Mali, Burkina Faso, Guinée-Conakry, Tchad et Niger ; autant de pays africains qui, au même titre que le Gabon, ont connu ces dernières années des soubresauts politiques ayant conduit à la mise en place d’institutions de transition devant travailler à la mise en place de processus d’un retour à un ordre constitutionnel normal, pas toujours bien accepté par les militaires. Ce n’est, heureusement, pas encore le cas pour le Gabon où le Comité pour la transition et la restauration des institutions a commencé à suivre à la lettre son chronogramme.
Faite sans effusion de sang, la prise de pouvoir du Gl de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema a été suivie de la formation d’un gouvernement incluant l’essentiel des forces vives de la Nation et d’un Parlement où, à peu près, tout le monde se retrouve, quoique de façon inégalitaire.
La stigmatisation et la mise à l’écart systématique des cadres de l’ancien système n’a pas eu lieu. Bien au contraire, les conclusions du dernier Dialogue national inclusif donneraient plutôt à comprendre qu’il faudrait durablement se faire à l’idée qu’il va désormais falloir composer avec les camarades et alliés qui ne se seraient pas trop compromis avec Ali Bongo Ondimba entre son second coup d’Etat électoral de 2016 et sa tentative avortée d’août 2023. Or, ils ne sont pas forcément les plus nombreux et les plus valides. Beaucoup sont, depuis longtemps, bons pour la retraite politique. Et ils ont incontestablement mieux travaillé à enraciner le vieux système dont Ali Bongo Ondimba et ses derniers amis, avec un nombre appréciable de débauchés dans l’opposition, n’ont été que des héritiers, des bénéficiaires…paresseux, cupides et économiquement criminels.
Mais même ceux-là, que l’on voudrait frapper d’inéligibilité pendant au moins trois ans, restent, en ce moment même, bien placés au sein des institutions où sont conçus les textes et se prennent les décisions importantes du pays. Ils disposent donc, quelque part, d’un pouvoir certain de ralentissement des efforts de sortie rapide de la transition pour aller vers un processus dont on les aurait privés.
Nous l’avions déjà exprimé par ailleurs, le Gl de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema a tout à gagner de la programmation d’un processus de sortie de transition rapide, à tout le moins dans les délais prescrits par la charte de la transition et les recommandations du Dialogue national inclusif. A l’exclusion de cette option d’une année supplémentaire qu’on lierait à des cas de force majeure qui sont, du reste, très limitatifs.
Dès lors qu’il devient évident que le président de la transition gabonaise sera autorisé à se porter candidat lors de la prochaine présidentielle du second semestre de l’année 2025, avec le niveau de popularité et de soutiens qui sont les siens, on ne voit plus très bien pourquoi les choses devraient trainer en longueur au-delà des délais édictés jusqu’à présent. D’autant plus que, pour ceux, de plus en plus nombreux, qui souhaitent voir Oligui Nguema présider démocratiquement aux destinées du pays, que les textes vont très certainement baliser le terrain pour lui. Aussi bien la Constitution, dont on connait déjà les contours essentiels, que la future loi électorale en passant par la charte de la transition actuellement en vigueur.
La limitation de l’âge, plafonné à 70 ans, va mettre, par exemple, hors course l’oncle Albert Ondo Ossa, toujours hors des institutions mais curieusement toujours gardé par la garde républicaine. Le Premier ministre Raymond Ndong Sima, même s’il sort à temps du gouvernement de transition, sera lui aussi, frappé par la même disposition en 2025. Son adjoint, Hugues Alexandre Barro Chambrier, le mieux placé des candidats de l’opposition avant la dernière présidentielle, n’a qu’un seul parent gabonais. Même cas de figure pour Omar Denis Junior Bongo Ondimba s’il veut poursuivre le dessein de restaurer la dynastie.
Des personnalités ayant soutenu Ali Bongo Ondimba pendant son dernier mandat, aussi bien dans le PDG que parmi ses alliés de la majorité présidentielle, ne pourront pas aussi se présenter en 2025 face au leader du CTRI. C’est le cas d’Alain Claude Bilie-by-Nze, d’Yves Fernand Manfoumbi, de Franck Nguema, de Nicole Assélé ou d’Hervé Patrick Opiangah… On voit donc bien qu’il n’y a pas matière à retarder le processus de sortie de l’état d’exception si l’intérêt est de remettre le Gabon aux normes démocratiques internationales.
On doit, cependant, convenir que l’on ne peut pas, malgré tout, perdre de vue que beaucoup de personnalités dans la transition n’ont pas avantage à presser le pas si elles ne peuvent pas aller elles-mêmes aux électeurs ou si elles y partent en posture de battus assurés. Quitte à ce que le pays bascule dans l’inconnu des transitions chaotiques actuellement en cours sur le continent ! Le Gabon ne pourrait pas se le permettre.
Au Mali, malgré la commission de deux coups de force depuis bientôt quatre ans, le Cl Assimi Goïta ne parvient pas à sortir le pays de l’ornière de l’exception. Il y a la réalité du terrorisme avec laquelle les militaires au pouvoir à Bamako doivent compter en plus des relations exécrables avec la France. Le dialogue national inter-malien vient de proposer, en conséquence, non seulement la candidature du leader de la junte qui a tenu tête au colonisateur, mais aussi une prolongation de la transition de deux à cinq ans.
Au Burkina Faso voisin où deux coups d’Etat ont été nécessaires pour écarter complètement l’ombre de Blaise Compaoré en embuscade en Côte d’Ivoire, le capitaine Ibrahim Traoré doit aussi faire avec un terrorisme djhihadiste implacable et sanguinaire. Les forces vives de la patrie des hommes intègres réfléchiraient à lui tailler une transition à la hauteur des enjeux sécuritaires.
Au Niger, le Gl Abdourahamane Thiani, qui a toujours Mohamed Bazoum et sa femme sous les bras, doit parallèlement mener la lutte contre le terrorisme islamique. Sans la France chassée du pays depuis plusieurs mois ; non plus qu’avec des troupes américaines invitées à plier bagages. Là-bas, dans le Sahel, plus de temps est également nécessaire pour venir à bout de l’adversité féroce. C’est sans doute moins le cas en Guinée-Conakry où le Gl Mamadi Doumbouya traîne volontairement les pieds pour fixer l’opinion sur un chronogramme clair de remise du pouvoir aux militaires, qui pourraient aussi être des civils, une fois leurs démissions de l’armée actées.
Le fils de feu Idriss Déby vient de satisfaire à l’exercice, autorisant même son Premier ministre en fonction, Succès Masra, à aller oser le défier dans les urnes. L’invocation de l’audace ici n’est pas fortuite, le pouvoir des Déby n’ayant pas l’habitude, de père en fils, de faire dans la dentelle en tout temps. Le sang des Tchadiens coulant, aussi bien quand le pouvoir se crispe au moment de s’apprêter à aller aux élections que lorsque vient le moment de savourer la victoire comme tout dernièrement avec une dizaine de morts à Ndjaména pendant que les militants de Déby Itno fêtaient bruyamment leur victoire qui n’était pas encore confirmée.
Brice Clotaire Oligui Nguema, lui, en revanche, au Gabon, peut continuer à dérouler tranquillement sa programmation comme sur du velours. Mais qu’il fasse bien attention à ceux qui voudraient le pousser à la tentation de faire durer l’état d’exception par mimétisme alors que leurs intérêts sont clairement ailleurs.
Sylvanal Békan