixante années d’indépendance, les présidents africains francophones ont démontré au monde entier que leur continent n’est pas concerné par les offres positives qui viennent d’ailleurs et qu’ils sont incapables de les adapter pour leur avantageuse insertion dans les Etats.
La Constitution en Afrique, l’Etat de droit et l’armée
Sans conviction, assurance et virilité, timidement, les intellectuels africains gouvernants et opposants psalmodient la démocratie en répétant en même temps qu’ils vivent dans des Etats de droit. Or, l’Etat de droit c’est l’application sans faille, à égalité pour tous, de la loi, de la Constitution et des règles morales. L’irrespect et l’inapplication de la loi font le lit de la force et de la violence armée. Quand survient une situation dramatique, des « voix autorisées » s’élèvent pour inviter et rappeler aux belligérants, du bout des lèvres, la nécessité de s’en tenir aux dispositions constitutionnelles. Or, aucune parole, aucune sanction, aucun embargo, aucune recommandation ou résolution n’ont d’effet devant la violence. C’est alors que la Constitution, la République et l’Etat de droit se prosternent devant les armes. Et les groupes de citoyens qui ont pour profession leur maniement se substituent crânement et progressivement aux peuples pour devenir les acteurs privilégiés de l’alternance du pouvoir au sommet des Etats.
Placés trop longtemps sous le joug de l’autocratie, les peuples noirs considèrent parfois ces gens d’armes, qui sont pour la plupart formés dans les écoles militaires françaises, comme un mal bienfaisant. L’irruption des soldats dans l’arène politique par les coups d’Etat est devenue le moyen pour dégager les présidents qui ont pour projet de mourir au pouvoir.