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Réflexion sur le sport au Gabon : Suite de l’interview de Marc Elie Biyoghe « …l’homme peut avoir tout perdu, sauf l’espérance »

Amoureux et passionné de sport, vous l’avez été et vous l’êtes certainement encore dans l’âme. Grand chroniqueur radio, vous avez participé à donner le goût du football à vos auditeurs de la RTG radio avec des expressions qui nous sont restées en souvenir de ces moments-là : « Le public qui se lève comme un seul homme… Et la cause est entendue… ». Marc Elie Biyoghe, avec le recul que permet le temps, l’acteur avisé, même à la retraite, que vous êtes, du football, êtes-vous heureux de nos résultats dans cette discipline ?

Marc Elie Biyoghe : J’ai l’habitude de parler avec mon cœur. Déjà, dans le sport, je suis venu par la force des choses. Je vous rappelle qu’en 1968, lorsque, pour le compte de la télévision, on m’affecte à Port-Gentil, j’ai été obligé de faire de la radio parce que là-bas les autorités ont voulu entendre ce qui se passe sur le plan du sport. Voilà comment je commence à faire la chronique sportive. Cela va intéresser les gens. Et quand je reviens à Libreville, car, il faut le préciser, j’étais uniquement agent de la télévision, l’organigramme de la RTG va être revu au moment où Monsieur Jacques Adiahénot était directeur général. Le service des sports a été tout de suite rattaché à la direction générale, en service sport radio, sport télévision que je commandais. Et cela a été confirmé en 1975 lorsque Monsieur Jean-Boniface Assélé était secrétaire d’Etat à l’Information.
J’ai donc suivi le sport gabonais pendant assez longtemps. Pas seulement au moment où je m’y trouvais, mais depuis le moment où j’étais à l’école, car ici à Libreville, à l’époque, il y avait plusieurs manifestations de sport aux niveaux scolaire, civil et militaire.
Vous m’avez posé la question sur l’actualité. Je vous rappelle qu’en 1972, j’avais dit, à Brazzaville, lors des jeux de l’Afrique centrale, voyant comment nous, Gabonais, nous nous étions comportés, qu’il y avait une malédiction dans cette affaire-là. Je ne comprenais pas qu’une équipe nationale, celle de volley-ball, que les joueurs se présentent sur le terrain sans maillots. J’ai vu, au niveau du football, des joueurs sans âme. Mais qu’est-ce qui nous arrive ? Et lorsque nous sommes revenus à Libreville, il y en a qui m’ont posé la question : ‘’Marc Elie, tu as dit que nous sommes maudits’’. Je le maintiens et je l’assume. Dans ma tradition fang du Moyen-Ogooué, on dit de quelqu’un qu’il est maudit quand il ne réussit pas toujours dans ce qu’il veut entreprendre. Dans le cas du Gabon, nous faisons le sport pourquoi ? Quel genre de sport ? Nous le faisons pour nous-mêmes, pour le pays, pour s’amuser ou alors cela devient une affaire politique comme nous le voyons à présent ? Et si cela intéresse le gouvernement, c’est que cela devient une affaire politique. Personne ne peut nier que lorsque le gouvernement s’intéresse au sport, au football notamment, c’est pour en faire un outil de propagande politique. En ce moment-là, qu’est-ce qu’il met dedans comme moyens ? Nous sommes toujours dans l’à peu-près. Vous voyez aujourd’hui, tous les autres championnats se jouent ailleurs. On ne joue pas au Gabon.
Il fut une époque, moi je l’ai remarqué, tous ceux qui dirigeaient les équipes sportives étaient directeurs des entreprises où il y avait de l’argent. Au Gabon, les supporters, c’est pour faire du bruit, encourager. Ils ne cotisent pas. Mais les équipent trouvent l’argent où, la vente des billets ne pouvant constituer leur budget ? A partir du moment où ces gens-là ont été relevés de leurs fonctions, où en sont leurs équipes ? C’était là de fausses solutions à un vrai problème.
A un moment, lorsque Monsieur Léon Mebiame (paix à son âme !) était Premier ministre, il y a eu un essai qui a été fait, à la limite qui a réussi. On a confié les équipes aux sociétés. Nous avons vu l’AS Sogara jouer une finale de coupe d’Afrique de clubs champions. Nous avons vu l’Oprag, Mbilinga (l’équipe de Shell Gabon), Petro-sport (l’équipe d’Elf Gabon)… Mais Libreville ne se laissait pas aussi conter. Nous avons eu ici des équipes comme le FC 105 (équipe de l’armée), le CSB (équipe de la CNSS), le Vautour club Mangoungou qui deviendra l’Union sportive Mbilanzambi (équipe de la police). Ce sont là des équipes qui avaient de l’argent. Aujourd’hui, nombre de ces équipes n’existent plus à partir du moment où on dit, plus d’équipe tribale, c’est ce que j’ai entendu dire, place aux sociétés. Mais, à un moment, les sociétés se sont désengagées, en dehors de la Comilog.
Aujourd’hui, il paraît que nous préparons la Can qui va se dérouler au Cameroun. Où sont les joueurs ? Où est le championnat ? Nous n’avons pas de championnat. Quelle position occupent nos joueurs qui sont à l’extérieur ? Sont-ils titulaires ou sur le banc ? Sachons ce que nous voulons. Dans la vie, tout se prépare. Il n’y a pas de résultats sans préparation. Il peut nous arriver de faire un exploit, mais il est difficile de le répéter.
Nous avons commencé, et j’ai vécu cette belle affaire, les jeux scolaires et universitaires. Quand le lycée Léon Mba jouait, vous ne cherchiez pas les spectateurs. Les lycéens étaient là. Idem pour Bessieux, le lycée technique Omar Bongo et ainsi de suite. Quand les Abeilles jouaient, les vrais supporters étaient là. J’ai vu, car j’ai vécu dans un quartier où vivaient les dirigeants d’une équipe nommée Olympique sportif de Libreville. J’ai vu des gens refuser de manger le soir lorsque cette équipe était battue. J’ai vu des gens dire, je suis prêt à consentir n’importe quel service ou effort pour que l’on trouve la solution pour l’équipe. Je crois qu’aujourd’hui, si vous allez au stade, vous entendrez les mouches voler à la place des spectateurs. Tout simplement parce que ce les gens n’y trouvent plus leur intérêt.
Il y a plusieurs expériences qu’on a tentées et qui ont donné leur fruit. Par exemple la Coupe du Gabon. Quand Munadji 76 avait gagné la coupe ici, quel plaisir et quel succès pour la Nyanga ! Mais on a vite parlé de problèmes de passion. Vous ne pouvez rien réussir sans passion. Elle se contrôle. Toutes ces expériences sont là, mais c’est d’abord un problème de cœur. Je joue parce que j’aime.
J’ai parlé de l’expérience des sociétés. Vous avez un Sarakolé qui est recruté à l’Oprag, par exemple. Il touche 500 000 F par mois. Il est obligé de donner le meilleur de lui-même, car il sait que s’il ne donne pas toute la mesure qu’on attend de lui, il est dehors. Il y a eu ici, à un moment, la coupe Beaufort qui était financée par des sociétés. Pourquoi on ne peut pas faire appel à tous ces souvenirs, faire la synthèse, afin de nous relancer ?

Aujourd’hui, tout se joue dans des interminables rencontres de réflexion et autres task force alors que les problèmes sont connus et même, à la limite, les solutions dont on n’a certainement pas les moyens d’appliquer. Omar Bongo disait en son temps : ‘’Lorsqu’un bordel ne fait plus recette, on ne change pas la façade, mais les putains qui sont dedans’’. N’avait-il pas raison ?

Bien sûr qu’il a eu raison. Mieux, nous devons toujours nous rappeler de son dernier message qui était, de mon point de vue, une sorte de repentance : ‘’Dieu ne nous a pas dit de faire du Gabon ce que nous sommes en train de faire…’’. Revisitez la suite. Pour moi, c’est un avertissement. Nous ne sommes pas quand même des sous-hommes pour qu’on ne puisse pas trouver une solution pour bien organiser le sport chez nous.
Rappelez-vous de la Can au Gabon en 2012. Où était le stade du Gabon et dans quel état ? Nous étions obligés d’appeler les Chinois au secours au dernier moment. Ils travaillaient nuit et jour. Notre stade, qui porte le nom du défunt président Omar Bongo et qui est au centre-ville, n’était pas au point. L’emplacement du stade est un point important.
Pour la petite histoire, ce sont les Italiens qui ont commencé la construction de ce stade. Le premier match qui y a été joué, c’est nous qui l’avons organisé. Le stade était encore en chantier. Monsieur Paul Malékou était à l’époque ministre des Travaux publics. Ses services nous ont dit, en tant que maître d’œuvre : ‘’On ne peut pas vous céder le stade en construction, sinon vous prenez l’engagement’’. Et c’est moi qui vais signer l’engagement en lieu et place de la RTG et du ministre des Sports, Monsieur Ossey Monday. Et je remercie ici Monsieur Assélé qui nous avait aidé à tracer le stade qui n’était pas encore terminé à l’époque. Nous avons joué contre La Voix du Zaïre. C’était le tout premier match. J’ai appris par la suite que les Italiens ont été dégagés pour faire la place aux Français. Et on a découvert des malfaçons dans les travaux. D’abord, sur l’emplacement des tribunes. Il faut savoir qu’un stade se construit en fonction du lever et du coucher du soleil. La tribune d’honneur se place du côté où se couche le soleil parce que le soleil se lève le matin et on ne joue pas au football de compétition le matin. Contre toute attente, la tribune officielle est venue là où le soleil se lève. Donc le coucher du soleil était en face. Toujours est-il que stade n’est pas achevé, il reste toujours en chantier.

A côté de ces souvenirs que vous remettez au goût du jour, il y a d’autres que nous gardons, notamment cette finale des clubs jouée à ce mythique stade Omar Bongo. Un autre souvenir, c’est celui de ce grand entraineur gabonais de tous les temps qui conduisit notre Azingo à jouer les quarts de finale d’une Can en Afrique du Sud, Alain Da Costa Soarez, pour ne pas le citer. Depuis cette parenthèse, le Gabon n’a plus fait confiance au niveau du choix des entraineurs à une expertise nationale. Les nôtres sont-ils des cancres en la matière ?

C’est plutôt le complexe du Noir qui a toujours considéré que c’est le Blanc qui est le grand magicien et qui connaît tout. Vous l’avez si bien rappelé, de nombreux entraineurs africains ont souvent conduit leurs équipes très loin, même à remporter des compétitions africaines. Da Costa a fait ce qu’il a fait. Par la suite je ne sais pas ce qu’on lui a reproché. La gestion de la chose publique chez nous est difficile. Nous avons des compatriotes qui peuvent jouer ce rôle puisqu’ils ont fait les mêmes études que ceux qu’on fait venir ici. J’estime que c’est un problème de complexe. Ici, quand on dit que c’est vous le chef maintenant, je l’accepte du bout des lèvres, mais du fond du cœur, je ne suis pas tout à fait content, car je me dis, pourquoi c’est lui et pas moi. Voilà le raisonnement de l’Africain. Mais lorsque le Blanc arrive, on rentre dans nos coquilles et, à la limite, on est émerveillé, car c’est le Blanc. Il connaît tout. C’est un complexe gratuit. Et on préfère donner à ces expatriés des sommes importantes qu’ils touchent. Je me rappelle, on avait fait venir à l’époque un entraineur belge ici. Il vivait chez lui en Belgique. Il ne venait que lorsqu’on lui disait que le match a lieu dans quelques jours. En 1994, lors de la phase finale de la Can en Tunisie, je crois qu’il est venu deux semaines avant. Son équipe joue, l’entraineur est assis. Même lorsque la situation était difficile, je le voyais assis. C’est moi qui faisais le reportage. Lors d’un match, la situation était devenue difficile pour le gardien de but Germain Mendome (paix à son âme !). Il demande à sortir pour qu’il soit remplacé par Babé, mais le type ne fit rien. On a été battu 4 buts à zéro. C’est vrai que le Nigeria était une grande équipe, mais je pense qu’on pouvait faire mieux. Voilà un exemple de résultat de ce qui vient de l’extérieur. Après l’élimination du Gabon, il a pris tout de suite pris l’avion pour retourner chez lui.
Il y a aussi quelques entraineurs qui ont donné l’impression qu’ils ont aimé le pays. C’est le cas de Giresse. Et l’autre qui est venu après lui, Rhor. Il y avait aussi un autre qui avait entrainé une équipe de Port-Gentil dans le temps, si mes souvenirs sont bons, Alain de Martini, je crois. Ils sont partis pour des raisons que j’ignore.
Le football, c’est, comme Marx le disait pour la religion, l’opium du peuple. Parce qu’il faut le comprendre. Lorsque le Gabon gagne, c’est tout le monde qui est content et unanime. Ceux qui ont des contradictions politiques les oublient un temps pour se réjouir. Et puis, combien d’entraineurs étrangers nous ont fait gagner des compétitions ?
En outre, il faut des structures pour pratiquer le sport. Faites le tour des établissements scolaires. Nombreux n’ont pas de structures sportives. Les derniers jeux africains, auxquels on a participé, c’était au Caire en Egypte. J’ai eu la chance d’y être. C’était pénible à voir. On jette toujours la pierre au gouvernement, mais dans certaines circonstances, le gouvernement fait. Avant de partir d’ici, il y a eu des réunions. Les athlètes avaient des manquements en termes de perches et autres. Les cyclistes n’avaient pas de vélos. Une délégation est partie d’ici pour aller acheter ce matériel en France. L’a-t-il été, je n’en sais rien. Mais ce que je sais, c’est qu’il n’est pas arrivé au Caire. Pour les cyclistes, c’est l’Algérie qui nous a aidés. En athlétisme, je me rappelle, il y avait Lindzondzo qui sautait à la perche. C’est un autre athlète d’un autre pays qui lui fit remarquer que le genre de perche qu’il avait n’était plus utilisé.
C’est avec le passé que l’on construit l’avenir. Ce que vous appelez l’improvisation, ça ne paye pas toujours. Tout se prépare. Le sport est un art. Il y a en a qui sont dans la conception et d’autres exécutent. Mais est-ce que c’est exécuté comme ça été construit ? Souvent non ! Lors de la Coupe d’Afrique de football au Ghana, j’en parle parce que mon fils était concerné, ils vont en préparation en Europe et il se blesse en Lybie. Ne pouvant plus jouer, il rentre au Gabon. L’Etat a payé toutes les primes liés à préparation. Il a demandé à son ami et collègue Jonas Ogandaga de toucher ses primes. Mais le ministre de l’époque n’a rien cédé. Il y a même eu, je ne veux pas appeler cela altercation, entre le président de la fédération et le ministre de l’époque. Il est encore vivant. J’espère qu’il va me lire. Je suis allé le voir pour demander l’argent de mon fils, car le régisseur que le gouvernement avait désigné m’avait dit que c’est le ministre qui avait l’argent de mon fils. Il ne m’a rien donné. Même pour les soins, c’est un médecin de la famille et avec le soutien du médecin de la sélection nationale que mon fils a été soigné. Par contre, il y a un autre joueur qui s’est trouvé dans la même situation que mon fils, son père était obligé de plier les poings pour rentrer en possession de l’argent de son fils. Et le ministre a cédé. Mais moi je n’ai pas ce tempérament belliqueux. Voilà des situations qui créent des frustrations.
Dans ce pays, on peut faire de bonnes choses, pour peu que chacun ait une vision. Je ne vais pas déborder, vous comprenez. Mais l’homme peut avoir tout perdu, sauf l’espérance. Gageons que d’ici-là, on trouvera de bonnes solutions pour le bonheur de notre pays. Merci.

Merci à vous.

 

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