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Interview du professeur Noël Bertrand Boundzanga : « Nous devons nous engager à faire la lumière sur les pages sombres de notre histoire »

Universitaire, homme de culture et acteur de la société civile, notamment d’Appel à agir, Noël Bertrand Boudzanga est l’un de ces jeunes qui, depuis, se battent pour la libération du Gabon. Enseignant à l’UOB, il fait partie de cette classe d’intellectuels qui n’ont jamais fait mystère de leur engagement dans le combat pour la libération du Gabon. Dans cette interview qu’il nous a accordée, il revient sur le coup d’Etat militaire du 30 août dernier. Il nous appelle à un devoir d’inventaire. « Nous devons nous engager à faire la lumière sur les pages sombres de notre histoire », a-t-il dit. Et il souhaite que les mentalités instaurées par le PDG soient ruinées. Lecture !

Le Mbandja : Bonjour, prof Boundzanga ! Comment allez-vous ?

Noël Bertrand Boundzanga : Bonjour, M. Biteghe ! Comme vous me voyez.

Un double événement a eu lieu le 30 août au matin avec deux coups d’Etat successifs. Avec le recul que permet le temps, peut-on dire que cela était prévisible ?

Vous parlez de deux coups d’Etat. Moi je parle de trois coups d’Etat. Le premier est celui contre Ali Bongo, puisque le CGE l’a déclaré vainqueur de la présidentielle du 26 août dernier. Le PDG n’a pas condamné ce coup d’Etat. Ce qui est curieux quand même. Le deuxième est celui contre le professeur Albert Ondo Ossa. Puisque les militaires ont dit que les résultats étaient tronqués, on peut supposer que les résultats réels, et qu’ils connaissent, donnaient vainqueur le professeur d’université. Le troisième coup d’Etat, enfin, est un coup d’Etat contre la démocratie, c’est-à-dire un coup d’Etat contre le peuple. Je peux dire qu’au moins deux coups d’Etat étaient prévisibles : celui orchestré par le PDG, via le CGE, et celui contre le peuple. On savait les forces de police et de défense nationale promptes à déverser sur le peuple des gaz lacrymogènes et autres munitions. Là, ils ont décidé d’agir autrement.

La prise du pouvoir par les militaires a conduit le pays dans un régime d’exception. Sauf que, à l’usage, le régime militaire fonctionne comme un vrai régime politique avec des institutions politiques normales dites de transition. Une transition militaire s’accommode-t-elle avec un fonctionnement politique normal ?

Une transition est un temps intermédiaire qui permet de poser le cadre le plus adéquat possible pour un fonctionnement régulier de l’Etat. Les militaires ne se positionnent pas seulement en héros conjoncturels, ils se présentent aussi comme le corps d’un messie. Sur quelle doctrine se base ce messie ? Sur une approche révolutionnaire ou sur une approche réformiste ? A mon sens, il se veut réformiste. Vous remarquerez, d’ailleurs, qu’il y a un ministère de la Réforme. Il s’agit de la réforme de notre économie, de notre démocratie, de notre justice et de notre Etat-Nation. Notre économie va-t-elle continuer à être essentiellement extractive et sans création de valeur ? Notre démocratie peut-elle enfin être représentative avec un vrai pouvoir détenu par le peuple plutôt que par le président de la République ? La justice peut-elle être juste, indépendante et sans corruption ? Quelle doctrine guide la gestion de nos armées ? Notre Etat-Nation, enfin, peut-il s’appuyer sur notre culture pour s’auto-fonder ? C’est parce que le régime militaire d’Oligui n’est pas révolutionnaire qu’il fonctionne naturellement avec les institutions régulières de l’Etat. Il faut aussi voir que la charte énonce bien les institutions de la transition qui ont une durée de vie limitée et dont le travail consiste justement à réformer les institutions régulières. J’ajouterai, pour finir sur ce point, qu’aucun régime militaire n’a développé un pays. Et comme l’impératif de développement est d’or, vous comprenez ce que je veux dire…

Lors de la prise de pouvoir par les militaires, les Gabonais ont découvert, ébahis, la présence, dans les maisons des gamins, des cantines bourrées de centaines de milliards. Doivent-ils être les seuls à blâmer ?

Assurément non ! Ils ne sont pas les seuls à avoir détourné de colossales sommes d’argent, ni les seuls à posséder des biens mal acquis. Et puis, dans l’ordre des sanctions, le blâme est une petite sanction. Il faut prononcer contre les criminels économiques les condamnations les plus sévères. J’ai entendu le ministre de la Justice dire que les enquêtes vont se poursuivre. On attend donc la suite de ces enquêtes.

De nombreux acteurs politiques de l’ancien régime étaient au cœur des coups d’Etat électoraux au Gabon de 1993 à 2023 avec les morts qui s’en suivaient. Devrait-on faire l’impasse sur ce passé récent et douloureux ou les bourreaux doivent bien rendre des comptes ? Si oui, de quelle manière ?

Vous parlez de deux choses que je distingue. Les coups d’Etat électoraux et les homicides volontaires post-électoraux. En 2016, le Gabon a souffert de ces ravages et des familles sont encore endeuillées. Ce ne sont pas les juges constitutionnels qui ont attaqué le QG de Jean Ping. Ce sont des militaires. L’histoire se construit en l’assumant et notre Nation doit assumer cette histoire sordide contre la vérité électorale et contre des compatriotes. Nous devons nous engager à faire la lumière sur les pages sombres de notre histoire. Du temps du parti unique, dans les années 70, le régime d’Omar Bongo a commis des crimes. Avant de condamner qui que ce soit, il faut d’abord écrire l’histoire. C’est un travail qui appartient aux historiens. Ensuite, profitant de la prochaine Conférence nationale, les Gabonais devraient se parler, dire la vérité, se pardonner et trouver les formes de la sanction.

Comprenez-vous qu’Ali Bongo soit toujours en liberté ?

Si l’on comprend d’où sort le coup d’Etat qui le fait tomber, l’on comprend pourquoi il est en liberté. Mais l’histoire n’est pas finie.

Lors du dernier Conseil des ministres et les nominations qui s’en sont suivies, de nombreux Gabonais n’ont pas caché leur indignation au regard de la confiscation de certaines directions dites « juteuses » par les cadres d’une certaine province et même par les fils des tenants de l’ancien régime. Comprenez-vous leur indignation ?

Les gens ont des sentiments et rien ni personne ne peut contester les sentiments des autres. Ce qui n’enlève pas le fait que les sentiments peuvent tromper. Il y a un problème dont il faut parler avec la plus grande sincérité et la plus grande rigueur. Les militaires ont dit avoir fait le coup d’Etat pour restaurer les institutions. Il ne s’agit pas seulement de restaurer les institutions qui sont les structures de la vie institutionnelle. Il faut restaurer la Nation et le peuple. Par quoi est mise à mal la Nation ? Par l’ethnisme, le tribalisme et le régionalisme. Et chaque fois que prospère le tribalisme, la Nation régresse. De ce point de vue, il me semble que les récentes nominations font un tort à la Nation dont on rêve. Vous savez, la diversité ethnique est une richesse culturelle. Ce pays est génial, mais les hommes ne sont pas à la hauteur de sa génialité. L’indignation de certains compatriotes est donc légitime.

Le PDG doit-il continuer à exister malgré le tort qu’il a causé à ce pays ?

De quoi est coupable le PDG ? D’avoir renoncé aux idéaux de la démocratie, d’avoir mis en pièces les acquis de la Conférence nationale de 1990, d’avoir fait de l’Etat un de ses organes, d’avoir encouragé et soutenu les dérives dynastiques et la tentation monarchique, d’avoir corrompu la jeunesse aux idées rétrogrades. Jusqu’en juillet dernier, ses députés et sénateurs en étaient encore à faire fi de la loi en modifiant la loi électorale au profit d’un bulletin unique qui transpirait le vice et le déni de la démocratie. Le PDG a tué le peuple en instaurant des mandats impératifs et le bulletin inique visait à enterrer définitivement ce même peuple. Il faut sortir des Bongo et du bongoïsme, du PDG et du PDGisme.
Enlever Ali Bongo et dissoudre le PDG ne suffiront pas. Il faudra faire bien plus. Pour suivre la rhétorique du général Oligui, je dirai que restaurer les institutions, c’est restaurer la première institution du pays. La première institution, c’est le peuple. Je ne crois pas que la nécessité de juger le PDG et de le dissoudre soient dans le projet du général Oligui. Il ne fera pas tout le même jour. Il ne fera même pas tout. Après lui, l’histoire continuera son train. Le totalitarisme commence quand on croit qu’on peut tout faire. A ce moment-là, on renonce au temps, on se croit irremplaçable et éternel.

Votre mot de la fin

J’ai dit que les militaires ont accompli une œuvre de salut public, mais je tiens à préciser que le peuple voulait la démocratie et l’alternance, pas le coup d’Etat militaire. Les militaires doivent s’en souvenir en dépit de l’euphorie générale après leur coup. Nous avons un territoire uni, une liberté de circuler, la paix à l’intérieur de nos frontières. Nous ne nous battons pas contre des terroristes et notre territoire n’est pas fractionné. Les organismes financiers internationaux n’ont pas sanctionné le Gabon. Donc tout va bien. La transition ne devrait pas durer, car nous ne sommes pas dans le cas du Mali ou du Burkina Faso. Le coup d’Etat d’Oligui doit être un coup de pouce géant vers la démocratie.

Monsieur Boudzanga, merci !

C’est moi qui vous remercie.

Propos recueillis par Guy Pierre Afane Ayare

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