Vivant à Paris depuis quelques années déjà, nous sommes allés à la rencontre de l’abbé Bruno Ondo Mintsa. Prêtre du diocèse rural d’Oyem, dans le grand Nord, il est sur les pas d’autres curés défroqués porteurs d’espoir, mais qui n’ont jamais réussi à conduire le Gabon et son peuple vers la terre promise. A Paris, il a mis sur pied, avec d’autres compatriotes en exil en France, l’association REAGIR dont il fut le premier président avant de passer le flambeau à Félix Bongo. Au cours de l’entretien qu’il nous a accordé, le saint homme a bien voulu répondre à nos questions.
Mingo Express : Abbé Bruno Ondo Mintsa, bonjour ! On vous savait homme de Dieu, prêtre de Jésus-Christ au sein de l’Eglise catholique romaine pour le diocèse d’Oyem. Comment vous retrouvez-vous en France et versé en politique ?
Abbé Bruno : Bonjour et merci d’être venu jusqu’à moi et m’offrir l’occasion de faire la lumière sur certaines préoccupations et interrogations qui accablent bon nombre de compatriotes qui me connaissent et/ou qui me découvrent depuis un moment. Jusqu’à preuve du contraire, je suis prêtre appartenant au diocèse rural d’Oyem et, comme beaucoup d’autres qui sont hors du diocèse, je mène d’autres activités tout en accumulant d’autres expériences à l’étranger. Je suis en France, indépendamment de la politique, pour des raisons personnelles depuis septembre 2010. Et pour ceux qui ne le savent pas, je suis diplômé en droits de l’Homme & Action humanitaire (Master 2) depuis 2002 à l’Université catholique d’Afrique centrale. A ce titre, je suis expert sur des questions des droits humains, démocratie et droit humanitaire tout en étant fervent défenseur de la cause humaine au sein de la société civile tant gabonaise, française qu’africaine. J’admets, à cet effet, être un acteur politique, mais pas comme les autres. Mon parti c’est le Gabon ; mon combat c’est la restauration de la dignité du Peuple dans toutes ses composantes et je ne suis point opposé à un individu, mais plutôt à un système source de misère, de malheurs et d’abomination de tout un Peuple.
Il y a eu l’abbé Noël Ngwa, ensuite le père Paul MbaAbessole, maintenant l’abbé Ondo Mintsa. Qu’est-ce qui attire tant les prêtres fang en politique ?
Si mes souvenirs sont bons, il y a eu un grand homme de notre Eglise locale qui fut taxé de politique par moment vers la fin de son ministère pastoral : feu Mgr André-Fernand Anguilé. Au-delà de nos frontières, on trouvera, entre autres, le cardinal Tumi au Cameroun, Joseph-Albert Malula de la RDC, les abbés Pierre, Félix Kir et Jules Lemire en France en passant par les papes. C’est loin d’être un problème fang. Tout pasteur est un père. Et aucun père normal ne peut être insensible à la détresse, à la douleur et aux clameurs de ses enfants. Je suis, peut-être, sur les traces de ces aînés qui m’ont fort inspiré dans ma vie de jeune séminariste, mais je n’ai aucune ambition politique jusqu’à présent. Une petite parenthèse pour préciser que, deux ans durant, l’abbé Noël Ngwa, de vénérable mémoire, fut mon conseiller spirituel et j’en garde un souvenir immense. Pour ma part, je ne suis point attiré par la politique parce que j’aime beaucoup mon ministère. Mais je suis plutôt attiré par l’Homme. Nous savons tous que l’argent appartient à César parce qu’on y trouve son image. Mais qu’est-ce qui appartient à Dieu lorsque nous répétons si souvent qu’il faut rendre à César ce qui lui appartient et à Dieu sa part ? Où trouve-t-on l’image de Dieu ? C’est simplement l’Homme qui est l’image de Dieu. Alors il faut remettre l’Homme à Dieu. Telle est ma mission.
Actualité oblige, le procureur près la CPI, Fatou Bensouda, pour ne pas la nommer, vient de prendre une décision lourde de sens, celle de ne pas enquêter sur les massacres du 31 août 2016 et les jours qui ont suivi. Cette décision vous surprend-elle ?
Je suis loin d’être surpris pour deux raisons essentielles. La première est relative au mode de fonctionnement de la CPI. Conformément au Statut de Rome, il n’existe que trois possibilités de saisine de la cour à condition de rester sur le champ relevant de sa compétence : le Conseil de sécurité de l’Onu, un Etat ayant ratifié le Statut de Rome et l’auto-saisine du procureur. Pour le cas du Gabon, c’est l’Etat, par le biais de son ministre de la Justice de l’époque, qui avait engagé une saisine auprès de la CPI et aucune autre personne physique ou morale ne pouvait le faire au Gabon. Mais quel est le profil mental du plaignant ici ? A l’examen des faits, on se rend compte que nous avons un parfait portrait du narcissique pervers : le bourreau qui joue à la victime. Après avoir tué des Gabonais, l’auteur des massacres s’est transformé en victime en allant porter plainte. Il s’agissait simplement d’une stratégie qui visait à empêcher l’option de l’auto-saisine par le parquet ou l’implication du Conseil de sécurité de l’Onu dans la crise gabonaise. Ainsi, ont-ils délibérément fait le choix d’engager cette saisine, de présenter un dossier quasi vide pour faciliter son rejet par la Cour au motif d’insuffisance d’éléments permettant d’engager une action judiciaire internationale. Ce qui justifie leur joie suite à la décision de la CPI, confortant ainsi leur narcissisme pervers : un plaignant débouté qui jubile. Du jamais vu !
La seconde est d’ordre stratégique. Il n’y a point de victoire à l’international sans une forte activité de lobbying. Tout dossier déposé dans une administration reste inerte. Pour le rendre dynamique, actif, il faut le suivre, l’alimenter, l’actualiser et dégager des couches de poussière éventuelles. A ce niveau, l’opposition gabonaise a perdu une bataille non négligeable parce qu’elle est tombée dans le piège du pouvoir sans s’en rendre compte. Et Ali Bongo, conscient de cet enjeu, n’a pas manqué de s’afficher publiquement avec Mme Fatou Bensouda, procureur de la CPI, qui reste avant tout un être humain capable de succomber aux charmes de l’avoir et du pouvoir.
Toutefois, ce dossier est loin d’être clos. En l’état actuel, la saisine ne peut prospérer au niveau de la CPI. Mais d’autres actions auprès d’autres juridictions sont en cours et de nouveaux éléments versés au dossier actuel pourraient permettre de remettre le dossier sur la table par d’autres voies.
Pouvoir et opposition semblent se réjouir de cette décision qui humilie les victimes et les combattants de la liberté. Après cela, doit-on encore affronter Ali Bongo les mains nues ? La CPI, par cette décision, ne lui donne-t-elle pas le permis de tuer impunément des Gabonais ?
La CPI n’a pas donné de quitus à Ali Bongo. Il s’agit tout simplement d’une décision de justice fondée sur des éléments versés au dossier. Les Gabonais(es) doivent savoir que des Palestiniens sont massacrés au quotidien sous le regard de la Communauté internationale depuis des décennies et la CPI n’a jamais rien fait. Il est vrai que cette décision sonne comme une grosse injustice, un mépris, une indifférence aux gémissements de tout un peuple, mais qui a porté plainte ? C’est l’Etat gabonais. Et qui donne des ordres à l’armée qui a ouvert le feu sur des populations ? Pour ma part, la décision de la CPI est une invitation qui fait écho aux paroles de Grégory Ngbwa Mintsa : « Gabonais(es), personne ne fera le Gabon à notre place ». Alors n’attendons pas que la Communauté internationale vienne nous apprendre à pleurer nos morts sachant toutefois que plusieurs familles victimes et bien d’autres victimes ont capitulé sous le poids des enveloppes et promesses du régime et sont aujourd’hui en phase avec leurs bourreaux.
Après les tueries du 31 août 2016, de nombreux compatriotes se sont levés à Paris pour dénoncer ce qui s’est fait au Gabon sous la barbe de l’armée française dont le soutien à Ali Bongo n’est plus à démontrer. N’est-ce pas contre-productif de faire de la résistance au pays de son propre bourreau comme certains le font au Trocadéro ?
Je ne suis pas certain qu’Ali Bongo ait bénéficié du soutien de Paris comme l’affirment certains compatriotes. Le Peuple gabonais non plus n’a pas été soutenu par Paris. La France fait du business et compose avec celui qui tient la machine. Le Peuple aurait montré à la face du monde que le siège de commandement avait changé, la France se serait certainement rangée. Dans la dialectique du maître et de l’esclave, Hegel nous apprend que tout esclave doit son statut d’esclave par le seul fait d’obéir à un maître et ce dernier n’est maître que parce qu’il a un esclave. Dès lors que l’esclave prend la décision de ne plus obéir, ses chaînes tombent et l’autre cesse d’être son maître. En somme, le Peuple gabonais ne doit sa servitude qu’au seul fait de sa soumission au système en place. Sur des actions du Trocadéro, je considère, pour ma part, qu’une action pour la libération du pays n’est jamais inutile parce que nul ne sait ce qui déclencherait l’écroulement de ce régime. Ne dit-on pas que certains cailloux jetés au hasard tuent parfois des oiseaux au passage ?
Une partie de l’opposition dite électoraliste a décidé d’aller aux élections couplées avec Ali Bongo sous prétexte qu’elle peut avoir la majorité à l’Assemblée nationale. Croyez-vous que cela soit possible ?
Tout est possible à condition de mettre les moyens nécessaires et la détermination qu’il faut. En sociologie politique, un système c’est comme un ensemble de maillons formant une chaîne. Chaque maillon qui s’écroule participe de la destitution du système. En somme, majorité à l’Assemblée nationale ou pas, je pense que tout siège arraché au parti au pouvoir marquera un pas non négligeable vers l’alternance démocratique tant souhaitée par les populations. Je déplore tout simplement que cette étape de la vie politique de notre pays n’ait pas consolidé l’union de l’opposition. Je comprends aisément ceux qui s’opposent à la participation aux élections. Mais la révolte et la démission n’ont jamais construit un pays. Pire, ce refus de participation aux élections n’offre aucune alternative. En refusant d’aller aux élections, on propose quoi aux populations qui sombrent jour après jour dans une précarité sans pareille? Vouloir détruire un système c’est faire le choix courageux de le combattre sur tous les fronts sans répit. Hélas, les non électoralistes ont totalement délaissé le cœur du mal pour s’en prendre à leurs supposés alliés. Une bien curieuse stratégie qui porte à croire que certains sont des fusibles du pouvoir établi. A la place du leader de l’opposition, j’aurais soutenu ceux qui vont aux élections en mobilisant ceux qui aspirent à l’alternance autour du bulletin de vote et renforcer des actions concrètes en vue de l’alternance avec ceux qui ont acté leur divorce d’avec les urnes. Personne n’a jamais obtenu le prix Nobel de la stratégie politique au Gabon. D’où vient cette idée de divisions inutiles et stupides du fait de certaines divergences stratégiques ? Le virus de la pensée unique semble en être la cause. Pour ma part, je considère que toute personne qui prétend détenir la recette miracle pour délivrer le Gabon et qui voit dépérir au quotidien le Peuple gabonais dans l’indifférence demeure le meilleur complice et allié du pouvoir. Nos compatriotes doivent comprendre que notre victoire finale dépendra de notre capacité à capitaliser nos diversités pour en faire une force efficiente. Peu importe le résultat qu’obtiendra l’opposition durant ces élections, l’histoire retiendra qu’elles marqueront un pas non négligeable vers l’alternance démocratique et vers le renouvellement de l’élite politique.
Comment entrevoyez-vous la sortie de crise ?
Certains acteurs, membres des institutions internationales, spéculent sur des élections en cours comme solution miracle à la pacification du pays. Je trouve cette approche naïve, voire légère. Depuis le sommet du millénaire, il est établi qu’il n’y a point de paix possible sans justice sociale véritable. Or, au Gabon, avec le plan d’austérité qui fait peser la responsabilité de la gabegie à l’agent public, sans compter toutes les accumulations de frustrations, de nombreuses violences post-électorales de 2016 et les disparitions forcées encore d’actualité au Gabon, le pouvoir impose la raison de la force et règne par la terreur. Ceci ne facilite point la paix dans un pays. Pire, aucun pouvoir sérieux ne peut aller aux urnes après avoir malmené tous les fonctionnaires du pays, endeuillé de nombreuses familles, inondé les cités de tas d’immondices, verrouillé tout accès à l’emploi public, fermer les campus universitaires et prétendre compter sur la force du bulletin pour gagner des élections. Ces élections inquiètent au plus haut point. Cette offre de sortie de crise s’articule autour de quatre moments clés (cf. Louis Joinet) : le droit à la vérité qui fait la lumière sur toutes les exactions et frustrations ; honorer la mémoire des victimes par le droit à la justice ; prendre des engagements pour réparer les torts causés et, enfin, prendre la ferme résolution de ne plus reproduire ces horreurs. C’est ma modeste vision de sortie de crise.
Depuis deux ans, le pays est bloqué, la malédiction des morts fait ses effets au point que le Gabon pays, autrefois respecté et au cœur de la diplomatie mondiale, est devenu la risée du monde. Comment faire pour rendre au pays sa dignité ?
La restitution de la dignité du pays passe par la restitution de la dignité du citoyen. Ce travail ne relève point d’une action extérieure. C’est un impératif catégorique qui exige et nécessite l’implication de tous et de chacun. Pour ce cas précis, je n’attends aucun déclic du sommet. L’infirmière qui maltraite les patients à l’hôpital a l’obligation de rendre aux Gabonais(es) leur dignité au même titre que le magistrat, l’enseignant, le policier ou le chef de l’Etat qui dispose de l’avenir d’autrui sans grande considération. Cette révolution nationale pour la reconquête de notre dignité passe par des révolutions individuelles. Ainsi, l’étudiant gabonais, conscient des enjeux futurs et des attentes de son pays, peut imposer le respect du Gabon à l’international par ses résultats comme le font certaines de nos stars comme Aubameyang, Antony Obame et bien d’autres. Que chacun se dise que son agir, marqué par le goût de l’excellence et la quête de l’effort, sera le principal vecteur de la restitution de la dignité de son pays. En somme, le Gabon sera toujours à notre image et les poubelles géantes actuelles qui jonchent les rues de nos cités sont le reflet de la nouvelle devise nationale : « on va encore faire comment ? ».
Votre mot de la fin
Il est toujours difficile de conclure un tel entretien. Mais c’est la règle du jeu et je vais essayer : filles et fils de notre beau pays, le Gabon, personne d’entre nous ne rêve d’un avenir meilleur contre l’autre, mais pour le bien de tous et l’épanouissement de chacun. Beaucoup parmi nous n’aurons certainement pas la chance de voir ce nouveau Gabon. Mais nous avons une autre chance, celle d’apporter, chacun à son niveau, sa pierre pour la construction d’un Gabon nouveau. Ce pays est majoritairement chrétien et beaucoup s’en remettent volontiers à Dieu. Mais « Dieu, qui nous a créés sans nous, ne nous sauvera pas sans nous » (St Augustin). Agissons et soyons des bâtisseurs d’un Gabon à l’image de notre foi. Mieux, il n’y a qu’un seul examen qui nous attend au soir de notre vie, sur le seuil de la maison du Père : « Ce que vous avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ». Il faut donc passer à l’essentiel et se dire que mon ciel dépendra, non pas de mes dons intéressés à l’Eglise, au clergé ou de nombreuses piétés sous forme de prières ou pratiques magiques, mais du traitement que j’aurai réservé aux compatriotes, à mes semblables. En cette période électorale, certains de vos filles, fils, comme des filous et traîtres déguisés en anges ou en agneaux, se présenteront à vous. Ayez la force de la foi pour résister à leurs séductions. Celui qui viendra à vous avec des sommes alléchantes est un ennemi du Gabon qui vous empêche de vous soigner dans la dignité, de scolariser vos enfants dans de bonnes écoles, de construire des routes parce que cet argent devrait être dans les caisses de l’Etat pour développer le pays. Celui qui craint Dieu ne peut se laisser acheter, à moins d’être disciple de Judas. Soyons vigilants et honorons notre foi dans notre engagement politique.
Que Dieu bénisse nos familles et notre patrie !
Monsieur l’abbé, merci !
C’est moi qui vous remercie !