C’est depuis son compte facebook que le président du parti politique de l’opposition Rassemblement pour la Patrie et la Modernité (RPM) (ex. RHM), Alexandre Barro Chambrier, a annoncé, avec photo à l’appui, « avoir eu l’honneur de recevoir Son Excellence Monsieur Philippe Autier, Ambassadeur de France au Gabon » à son domicile, le mardi 19 octobre 2020. Un personnage dont les missions sont pourtant claires : assurer la préservation des intérêts de la France au Gabon…En quoi une telle rencontre peut-elle vraiment être utile aux gabonais ?
Autier, personnage fréquentable ou pas ?
Ancien chef de service économique à l’Ambassade de France pour le Pérou et la Bolivie jusqu’à sa nomination en novembre 2018 comme Ambassadeur de France au Gabon, une véritable promotion incroyable, Philipe Autier a plutôt un profil d’économiste. Et le Gabon, petit grenier subsaharien pour la France est un poste qui ne peut pas le déplaire : manganèse pour le programme militaire et civil de la France, le bois et le pétrole pour les autres industries stratégiques, et les grandes marques qui déversent leurs biens et services que les gabonais consomment ou importent. La balance commerciale entre la France et le Gabon est claire (achats gabonais des produits français). Il est donc monté en grade grâce à l’entourage d’Emmanuel Macron.
Il mène depuis ce mois d’octobre des consultations politiques de haut niveau sur « un tour d’horizon de la relation bilatérale entre la France et le Gabon ». Un jargon diplomatique qui veut tout dire et rien du tout en même temps. Il a été reçu officiellement par la nouvelle PM Rose Christiane Ossouka Raponda. Sa rencontre avec Hugues Alexandre Barro Chambrier, ancien soutien de Jean Ping en 2016 et probable candidat à la présidentielle de 2023 et dont le parti a des élus à l’Assemblée nationale et dans quelques conseils municipaux du pays, a porté sur le même cadre. Mais pour se dire quoi ?
Cette question résume toute la stratégie de l’opposition gabonaise depuis 1990. La France est à l’origine des misères du Gabon et du peuple gabonais. De la colonisation à l’indépendance en passant par l’instauration du régime d’Omar Bongo à la succession actuelle de son « fils » Ali Bongo, le Gabon vient de passer 60 ans en avançant, oui certainement, mais à pas de tortue malgré ses immenses richesses qui ont plus profité à la famille Bongo et à la France. La France a fait du Gabon l’arrière-boutique pour son économie. En matière économique comme en matière politique, la relation bilatérale France-Gabon affiche un bilan défavorable pour le Gabon, hormis la formation des cadres ou de l’élite gabonaise dans les écoles et universités françaises.
La rénovation de la relation France-Afrique, tant promise depuis Nicolas Sarkozy n’est jamais venue. Emmanuel Macron qui avait reconnu durant sa campagne électorale avoir des doutes sur l’élection d’Ali Bongo en 2009 a fermé ce discours pour faire place au pragmatisme économique. Le Gabon vient d’être élu au Conseil des droits de l’homme de l’ONU grâce au parrainage de la France. Des « cadeaux » inutiles et empoisonnés quand on sait que la même France, libérale en métropole, cautionne et soutien militairement un régime qui fraude les élections présidentielles, tue à balles réelles, garde des prisonniers politiques, interdit toute manifestation de l’opposition et réprime les médias indépendants. La même France a pesé de tout son poids pour que la Cour Pénale Internationale (CPI) ferme l’instruction du dossier sur les crimes contre l’humanité qui ont été commis entre fin août et début septembre 2016 par les mercenaires étrangers recrutés par le camp présidentiel pour empêcher un soulèvement populaire au lendemain de la proclamation des faux résultats donnant Ali Bongo vainqueur.
Les jeunes gabonais ne rêvent plus de la France comme ceux des années 1960 et 1990. La génération 2000 voit les Etats-Unis, le Canada et la Chine dans ses rêves. La France a perdu au plan économique au Gabon. Philipe Autier tente donc de reconstituer un réseau politique d’influence de la France au Gabon qui va du gouvernement aux partis politiques, en passant par les entreprises. In fine, c’est la France qui doit gagner.
Barro Chambrier, un futur pion de la France ?
Les consultations politiques en cours visent soit la formation d’un nouveau gouvernement, soit la signature d’accords politiques informels ou officieux dans lesquels les acteurs politiques les plus en vue ou influents comme Alexandre Barro Chambrier, en lice selon ses militants pour 2023, pourraient aider la France le moment venu pour faciliter le nouveau plan de succession. « ABC » va-t-il se faire recruter par la France pour jouer le sale boulot comme beaucoup d’opposants avant lui ?
La doctrine de l’opposition gabonaise à l’égard de la France est complexe. Certains disent « pas de négociation » juste une prise de pouvoir radicale avec le départ de la base militaire française et la remise à plat des accords économiques et de défense que De Gaulle avait fait signer à Léon Mba en 1960 pour sa montée au pouvoir ; accord qu’Omar Bongo a parfaitement respecté ; ce qui lui a valu sa longévité au pouvoir sous la protection de cette France. D’autres disent que tant que la France est partie prenante du sous-développement chronique du Gabon, elle doit être intégrée dans les solutions de sortie de crise politique, économique et sociale du Gabon. Mais au lieu de choisir un seul acteur, ce qui contribue à la zizanie, Monsieur Autier gagnerait, en s’appuyant sur l’accord politique de Cotonou et les accords politiques bilatéraux, à rencontrer dans un cadre bien formalisé les acteurs politiques et de la société civile pour un vrai « tour d’horizon des questions d’actualité ». Une actualité qui a à cœur les questions de savoir « qui dirige réellement le Gabon », « comment remettre à plat et renégocier le partenariat bilatéral France-Gabon au plan économique et politique notamment », enfin « comment la France peut jouer, avec les autres pays européens, un rôle « neutre » et « constructif » dans le processus d’alternance politique au Gabon avant ou d’ici 2023 ». L’urgence porte aujourd’hui sur l’ouverture d’une transition politique pour bien relancer l’économie et préparer la présidentielle de 2023 ou l’anticiper.