Sous le prétexte du régime d’exception que nous vivons depuis plus d’un an, le pays doit-il continuer à fonctionner avec les mêmes méthodes et les mêmes manières de gestion de la chose publique naguère décriées ? C’est ce qui est en train de s’observer avec ces fonds milliardaires alloués à chacune de nos provinces par Brice Clotaire Oligui Nguema. Comme hier sous Omar, puis Ali Bongo Ondimba, les ministres du président veulent se comporter en régents des circonscriptions électorales dont ils se réclament et où personne ne les a jamais encore élus.
Question de cohérence : même s’ils ont tous été nommés de manière discrétionnaire par l’actuel homme fort du pays, qui, des membres du gouvernement, des parlementaires et des délégués spéciaux provinciaux seraient les mieux à même de piloter, dans l’intérêt des populations, les dotations milliardaires que le président de la République vient d’allouer à chacune de nos provinces ?
Le questionnement a pris plus de pertinence avec la levée de boucliers des délégués spéciaux d’une bonne partie de la province de l’Ogooué-Ivindo. Une initiative collective sans rapport aucun avec les dernières sorties, de plus en plus virulentes, du dernier Premier ministre d’Ali Bongo Ondimba contre un pouvoir militaire qui, à bien des égards, lui donne ainsi du grain à moudre.
« Quel(elle) ministre a ordonné le décaissement des fonds ? Quelles structures hospitalières ont reçu plus de 200 millions de produits pharmaceutiques ? En quoi l’achat d’huile et de friperie peut servir pour le développement des communautés locales ? Pourquoi les délégués spéciaux n’ont-ils pas été associés en amont de cette chaîne de dépense ? Pourquoi vouloir les faire signer des ordres de décaissement dont ils n’ont ni la preuve des dépenses ni la direction réelle des dépenses ? »,
se questionne, en guise de protestation, le collectif des délégués spéciaux de l’Ogooué Ivindo suite aux petites gâteries dont les hommes de Ndong Sima veulent se taper là-bas…
Omar Bongo Ondimba, pour bien affaiblir ses ministres qu’il n’hésitait pas à traiter de « chiens », jetait ces derniers en pâture pendant ses tournées à l’intérieur du pays en les présentant, aux yeux des populations, comme les véritables responsables du manque de développement de leurs terroirs respectifs. Or, l’opinion avisée savait que ces femmes et ces hommes n’avaient pas les moyens d’une politique financière gérée depuis la présidence de la République par Omar-des-plateaux et ses cabinets public et privé. Mais ces pauvres stoïciens de la rénovation ne pouvaient qu’encaisser et supporter en silence…
Sous Ali Bongo Ondimba, les ministres ont, là aussi, servi de boucs émissaires, l’essentiel de la gestion du pays, notamment financière, se faisant avec la légion étrangère, puis la young team très encadrées par l’ex-première dame.
Avec l’arrivée au pouvoir de Brice Clotaire Oligui Nguema, l’équipe de Raymond Ndong Sima n’entend finalement pas laisser le magot des opportunités lui filer sous le nez. D’autant moins que le contexte d’opacité entourant la gestion des milliards provinciaux du sémillant général de brigade, qui ne peut tout contrôler, est favorisé par le passage des marchés publics sans appels d’offres et possiblement de gré à gré, avec d’éventuelles rétro-commissions.
Le plus grave n’est, sans doute, pas là si des membres du gouvernement et leurs cabinets peuvent grappiller ici et là pour se constituer un trésor de guerre en vue des prochaines échéances électorales. Ce qui choquerait, c’est le mode de fonctionnement en amont. Qui est qualifié pour retenir les projets qui devraient bénéficier aux populations de l’arrière-pays ? Sur quelle base des gens vivant à Libreville et n’ayant aucune emprise sur le vécu des populations pourraient-ils se réunir pour décider à la place des autorités de proximité et des populations qu’elles côtoient quotidiennement ?
Alors que le bon sens et une certaine éthique de bonne gestion auraient voulu que les membres du gouvernement et des collaborateurs du chef de l’Etat aillent vers les populations pour s’enquérir sur le terrain de leurs besoins réels, c’est plutôt l’inverse qui se produit, à l’image de ce qui se constate en ce moment dans l’Abanga-Bigné où c’est incroyablement la ministre qui va présenter aux populations les projets et les entreprises retenus dans son cabinet.
Pourtant, avant que la membre du gouvernement n’en décide discrétionnairement ainsi avec une poignée de ses collaborateurs et relations, le délégué spécial départemental avait déjà entamé une démarche beaucoup plus inclusive impliquant les populations à qui les investissements sont destinés pour l’évaluation des besoins. Devait ensuite suivre le tri des propositions, leur faisabilité par rapport aux enveloppes cantonnales disponibles et le choix, par appels d’offres, des entreprises nationales seules habilitées à soumissionner.
Malheureusement, à Bifoun-Wéliga, Ebel-Menguègne, Ebel-Alembè et Samkita, les populations rurales et des cadres bien installés localement de ces circonscriptions ont été ahuris d’apprendre que…le vin avait déjà été tiré à Libreville et qu’il ne restait plus qu’à le boire, et à le boire jusqu’à la lie quelle que soit sa saveur. Une pilule qui, là-bas, tout comme dans l’Ogooué-Ivindo, a du mal à passer…
De quoi s’interroger sur les prérogatives dont jouiraient les ministres de la transition de la République, jamais élus sur les circonscriptions dont ils n’ont parfois qu’une connaissance approximative. Raison sans doute pour laquelle Oligui Nguema leur avait enjoint, en août dernier, d’aller sur le terrain. Mais on doit bien se demander pourquoi la même injonction n’a pas été faite aux députés de transition censés représenter les populations ?
Dans le district d’Ebel-Bifoun où nous venons de passer deux mois, on n’a vu nulle part l’implication de la députée de transition, pourtant très active, pendant le séjour du président de la transition à Akok. Normalement, elle serait mieux indiquée, connaissant son terroir, pour être au cœur de la gestion, à tous les niveaux, des millions alloués aux cantons Bifoun-Wéliga et Ebel-Menguègne.
Pourquoi une telle marginalisation alors que c’est le même décret qui a nommé les uns et les autres ? L’implication du personnel de la présidence de la République, dans certains dossiers de développement, rappellerait aussi l’époque, pas si lointaine, d’Ali Bongo Ondimba. Pourquoi c’est au bord-de-mer que l’on devrait décider, par exemple, des questions relatives aux investissements en matière de santé ? Ndong Sima devra recadrer son petit monde, car comme le disait un de ses prédécesseurs, Léon Mebiame Mba, « l’argent n’aime le bruit ».
Nkwara Mendzime