A la suite de la joyeuse prise du pouvoir au Gabon par les militaires du général Brice Clotaire Oligui Nguema, au matin du 30 août dernier, nous nous sommes rapprochés d’un homme de Dieu, l’abbé Jean Davy Ndangha Mbome Ndong, vicaire de la paroisse Cœur Immaculé de Marie de Nzeng-Ayong, dans le 6è arrondissement de Libreville. Au cours de cet entretien, le saint homme nous donne son impression sur cet acte historique qu’il qualifie de « départ d’une révolution ». En outre, il rappelle aux hommes politiques au pouvoir qu’il « faut savoir écouter le peuple ». Cela aurait certainement pu éviter à Ali Bongo et à ses hommes cette humiliante sortie par la petite porte par des hommes qui, le 17 août dernier, ont juré fidélité à sa personne, mais ont fini par s’aligner du côté du peuple et l’ont déposé comme un malpropre. Lecture !
Mingo : M. l’abbé, bonjour ! Le Gabon a connu, le mercredi 30 août dernier, deux coups d’Etat en l’espace d’une nuit. Un coup d’Etat électoral et un coup d’Etat militaire. N’est-ce pas pathétique ?
Abbé Jean Davy Ndangha M. Ndong : Disons simplement que, parmi les choses que j’ai apprises de mes collègues enseignants et particulièrement des historiens, il y a la notion de « présomption historique » qui fait ici référence à la distance qu’il faudrait toujours prendre par rapport à des faits pour en faire une analyse qui soit la plus objective possible. Mais, heureusement, il existe aussi, toujours en science historique, le principe de « l’histoire immédiate » qui permet l’écriture et l’interprétation « à chaud » d’un fait ou d’un événement.
Aussi, voudrais-je considérer cette seconde approche pour dire ceci. A mon sens, il n’y a pas eu deux, mais un seul coup d’Etat cette nuit du 30 août, celui orchestré par l’organisme en charge de l’organisation des élections, le CGE. Le président de la transition l’a d’ailleurs souligné dans son allocution d’investiture : « les forces de défense et de sécurité de notre pays ont pris leurs responsabilités en refusant le coup d’Etat électoral qui venait d’être annoncé par le Centre gabonais des élections à la suite d’un processus électoral outrageusement biaisé ».
L’action des militaires, je la vis donc comme le point de départ d’une révolution que je compare, pour mieux la distinguer, à deux autres : la révolution française (1789-1799) caractérisée par la violence et le sang et « la révolution tranquille » au Canada, beaucoup moins violente et qui s’est produite dans les années 1960.
Au Gabon, l’annonce, par les militaires, de la prise du pouvoir, sans aucune violence, sans heurts et sans effusion de sang, a plutôt suscité une liesse populaire et libéré une joie sans pareille. La psychose, jusque-là entretenue par le souvenir des violences post-électorales de 2009 et 2016, a vite disparu pour laisser place à cette explosion de joie que nous avons pu observer dans l’ensemble des villes de notre pays. Cette réaction des Gabonais à l’action de l’armée me fonde en droit, toutes proportions gardées, d’émettre l’hypothèse qu’il s’est agi, cette nuit du 30 août, du point de départ d’une « révolution joyeuse ». Bien entendu, le temps, ce juge impitoyable, donnera l’occasion aux historiens de métier de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse.
La prise de pouvoir par les militaires a suscité des liesses populaires partout au Gabon et même des embrassades entre militaires et civils. L’homme de Dieu que vous êtes s’attendait-il à pareille réalité ?
Ces embrassades entre militaires et civils traduisent, à mon sens, une vérité : tous les Gabonais aspiraient à ce changement. En tant que prêtre, ces images m’ont profondément réjoui. Elles sont, à mes yeux, le signe (au sens biblique) d’une réconciliation entre le peuple et son armée. C’est un truisme que de dire qu’il y avait une fracture entre ces deux composantes de la société gabonaise. On croirait donc vivre, au Gabon, l’accomplissement de la prophétie d’Isaïe qui, au chapitre 65 de son livre, exprime l’espérance du peuple d’Israël après l’exil babylonien. Il décrit, à partir du verset 25, l’harmonie et le bonheur à travers la cohabitation pacifique et joyeuse entre le loup et l’agneau qui ont le même pâturage, le lion et le bœuf qui mangent ensemble de la paille sans qu’il n’y ait plus ni le mal ni la violence. C’est peut-être trop tôt d’en juger, mais, honnêtement, c’est cela que m’inspire aujourd’hui la vue de ces images de communion entre le peuple et son armée.
Que vous inspire la prise du pouvoir par l’ordre kaki ?
Il faut être honnête et reconnaître que, ces derniers temps, le Gabonais avait perdu quelque chose de son essence, la fierté d’être Gabonais. Il était devenu la risée de tous comme on pouvait le constater à travers les médias étrangers et les réseaux sociaux. Et tout cela ne semble pourvoir s’expliquer autrement que par la manière dont ce pays a été géré ces dernières années. Ma foi et mon éducation m’interdisent de juger. Je ne me permettrai donc pas de juger la personne d’Ali Bongo, tout comme je ne souhaite pas revenir sur ce qui a déjà été amplement exposé. Je dirai simplement qu’un tel épilogue me semble être tout ce qu’il y a de plus triste au monde. Evidemment, je me réjouis d’être témoin de cette nouvelle page de l’histoire de notre pays en pensant, entre autre, à l’Abbé Noel-Aimé Ngwa Nguema, d’heureuse mémoire, et je souhaite surtout un prompt rétablissement au désormais ancien président. Sa fin nous rappelle malheureusement que tout est vanité, d’une part et, d’autre part, qu’il faut savoir écouter le peuple. « Vox populi vox Dei ».
Interview réalisée par GPA