Depuis plusieurs semaines maintenant, le Premier ministre et ses ministres financiers semblent être engagés sur tous les fronts. On les a vus arpenter presque tout ce que notre pays compte de tribunes et médias, égrenant toute une série d’indicateurs économiques dans le but faire valoir auprès de l’opinion nationale et internationale l’efficacité de la stratégie retenue et des actions engagées dans le cadre du Plan de relance économique (Pré) actuellement mis en œuvre par le gouvernement.
Le contexte
En effet, depuis 2013, les recettes suivent une tendance baissière, à l’exception de l’année 2017 qui est en légère hausse. Les prévisions budgétaires de l’année 2017, qui se situaient à 1748,07 milliards de francs cfa, ont augmenté de 170,93 milliards pour atteindre 1 919 milliards de francs cfa. Cette hausse semble entrevoir une amélioration du recouvrement des recettes hors pétrole, mais elle résulte en réalité du renforcement des ressources d’emprunt dont les prévisions se situaient autour de 150 pour un recouvrement de 296,61 milliards.
A croire cette campagne de communication rondement menée, l’économie gabonaise serait, cette fois, définitivement en voie de sortir de l’ornière, laissant entrevoir des perspectives mirifiques pour ses entreprises et sa population.
Cependant, derrière toute cette agitation, manifestement surfaite, les observateurs avertis auront bien compris que ce n’est pas tout à fait du sort de nos braves citoyens (nationaux ou résidents) ni même des enjeux de leurs activités ou de leurs entreprises dont il est question, mais qu’elle ne visait en réalité qu’un seul objectif : préparer le terrain à la mission des experts du FMI attendue à Libreville pour évaluer les conditions de la mise en œuvre du programme de réformes économiques présenté par le gouvernement de la République aux partenaires multilatéraux afin d’obtenir leur appui et leur assistance.
En effet, depuis la chute du cours du baril de pétrole à la mi-2014, l’économie gabonaise est entrée dans un cycle de croissance faible. Dans ce contexte, un Plan de relance économique a été mis en place, couvrant la période 2017-2019, avec pour objectif de contenir les déséquilibres macro-économiques et budgétaires accumulés depuis le retournement de la conjoncture du milieu la décennie et relancer la croissance.
Décliné en six volets, ce Pré vise notamment à : 1°) améliorer le recouvrement des recettes ; 2°) mieux maîtriser les dépenses publiques ; 3°) assurer la viabilité et la soutenabilité de la dette ; 4°) renforcer la compétitivité des filières moteurs de croissance ; 5°) faciliter l’initiative privée en améliorant le cadre des affaires ; 6°) jeter les bases d’une croissance inclusive et améliorer qualité des services publics aux citoyens.
Approuvé par les institutions financières internationales, sur cette base, le Gabon a pu, en juin 2017, conclure avec le FMI un accord triennal (2017-2020) d’accompagnement assorti d’une enveloppe globale de 464,4 millions de DTS (soit 642 millions de dollars) au titre du mécanisme élargi du crédit. Au cours de la même année, la Bad et la Banque mondiale ont déboursé respectivement 500 millions d’euros et 200 millions de dollars en soutien au programme de réforme lancé par les autorités du pays avec un double objectif en ligne de mire : retrouver une stabilité macro-économique et garantir à terme la soutenabilité de la dette publique qui a fortement augmenté au cours des dernières années pour atteindre jusqu’à 59 % du PIB en 2018.
1°) L’optimisation des recettes fiscales
Résignées à réduire la dépendance des comptes publics vis-à-vis du secteur pétrolier qui, selon la Banque mondiale, représente en moyenne 80 % des exportations, 45 % du PIB et 60 % des recettes fiscales, les autorités publiques ont mis en place une nouvelle stratégie visant à augmenter les recettes hors pétrole en misant en particulier sur un élargissement de l’assiette fiscale. Dans cette optique, le gouvernement s’atèle, depuis plusieurs mois, à mettre en place un dispositif d’amélioration du recouvrement des impôts et taxes et travaille à une meilleure rationalisation des exonérations et des régimes de faveur.
L’objectif annoncé ici, au lancement du programme en 2017, était clairement de porter la contribution des recettes hors pétrole à 20 % du PIB non pétrolier. Etabli à 16.4 % sur les comptes à fin 2018, l’effort entamé devra être poursuivi. En particulier s’agissant de la révision des exonérations accordées à des entreprises des secteurs agro-industriel et forestier, dont les retombées ne sont pas à la hauteur des attentes.
2°) La situation des dépenses publiques
Dans son objectif de maîtrise des dépenses publiques, le gouvernement a fait de la maîtrise de la masse salariale son principal objectif. A cet effet, un audit du budget salarial de la fonction publique visant à rationaliser l’effectif des fonctionnaires a été lancé et s’est soldé par un gel des recrutements pour une durée de trois ans (2017-2019).
En effet, depuis 2009, les charges salariales ont fortement augmenté, les dépenses de la rubrique salaires et traitements dans la loi des finances sont passées de 370 milliards de Fcfa en 2009 à 732 milliards en 2016, soit une hausse de 98 %, ce qui représente près de 40 % de son budget. Suite à la consolidation budgétaire engagée dans le cadre de la réponse de la Cémac et l’appui du FMI, le Gabon est parvenu à réduire son déficit budgétaire, passant de 5,1 % en 2016 à 3,6 % en 2017, puis à 0,3 % en 2018.
3°) Le renforcement de la compétitivité des filières moteurs de croissance
S’agissant de la gestion de la dette qui avait fortement progressé depuis 2009, avec une accumulation d’arriérés sur la période récente, la stratégie de régularisation complète définie par le programme reste maintenue, en dépit des retards constatés à mi-parcours. De fait, les autorités continuent d’éprouver des difficultés à respecter le calendrier du service de la dette, principalement en raison de conditions de liquidité tendues, et du manque de coordination apparente entre les responsables du service de la dette et du Trésor.
Sur ce plan, le critère de non accumulation des arriérés de la dette extérieur prévu par le programme n’est pas respecté non plus, mais les autorités se sont engagées à mettre en œuvre des mesures correctives assorties de délais, pour réaliser l’apurement total des arriérés liés à la dette extérieure commerciale non garantie.
4°) Facilité l’initiative privée en améliorant le cadre des affaires
Pour ce qui est du renforcement de la compétitivité des filières de croissance, le Gouvernement a focalisé ses efforts sur le secteur agricole et l’industrie du bois. Ces deux secteurs ont drainé une partie significative de la croissance marginale (+0.3 %) réalisée en 2018, tirant profit notamment de l’entrée en production des champs d’hévéa d’Olam et des bonnes performances obtenus dans le traitement de d’huile de palme, ainsi que dans les activités de transformation de bois.
Pour entretenir cette tendance haussière, le Gouvernement entend poursuivre l’exécution des projets liés à la valorisation du potentiel agricole en soutenant cultures de rente et vivrière. Parallèlement, les efforts de modernisation seront accentués pour accélérer la politique de transformation locale en particulier dans la filière bois et sur le secteur minier. Objectifs louables, restant à concrétiser.
5°) Les bases d’une croissance inclusive et l’amélioration de la qualité des services publics aux citoyens
Concernant ce point, les analyses menées par les institutions financières internationales révèlent que le Gabon est loin d’être un pays attractif. En effet, Le rapport Doing Business de la Banque mondiale mesurant la qualité du climat des affaires classe le Gabon à la 169ème place sur 190 pays en 2018. En 2017, le Gabon occupait la 162ème place sur 190 pays alors qu’il avait déjà perdu 5 places au classement de l’année précédente. Ce recul du classement du Gabon incline à penser que les autorités ne sont pas encore parvenues à créer un cadre qui soit véritablement favorable aux affaires et au développement du secteur privé. Jusqu’ici la stratégie du gouvernement dans ce cadre s’est résumée à accorder des incitations spécifiques aux investisseurs étrangers. Mais cela semble insuffisant. Selon la Banque mondiale, trois conditions essentielles doivent être présentes pour encourager l’initiative privée et améliorer le cadre des affaires dans les pays en développement : le renforcement du capital humain, la mise en place d’un environnement réglementaire et juridique équitable et transparent, l’amélioration de la qualité et du prix des infrastructures clés. En toute objectivité, force est de reconnaitre que dans l’état actuel des choses, de gros efforts restent encore à consentir. Même constat pour le second objectif du Pré sur ce volet qui visait la réorganisation des passerelles de financement en faveur des PME, qui reste à ce jour lettre morte, en dehors de quelques initiatives (bien souvent confidentielles d’ailleurs) portées par le FGIS.
6°) Les bases d’une croissance inclusive et l’amélioration de la qualité des services publics aux citoyens
Pour ce qui est de ce dernier point en rapport avec la problématique de la croissance inclusive présentée par le gouvernement comme l’un des axes majeurs de son action, il ne serait pas trop s’avancer que de conclure qu’à ce stade le Pré n’a produit que peu de résultats sur ce front. Le constat d’un taux d’exécution des dépenses de protection sociale nettement inférieur aux objectifs et l’impression de paupérisation galopante qui se dégage de l’observation du corps social en apportent un éclairage implacable.
Fin 2013, le cabinet McKinsey & Company avait mené une étude sur l’état de la pauvreté au Gabon, stigmatisant déjà à ce moment les insuffisances des politiques sociales conduites par les pouvoirs publics (30 % des ménages gabonais économiquement faibles ; 70 % des villages enclavés ; 35 % des départements affichant un taux de pauvreté supérieur à 50 % ; 60 % des départements en régression sur les conditions d’accès aux services sociaux de base).
Six ans après, malgré les promesses du Pré, les politiques publiques restent inefficaces et ne parviennent toujours pas à jeter les bases de cette indispensable inclusion financière et sociale.
Après cette large revue, nous pensons êtres fondés à conclure que trois ans après le lancement du Plan de relance économique, beaucoup reste à faire, la plupart des indicateurs d’évaluation des conditions de mise en œuvre n’étant pas atteints à ce jour. Malgré les efforts déployés, il paraît évident que l’Etat rencontre encore d’énormes difficultés pour parvenir à concrétiser son ambition de relance. Tout compte fait, force est de reconnaître que le compte n’y est pas encore vraiment.
K.M