La partie de ping-pong qui se joue depuis quelques semaines entre le gouvernement et la Cour constitutionnelle ne donne pas l’image d’un fonctionnement régulier des institutions. Elle apporte même la preuve manifeste de la lutte des clans qui est à l’œuvre au sommet de l’Etat. Cette situation, dont la gravité n’est plus à démontrer, requiert de ceux dont l’ambition est de redresser le Gabon de la perspicacité et la plus grande vigilance.
Il faut féliciter le Copil citoyen et la société civile gabonaise pour leur brillante victoire sur le gouvernement. Ce dernier ne sortirait pas indemne d’une telle humiliation publique si nous étions dans une vraie démocratie. Certains applaudissent la Cour constitutionnelle pour avoir annulé à deux reprises les arrêtés du gouvernent pour non-respect de la hiérarchie des normes et pour inconstitutionnalité.
Mais ce n’est pas la première fois que la haute juridiction recale le gouvernement ni même le président de la République devant des cas d’incongruités juridiques mineures. En le faisant, elle est parfaitement dans son rôle de gardienne ultime de la légalité en République gabonaise. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle montre pourtant que cette dernière n’a jamais désavoué l’Exécutif sur des questions considérées comme vitales pour la survie du régime. Elle a entériné des violations flagrantes de la Constitution en profitant, du reste, de la passivité d’un Parlement confortablement installé dans sa vocation de simple chambre d’enregistrement. Elle a refusé d’appliquer les dispositions de l’article 10, alinéa 4 de la Constitution lors des élections présidentielles de 2009 et de 2016 en validant une candidature dont le dossier présentait pourtant des manquements manifestes. Lors du contentieux électoral qui a suivi l’élection présidentielle de 2016, elle a refusé de faire reprendre le scrutin dans les 20 bureaux qui avaient été annulés dans le 2è arrondissement de Libreville comme l’exige la loi électorale, ce qui a favorisé le candidat du pouvoir. Elle s’est opposée farouchement à la mise en œuvre du mécanisme de l’article 13, alinéa premier de la Constitution quand il est devenu évident que la situation sanitaire du chef de l’Etat imposait la déclaration de la vacance de la présidence de la République. Elle s’est même arrogée le droit de reformuler des articles de la Constitution, notamment avec l’introduction de la notion d’« indisponibilité temporaire » inconnue du droit constitutionnel gabonais.
De grands enjeux politiques qui se profilent
Nous nous trouvons donc en face d’une opération d’endormissement, une distraction destinée à anesthésier les Gabonais et à les détourner des grands enjeux politiques qui se profilent. Il est, en effet, impensable qu’un gouvernement dont certains membres importants sont des juristes de métier, puisse se fourvoyer si lamentablement, sur un sujet aussi fondamental, dans un État qui se prétend de droit. La hiérarchie des normes est un principe fondamental en droit. Elle est à la fois le fondement de la légalité et une des marques distinctives de l’Etat de droit.
À supposer, si l’on veut être gentil, qu’il y ait eu un manque d’attention de la part du gouvernement dans la rédaction des arrêtés 0559 /PM du 25 novembre 2021 et 0685/ PM du 24 décembre2021 portant sur le même objet, rejetés par la Cour constitutionnelle, il paraît difficile d’expliquer l’entêtement du gouvernent par l’incompétence et l’amateurisme, car si l’erreur est humaine, persévérer dans l’erreur devient diabolique.
Qui peut croire que le gouvernement ne sait pas qu’un arrêté ne peut pas abroger un décret ? Ni que les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours ? Ni qu’un décret du président de la République, même pris en Conseil des ministres, ne peut pas faire disparaître l’inconstitutionnalité des dispositions querellées dès lors qu’elles sont réputées non conformes à la Constitution ?
L’implacable guerre des clans qui mine le pouvoir établi
Les dysfonctionnements que chacun note au sommet de l’Etat ne sont rien d’autre que l’irruption en pleine lumière de l’implacable guerre des clans qui mine le pouvoir établi depuis que la maladie d’Ali Bongo a été rendue publique le 25 octobre 2018. Longtemps contenues, ces contradictions intestines ont de plus en plus de mal à rester souterraines. C’est cet état de fait qui bloque le pays et qui explique qu’un directeur de cabinet du président de la République ait pu enfiler le costume du chef de l’État, se permettre de nommer au gouvernement et dans la haute administration publique et parapublique ou d’entreprendre des tournées dites républicaines. Le même climat délétère au sommet de l’Etat facilite les détournements de fonds publics d’une ampleur sans précédent constatés et l’évasion des capitaux qui plombent notre balance des paiements.
Ceux qui ont décidé de prendre le Gabon en otage ne semblent plus être sur la même longueur d’onde. Ils affichent désormais, sans états d’âme, leurs désaccords sur tout, sauf sur la nécessité impérieuse de préserver le pouvoir familial. Ils ne semblent d’accord ni sur le casting des acteurs, ni sur la stratégie la plus efficiente, ni même sur l’agenda politique. Pour que le gouvernent en vienne à défier aussi ouvertement la Cour constitutionnelle, il faut que le pouvoir soit aux abois et qu’il ne sache plus sur quel pied danser pour sortir de ses propres turpitudes. C’est dans ce contexte de confusion volontairement entretenue qu’il faut situer le dialogue de sourds qui s’est instauré entre la Cour constitutionnelle et le gouvernement.
Consciente de ces manipulations qui ne peuvent tromper que les naïfs, l’opposition est invitée à redoubler de vigilance, à se concentrer sur les vrais enjeux qui engagent l’avenir du pays et à asseoir une véritable stratégie de prise du pouvoir plutôt que se laisser distraire par un débat aussi juridiste que surréaliste.
Emmanuel Ntoutoume Ndong (vice-président de l’Union nationale chargé des relations internationales, des politiques publiques et de l’immigration)