Au-delà d’un bilan économique et social globalement désastreux qu’avait laissé Omar Bongo Ondimba et d’une démocratie ambigüe qu’il avait fabriquée pour s’assurer à vie le confort du pouvoir, certaines valeurs ont quand même fait partie du « bongoïsme » : une certaine idée du dialogue, une certaine tolérance, une volonté de régler politiquement les conflits sociaux, y compris avec ses plus farouches adversaires.
Son illégitime successeur, incapable de porter la veste présidentielle que son « père » a portée durant quarante-deux (42) ans, a-t-il préservé et fructifié cet « héritage » politique ? Pas si sûr.
Dialogue, tolérance, paix : une devise qui a résumé le « bongoïsme »
Loin de vouloir faire une quelconque propagande favorable au Parti démocratique gabonais (PDG), ce triptyque d’Omar Bongo résume pourtant bien sa gestion du pouvoir sur plus de quatre décennies sans discontinuité. On pourrait, bien entendu, y ajouter un dernier mot « violence ». Car celle-ci était réelle dans la vie du régime, mais plus masquée, diffuse et rarement manifestée.
De 1967 à 1980, l’homme a instauré le parti unique. Avec lui, le tribalisme, la gabegie et le pillage à ciel ouvert de l’Etat rentier. Une petite caste de roitelets dilapident, avec lui, les biens du pays non sans favoriser l’enrichissement des étrangers dont le Béninois Dossou Aworet en est la parfaite illustration… Tous les cadres devaient s’aligner derrière le « grand camarade », le « guide éclairé, l’arme du présent et du futur… ». Ceux qui s’amusaient à vouloir le contester étaient froidement assassinés. Germain Mba, Ndounah Depenaud, Avaro, Djoué Dabany, Ayatsou… Mieux vernis que leurs prédécesseurs, les pères fondateurs du Morena eurent plus de chance. La prison à la place des assassinats.
En 1990, Omar Bongo fit une véritable mue. C’est l’ouverture au multipartisme. Face aux pires moments de son régime (1990, 1993), il réussit à se maintenir au pouvoir en usant de tous ses stratagèmes pour faire face à ses adversaires, l’argent du pétrole aidant aussi pour acheter, fidéliser et pacifier les contestataires face à lui.
Au plan économique, il n’avait jamais pu élaborer une vision de long terme de l’économie. Ce domaine semblait bien le dépasser. Il se contentait de la rente pétrolière pour distribuer des « miettes » sous forme de salaire aux Gabonais et de « dons » et en leur fermant les portes de l’économie au profit des étrangers afin de mieux les tenir dépendants de l’Etat, et donc de lui. L’activité politique (partis, associations, syndicats) était le domaine qui permettait d’avoir une bonne vie (nomination, corruption, détournement, enrichissement illicite). Les seules conditions étaient de dire « Bongo, oyé ! », trahir ceux qui conspiraient et savoir applaudir en public.
Qu’a fait Abo de ses dix ans de pouvoir ?
C’est aussi l’autre manière de se questionner au fond sur cet héritage politique d’Obo. Le regret qu’un certain nombre de Gabonais ont de lui aujourd’hui, y compris dans la classe politique et la société civile, ne provient pas de la nostalgie vis-à-vis d’un passé économique glorieux ou satisfaisant qu’on aurait perdu avec sa disparition le 07 juin 2009 en Espagne, mais plutôt de la perte d’un certain contexte socio-politique où les gens étaient relativement libres de s’exprimer, d’interroger le pouvoir, de marquer frontalement leur dissidence tout en continuant de vivre en paix (le vivre ensemble). C’était aussi une ère où le pouvoir était relativement mûr, sérieux, pas progressif en termes d’acquis de droits sociaux et économiques pour le peuple, mais, cependant, réaliste. La vie sociale et politique était relativement prévisible, stable avec une certaine graduation pour arriver au sommet. Une comparaison avec les traits caractéristiques de l’arrogance, de la vulgarité, de l’amateurisme du régime de son successeur illégitime Abo et des raccourcis obscurs pour réussir instituées fortement sous l’émergence depuis 2010.
A l’immobilisme des années Bongo (1990-2009) a succédé la République des maquettes et promesses démagogiques sur fond d’illégitimité
Le dialogue ? Obo l’avait fait avec ses plus farouches adversaires en 1990 à la Conférence nationale (notamment avec le Morena et les étudiants), à Paris après la présidentielle de 1993 volée à Mba Abessole pour en sortir avec les accords de paix, dits de Paris, en 2005 avec Pierre Mamboundou et toute la classe politique au complet pour apaiser la colère des autres. Ce qui avait donné quelques avancées en matière électorale grâce aux « Accords d’Arambo ».
Avec Abo, c’est une toute autre histoire. De la vraie supercherie politique et escroquerie intellectuelle. Le simulacre devient la réalité du politique. Les vrais interlocuteurs sont représentés par des figurants du jeu politique.
En 2009, après avoir volé la présidentielle à Amo et réprimé dans le sang les manifestations, il n’avait jamais admis un tel dialogue de réconciliation, craignant de manquer d’argument et de faire acte d’humilité. En 2016, le hold-up électoral étant encore plus fort qu’avant, il organise son propre dialogue auquel les vrais leaders de l’opposition (Jean Ping, Myboto, Barro Chambrier et consorts) ne prennent pas du tout part. Au sein du PDG, il installe une politique de terreur que son DC, BLA, avait refusée.
La tolérance ? Elle ne peut émaner que du dialogue. En refusant de se positionner comme au-dessus des partis et des conflits sociaux et politiques, Abo a toujours fait de l’arrogance et de la violence ses traits de pouvoir. Les massacres de 2009 et surtout de 2016 l’attestent avec des plaintes à la CPI déposées par lui-même. C’est aussi au sein du PDG que les exclusions massives de ceux qui osent exprimer leur différence sur la marche du parti sont légion. Les démissions de 2016 l’expliquent.
La paix ? Elle n’a jamais été aussi précaire dans l’histoire du pays, notamment après 1990. Exacerbées par son incapacité post-AVC, les tensions politiques au sein de son propre cocon familial, puis politique, risque, à terme, de déboucher sur l’instabilité militaire ou civile. Le bluff d’Aba’Minko en 2017 et la tentative de coup d’Etat du jeune militaire Kelly Ondo Obiang en janvier 2019 illustrent un état d’esprit qui montent dans la population et touche le moral militaire au regard de la gabegie, de l’impunité et des mensonges d’Etat qui nient tout esprit d’Etat de droit, de République et de démocratie.
Pour une grève de bourse à l’université, des magistrats au tribunal, des commerçantes au marché, une grève des fonctionnaires revendiquant des primes ou des régularisations administratives…, Ali Bongo envoie l’armée (gendarmerie, police, armée de terre) aller intervenir. La dictature monte d’un cran, les violations des droits de l’Homme deviennent systématiques pour renforcer le régime : procès politiques réguliers contre les opposants et acteurs de la société civile, arrestations, enlèvements, tortures, crimes rituels… La justice, plus qu’avant, est aux ordres du Palais présidentiel pour condamner, harceler et maintenir illégalement en prison, en violation des les textes et des procédures, des honnêtes citoyens dont le seul vrai crime est de dénoncer un régime criminel et cruel, incapable de donner ne fût-ce que de l’eau, du courant et de la propreté urbaine à la population. On ne peut même plus faire référence au travail et au bon partage des richesses du pays entre tous. La paix est précaire, car une petite élite tribaliste croit avoir le dernier mot sur tous. Mais il suffit d’une petite étincelle sociale ou politique à tout moment pour embraser tout le Gabon.