Le Gabon serait-il un peuple dont les dirigeants aiment se victimiser tout en assumant les fautes pour lesquelles les plus indélicats d’entre eux auraient été envoyés devant les tribunaux, même bien avant l’arrivée du CTRI au pouvoir ? On ne peut qu’en faire le constat depuis la mise en route de l’opération « Dignité » qui se penche actuellement sur les derniers cas des interpellés de l’opération « Scorpion » qui défilent à la barre du tribunal de Libreville.
Prennent-ils tous la même posture de victimes-coupables parce qu’ils pensent, de toutes les façons, en avoir bientôt déjà fini avec une justice privilégiant davantage le sursis au détriment de la fermeté qui devrait être de mise au regard des crimes financiers pourtant assumés par les prévenus ? Comment ne pas valider une telle possibilité, les peines infligées à ces criminels tranchant avec le niveau considérable d’argent massivement détourné ? A cette allure, on risque de ne voir s’appliquer la rigueur de la loi que sur ces petits délinquants croisés au tribunal de Libreville la semaine dernière pour venir s’expliquer des faits de recel d’un téléphone Android volé.
La rigueur des juges, face à des auteurs ou des complices de délits aussi insignifiants, deviendrait même compréhensible chez le citoyen lambda qui peut bien comprendre qu’on n’ait pas ainsi à faire perdre du temps à des hommes de lois qui s’étranglent, probablement, eux aussi, de colère en voyant la manière dont un pays peut, comme ça, être pillé. Dans l’indifférence d’une classe politique elle-même trempée jusqu’aux os. Scandaleux ! Que des gens ayant soustrait des milliards des caisses publiques puissent tranquillement deviser en pleine audience pour se défausser, de manière commode, sur des personnalités, curieusement…« persona non grata » au tribunal de Libreville, sous le régime d’Ali Bongo Ondimba, et, curieusement aussi, avec les militaires au pouvoir.
Hier, à la barre, Patrichi Tanassa Moussavou et ses avocats, avant sa condamnation à sept ans de prison, avaient exigé la présence à la barre d’un certain nombre de personnalités à qui il avait versé, certes, politiquement, mais illégalement, l’argent du pétrole gabonais géré à cette époque par Gabon Oil Compagny dont il était l’administrateur directeur général. Il s’agissait, notamment, de Sylvia Bongo Ondimba, Jessye Ella-Ekogha, Brice Laccruche Alihanga (Bla), Nour-Ed-Din Bongo Valentin et Noël Mboumba, entre autres…
Patrichi Tanassa Moussavou avait ainsi indiqué devant ses juges qu’il avait reçu l’ordre du chef de l’Etat de reverser des intéressements milliardaires et millionnaires aux personnalités précitées sous forme de primes d’encouragement. Certains, comme Bla et Nour-Ed-Din, touchaient plus du milliard. Lui-même et le ministre du Pétrole, Noël Mboumba, se contentaient de 400 millions de francs cfa. Il a, toutefois, eu l’honnêteté de reconnaître, charité bien ordonnée commençant par soi-même et tenancier de la caisse, qu’il s’était fait payer plusieurs fois son enveloppe de 400 millions de dolè du Gabon.
Le tribunal, à l’époque, s’était contenté de le condamner sans avoir jugé utile de faire comparaître ou d’entendre ses complices, des illustres personnalités citées comme Jessye Ella-Ekoga, le malfrat transporteur. Mis en cause pour d’autres faits dont il n’a pas encore été jugé et peut-être ne le sera jamais, Pablo Escobar jouit désormais joyeusement de sa liberté.
Ike Ngouoni Epigat, qui comparaissait en même temps pour des faits de détournement d’argent, y était aussi allé de ses propres révélations. Il avait affirmé que c’est Ali Bongo Ondimba, dont il pensait certainement qu’il n’avait plus toute sa tête depuis ses ennuis de santé de Ryad, qui lui avait offert la villa avec piscine d’une valeur de près de 700 millions de francs cfa dont les images circulaient alors sur les réseaux sociaux. Mieux, il avait affirmé que l’agence judiciaire de l’Etat n’avait pas à l’attraire devant les tribunaux puisqu’il n’avait fait que puiser dans le compte personnel du chef de l’Etat logé à BGFIbank et dont il a donné les coordonnées. Il fut jugé et condamné sans qu’au moins les responsables de la banque précitée, dont il était un ancien cadre comme d’ailleurs tous ceux qui avaient rejoint Bla à la présidence de la République pour étaler un train de vie princier pas en rapport avec leurs émoluments, même avec les 51 millions de francs mensuels qu’il disait toucher comme porte-parole de la présidence de la République, ne soient entendus.
Incarcéré et attendu au tribunal de Libreville après sa déchéance, c’est pour des faits d’usurpation de nationalité gabonaise que Bla avoua sa nationalité française. Il pris cinq ans pour ce motif.
Tout dernièrement, il comparaissait, enfin, avec Tony Ondo-Mba, dans un dossier en relation avec le redressement fiscal infligé à la Comilog. Les deux hommes ont avoué à la barre que c’est Ali Bongo Ondimba qui les aurait autorisés à se partager la bagatelle de 200 milliards de francs cfa dans un pays qui manque encore d’infrastructures de base. Pour cette affaire et sans qu’Ali Bongo Ondimba, qui n’a plus d’immunité, ne soit appelé à comparaître, ils ont été jugés, condamnés et libérés dans la foulée.
D’autres procès restent pendants, pas seulement pour eux. Doit-on en attendre davantage ? Ne versons pas dans le pessimisme systématique, même si nous redoutons de nous rendre à l’évidence que dans cette République des victimes d’Ali Bongo Ondimba, tout le monde est, quelque cas part, coupable de pas grand-chose, l’argent continuant à couler à flots au Gabon. Et les repris de justice, qui n’ont pas la fortune de Donald Trump, peuvent être condamnés à payer des amendes et des dommages et intérêts illusoires.
Une dernière question tout de même : l’argent et les biens saisis, ou à saisir, ne seraient-ils pas à mettre sur le compte de l’enrichissement illicite et ne pourraient-ils, par conséquent, pas être mis au crédit des criminels financiers ? Car on ne peut saisir à quelqu’un, en compensation de ses créances, un bien ou des ressources dont il ne peut justifier l’origine.
Mais au Gabon et en matière de justice ajustable, tout reste permis. Et c’est ainsi que l’on comprendrait mieux pourquoi le Garde des sceaux se serait opposé à la comparution de Sylvia Bongo Ondimba devant la Commission de lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite que dirige M. Mbou.
Ngale Beghl’Ango