Il fallait être atteint de cécité pour ne pas voir que, dans le flou artistique actuel et la mauvaise communication volontairement ou naïvement entretenue sur l’Etat de santé réel du chef de l’Etat Ali Bongo Ondimba, le régime s’aménageait une porte de sortie juridique. La décision rendue par la Cour constitutionnelle de Marie Madeleine Mborantsuo, tard dans la nuit de mercredi 14 novembre 2018, en modifiant unilatéralement l’article 13 de la Constitution, qui est la mère des lois et non en l’interprétant, fera date dans l’histoire du fonctionnement des institutions au Gabon.
Après avoir dissout l’Assemblée nationale en pleine session, alors que cela n’entre pas dans son champ de compétence, la Cour constitutionnelle vient de nous livrer un autre coup fumant en modifiant nuitamment l’article 13 de la Constitution. Situation qui laisse plus d’un observateur groggy. Mborantsuo aurait pourtant trouvé un autre artifice pour autoriser Maganga Moussavou, le vice-président d’Ali Bongo, à convoquer et présider le Conseil des ministres. Mais c’était trop lui demander. Mborantsuo a coupé court en réécrivant l’article 13 qui se lit désormais comme suit : « En cas d’indisponibilité temporaire du président de la République pour quelque cause que ce soit, certaines fonctions dévolues à ce dernier, à l’exception de celles prévues aux articles 18, 19 et 109, alinéa 1er, peuvent être exercées, selon le cas, soit par le vice-président de la République, soit par le Premier ministre sur autorisation spéciale de la Cour constitutionnelle saisie par le Premier ministre ou un dixième des membres du gouvernement chaque fois que nécessaire ». Et toc !
Comme on le voit désormais, le Gabon va fonctionner sous le régime de la saisine. En légiférant ainsi, Mborantsuo devient, de facto, le vrai sinon le super président de la République, car pour toute décision importante à prendre et qui nécessite l’imprimatur du chef de l’Etat, indisponible à ce jour, il faudra impérativement que le Premier ministre et s’il ne le veut pas, un dixième de ses ministres qui peuvent donc se désolidariser de leur Premier ministre, demande l’autorisation à Mborantsuo. On tombe à la renverse. Si ce n’est pas un coup de force, alors c’est tout comme.
Nous avons tourné et retourné la Constitution dans tous les sens, nous n’y avons trouvé aucun traitre article qui permet au juge constitutionnel de légiférer. Autrement dit de modifier un seul article de la Constitution. La modification de la Constitution relève d’une procédure législative claire. Elle se fait soit à l’initiative de l’Exécutif par un projet de révision constitutionnelle ou à l’initiative des parlementaires par une proposition de révision constitutionnelle.
Demain, il ne serait pas surprenant que la Cour autorise le Premier ministre, après la proclamation par elle des résultats des dernières législatives, à aller présenter sa démission au vice-président et autorise également ce dernier à nommer un nouveau Premier ministre et enfin un nouveau gouvernement…
Ali Bongo Ondimba est reconnu inapte à exercer ses fonctions à titre temporaire. Il n’est plus chef de l’Exécutif, ni de l’État en droit et de fait, d’accord, mais cela donne-t-il le droit à la Cour constitutionnelle de réécrire la mère des lois ? Or, si l’on s’accroche à cette nouvelle disposition de l’article 13 (on ne dira pas nouveau, car il n’est pas encore marqué dans la Constitution), mais de la Cour constitutionnelle, n’est-il pas nécessaire de définir ce qu’on entend par « indisponibilité temporaire » et sa durée ? Autrement dit, si l’« indisponibilité temporaire », que nous ne personnalisons pas, dure deux, trois, quatre ans, le pays va-t-il continuer à fonctionner sous le régime de l’autorisation du juge constitutionnel ? Il faut craindre qu’en tordant ainsi le cou à la loi, le peuple ne soupçonne finalement qu’on continue à vouloir le manipuler en lui cachant des choses sur l’état réel du chef de l’Etat et qu’on cherche à contourner, par des artifices juridiques, le constat de la vacance à la présidence de la République.