Il arrive des temps, dans l’histoire des peuples, où rien n’est plus important que le sort de la Nation. Si l’histoire de notre peuple est circulaire, elle n’est pas pour autant linéaire. De toute époque et dans chaque continent, des peuples, en quête de progrès et d’émancipation, rencontrent des épreuves sur le chemin de la félicité. Le peuple gabonais vit, depuis une cinquantaine d’années, une épreuve propre à son histoire et inhérente aux choix qu’on lui a imposés. Cette épreuve, c’est le système PDG-émergent.
Une Nation se construit sur le sentiment d’appartenance à un projet commun. Il n’y a de grandes nations que plurielles. Mais ce qui fait qu’un peuple devienne une nation c’est que des personnes différentes transcendent leurs antagonismes ethniques, religieux et linguistiques pour adhérer à un projet collectif et, ainsi, conjuguent leurs efforts pour un destin commun porté vers le progrès. Ils sont condamnés à perdre ou à gagner ensemble.
Or, avec l’avènement de la gouvernance scabreuse d’Ali Bongo Ondimba, une minorité malveillante fait subir à la majorité silencieuse un joug extrêmement pesant. Comme le décrit très justement le Pr Gabriel Zomo Yebe dans ses travaux universitaires, « L’économie gabonaise est un jeu à somme négative ». En d’autres termes, au Gabon, le malheur des uns fait toujours le bonheur des autres. Dans notre pays, la redistribution des ressources disponibles est inégalitaire et le peu qui est alloué aux fonctions régaliennes de l’Etat est capté par des fossoyeurs des finances publiques. L’économie primitive de l’extraction et de la consommation sans frein est au centre du modèle de gouvernance du régime PDG-émergent. Avec l’émergence imaginaire qui tient lieu de programme de société, « L’avenir en confiance » s’est transformé en « Pillage en silence » dans le but de sanctuariser les détournements des deniers publics.
De la sanctuarisation des détournements à l’austérité
En 2015, Raymond Ndong Sima a tiré la sonnette d’alarme en mettant le gouvernement en garde contre la dépréciation vertigineuse des grands agrégats économiques. Mais le pouvoir n’a rien fait pour stopper l’hémorragie. Il s’est plutôt muré dans une logique de détournement sans précèdent. Le système de captation des ressources au Gabon trouve sa modélisation économique dans ce que la théorie économique désigne par « effet de cliquet ». Tel que présenté par Thomas Brown, l’effet de cliquet désigne le fait que lorsque leur revenu diminue, les agents ne vont pas, à court terme, ajuster leur consommation à la baisse. Au lieu de prendre des mesures de redressement tel que suggéré par l’ancien Premier ministre, le gouvernement a aggravé la situation économique par un endettement stratosphérique. Le pouvoir, aphone, se préoccupe plutôt de créer des niches d’enrichissement illicite au détriment de la création des valeurs qui passe par la création d’emplois, la réduction des charges de l’Etat et le traitement du service de la dette.
Comme des criquets qui dévastent un champ de maïs, Ali Bongo Ondimba et ses acolytes ont sanctuarisé le pillage de nos deniers publics. Ils ont multiplié les emprunts sur les marchés financiers. Ils ont maximisé les redressements fiscaux. Ils ont triplé le budget de l’Etat.
En lieu et place de l’émergence promise en 2009, ils ont orchestré la mise sous bons de caisse de l’Etat. Pour se donner bonne figure auprès des multiples fonds vautours auprès desquels ils ont massivement endetté le pays, ils ont adopté des mesures d’austérité qui ne reposent sur aucune orthodoxie financière et dont les effets économiques et sociaux escomptés ne seront que très peu pertinents.
Dans une entrevue accordée le 13 avril 2013 au Devoir, l’économiste Josep Stiglitz fustige les politiques d’austérité en affirmant que « nous savons pourtant, depuis de la grande dépression, que l’austérité ne fonctionne pas. Le Fonds monétaire international (FMI) en a fait la démonstration plus récemment en Amérique latine et en Asie. Et c’est à nouveau le cas actuellement en Europe. Ce qui est stupéfiant, c’est qu’autant de dirigeants politiques continuent malgré tout d’appuyer ces politiques discréditées ». L’austérité est dangereuse dans la mesure où, au lieu de régler le déficit, il l’alourdit et ne permet pas de stimuler l’économie.
Joseph Stiglitz, Casimir Oye Mba et bien d’autres experts et observateurs avertis ont exprimé leurs réserves sur le recours aux politiques d’austérité comme stratégie de sortie de crise.
Au regard de ce qui précède, est-ce véritablement l’austérité dont le Gabon a besoin ?
Je ne le crois pas. Nous sommes plutôt dans ces quiproquos et ces manipulations d’État dont le pouvoir émergent a le secret. La stratégie d’Ali Bongo Ondimba, élaborée et mise en œuvre avec les régents Laccruche et Accrombessi, ne consiste pas à prendre des mesures de réduction du train vie de l’Etat, mais plutôt à sanctuariser leur niveau de prédation des ressources financières de notre pays.
Après 10 ans de gouvernance calamiteuse et concupiscente marquée essentiellement par un acharnement en matière de détournement des deniers publics et des mondanités planétaires, l’économie du Gabon est en lambeaux. Nos marges de manœuvre sont inexistantes. Le pouvoir a même réussi l’exploit stupéfiant de ré-endetter le Gabon durant la période la plus riche de son histoire sans aucune contrepartie dans l’économie réelle si ce n’est quelques infrastructures non prioritaires comme les stades inachevés, les logements sociaux fantômes et le très célèbre tas de sable de la Marina resté au stade des maquettes.
Pire, le brusque et transitoire retournement des cours du brut a sonné le glas de cette ivresse financière avec fracas. Ali Bongo Ondimba et la régence bicéphale ont désormais une priorité absolue : sanctuariser les 1 000 milliards XAF que son système et lui doivent continuer de détourner afin de maintenir leur train de vie minimum, leur rente spoliatrice de droit. Ce à quoi ils ont droit « à 66 ans », pour certains, à 30-35 pour d’autres, à 50 pour d’autres encore, etc.
Pour cela il faut essorer ceux qui n’ont déjà presque rien, le peuple. Par ailleurs, il n’est pas question de réduire sa flotte d’avions, il n’est pas question de vendre le Boeing Business Jet de la première dame (sans précédent en Afrique, en Europe, aux USA, en Asie ), il n’est pas question de vendre l’hôtel de la rue de l’université à Paris [programme à plus de 200 milliards], il n’est pas question de se mettre au travail et d’arrêter de faire le tour du monde sans raison en se passionnant pour des sommets sur l’avenir des papillons et la psychologie des fourmis du Zambèze.
Il ne s’agit pas non plus de réduire les primes sécrètes et officielles des plus hauts responsables de l’Etat, notamment ceux du département du ministère de l’Economie, du ministre et son cabinet et les principaux responsables des régies financières ; des responsables du ministère des Hydrocarbures, primes que Monsieur Magloire Ngambia, ancien ministre des Finances d’Ali Bongo Ondimba, affirme être de cinq cent (500) millions de Fcfa par mois pour lui seul.
Il ne saurait non plus être question de rapatrier les sommes détournées au contribuable en se concentrant sur les donneurs d’ordre Accrombessi et Laccruche. Non, on va nous servir des lampistes comme Ngambia et Ngoubou lorsqu’on sait que, dans notre pays, des sommes importantes sont essentiellement détournées par des étrangers en association de malfaiteurs avec le sommet de l’Etat.
Enfin, il ne saurait pas non plus être question d’arrêter, comme à Marrakech, de construire des palais et d’acheter en dizaines de milliards toutes les maisons voisines pour sa cour… Non ! L’heure est à la sanctuarisation des lubies de celui que Maganga Moussavou appelait affectueusement « le roi fainéant qui dépense à profusion les recettes de l’État, cet incapable qui est un accident de l’histoire qui n’aurait jamais dû être là et qui ne sera jamais l’homme de la situation ».
Pour une fois, les Gabonais seront d’avis avec Maganga Moussavou. Ali Bongo Ondimba n’a jamais été l’homme de la situation et il ne le sera jamais. Les Gabonais le savent, Dynamique unitaire le sait, les autorités politiques françaises et européennes le savent. C’est pourquoi il devient extrêmement urgent de mettre un terme à cette honteuse imposture.
De l’austérité à la rupture
Avec des mesures d’austérité iniques et vexatoires qui font supporter la charge de l’endettement déraisonnable sur les plus défavorisés, l’ordre existant est ressenti par une fraction de plus en plus large de la population comme un désordre entretenu. Pour les Gabonais, les concours financiers accordés au pouvoir kleptomane par les bailleurs de fonds ne se justifient pas ni économiquement, ni socialement. Le FMI et l’Agence française de développement participent, tout au moins, au règlement de la dette intérieure qui, d’ailleurs, profite essentiellement aux filiales des groupes internationaux. En outre, avec un compte déficitaire à la Banque des Etats de l’Afrique centrale, les avances du FMI au Gabon permettent avant tout de rétablir les équilibres monétaires. Au final, le Gabon est dans un cercle vicieux.
En réalité c’est parce que le cours de l’évolution sociale de notre peuple est aujourd’hui perçu comme irrationnel que la restauration du règne de la raison n’apparaît plus devoir se réaliser qu’à travers une rupture ou un renversement du système actuel.
Nous devons être prêts pour une réaction citoyenne. Cette réaction couve le cœur de l’administration avec la dynamique unitaire des agents de l’Etat qui, dans le respect des droits garantis par la Constitution, appelle les travailleurs des secteurs public et privé à s’opposer aux pseudos mesures d’austérité du gouvernement illégitime et incompétent. Chaque Gabonaise, chaque Gabonais, en ses grades et qualités, est concerné par cet appel patriotique. Une prise en main du peuple par lui-même doit se construire.
De fait, les dirigeants gabonais qui ont imaginé s’enrichir indéfiniment sur le dos du peuple au mépris de toute justice ont oublié cette vérité : « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître s’il ne transforme sa force en droit ». Contrairement à ce que préconise Jean-Jacques Rousseau, au Gabon la force est tyrannique et vexatoire et le droit engendrent le désordre qui est une bombe à fragmentation sociale.
En définitive, face à la politique de pillage de Monsieur Ali Bongo Ondimba, il faut reconnaitre, en toute honnêteté, que le processus de démocratisation qui, seul, peut enclencher un développement viable et durable du pays est bloqué. Il a été vicié.
La rupture d’avec le système en place est inévitable dans la mesure où le vent de la liberté qui souffle sur le Gabon est l’expression d’une aspiration universelle à la justice.
Persis Lionel Essono Ondo,
Secrétaire exécutif Reagir