Par l’apprenti-sage, le KRSMTK, M. Ngomo Privat
En 1960, le Gabon hérita du régime parlementaire de la loi fondamentale de France qui fut acceptée par le peuple français par référendum en 1958. Dans ce régime, le président de la République française, désigné au suffrage indirect par ses compatriotes, avait un pouvoir symbolique, voire honorifique, comme en Allemagne ou en Italie. L’homme fort de l’Etat était le président du Conseil du gouvernement comme dans la plupart des démocraties occidentales…
La révision constitutionnelle de 1962 a conduit à la présidentialisation du régime où le président français élu en 1965 (De Gaulle) fut (1) le chef de l’Exécutif, (2) le chef du pouvoir législatif avec son parti majoritaire à l’Assemblée nationale, (3) le chef du pouvoir judiciaire en tant que président du Conseil supérieur de la magistrature, (4) le chef suprême des forces armées de défense et de sécurité et (5) le maître absolu des médias d’Etat. Autant de pouvoir entre les mains du président de la République française qui lui confère le statut mérité de monarque républicain. Au Gabon ou en Afrique francophone, on parlerait volontiers de dictateur ou de tyran.
Le régime parlementaire convenait aux hommes politiques gabonais à l’instar d’Aubame Eyeghe, Gondjout, Ivanga, Sousatte et Boucavel, pour ne citer que ceux-là. Pour ces leaders politiques, ce régime s’apparentait à la traditionnelle palabre africaine sous l’arbre ou dans le Mbandja et se distinguait du système colonial dictatorial mené par un seul chef, le gouverneur. Mais un homme, bien esseulé, voulait un système présidentiel pour son pays : Gabriel Léon Mba Minko, alors Premier ministre.
Le tragique épisode du coup d’Etat de février 1964 vint de cette opposition radicale entre le Premier ministre et les parlementaires gabonais attachés à plus de démocratie dans la prise de décision. Aidé de la France, que le système présidentiel au Gabon favorisait par le contrôle d’une seule personne ayant tous les pouvoirs, le président Léon Mba finit donc par s’imposer. Il « institua » alors un régime présidentiel fort sous l’égide de la France.
Le régime présidentiel d’origine de 1967 au Gabon est un classique du genre : (1) la légitimité se fonde sur deux personnalités élues et ayant battu campagne sur la même liste : le président et son colistier, le vice-président. Ces derniers, ensemble, s’accordent en bonne intelligence pour diriger le pays, mais surtout leur élection commune a le grand avantage de déstigmatiser la question ethnique ou tribale au sommet de l’Etat. Deux co-candidats présidentiels pourraient, dans une équation bien personnelle, rassembler, à tout le moins, 2 provinces, sinon plus de quatre. Le colistage électif de la présidentielle rassemble, évidemment, plus les Gabonais que le scrutin uninominal et peut garantir de très bons scores de suffrages qui assoient une véritable légitimité pour gouverner. (2) La gouvernance est assurée par le président assisté de son vice-président à qui il délègue, à sa discrétion, certaines tâches à accomplir. Le bicéphalisme n’existe donc pas au sommet de l’Etat, car les rôles du président et son vice-président sont clairement définis dans la Constitution. Ainsi, le président de la République est le chef de l’Etat et chef du gouvernement. Il conduit la politique nationale avec les membres de son gouvernement et la défend devant la représentation du peuple à l’Assemblée nationale. Dans cette option de régime, la fonction de Premier ministre disparaît, car elle est pleinement assumée par le chef de l’Etat, chef de l’Exécutif lui-même. (3) La stabilité institutionnelle est assurée par une élection présidentielle qui se tiendra toujours à la même période de fin de mandat. En effet, en cas d’empêchement définitif du président de la République, son vice-président achève le mandat. La question de la succession est donc radicalement réglée parce qu’en cours de mandat, c’est le vice-président qui assume les charges les plus importantes et à la fin du mandat, c’est une nouvelle élection présidentielle qui donnera le visage des deux hommes d’Etat qui prendront la conduite des affaires du pays.
Le Gabon doit sortir de cette Constitution présidentielle hybride où se chevauchent régime parlementaire (Premier ministre) et régime présidentiel (président et vice-président) et faire un choix courageux : soit un régime parlementaire qui donne puissance et force au Premier ministre, qui est le leader d’une coalition de partis majoritaire à l’Assemblée nationale et chef du gouvernement, soit un régime présidentiel où président et vice-président dirigent le pays avec la même légitimité.
Un régime parlementaire, plus en phase avec nos traditions, aurait été plus indiqué. Mais il faut bien reconnaître que l’inconsistance idéologique des partis politiques, leur nature familiale, clanique, tribale ou ethno-régionaliste leur enlèvent toute crédibilité. Sans oublier les pratiques égoïstes et vénales auxquelles nous ont habitués ces dernières décennies des leaders de partis plus portés à s’enrichir en politique plutôt qu’à exercer le sacerdoce qui exige abnégation, détermination et service désintéressé pour la nation. Si l’ancien Gabon des pères fondateurs était mûr pour le régime parlementaire qui, d’ailleurs, fut érigé dès la première élection de l’Assemblée territoriale en mars 1957, l’actuel Gabon, après près de 60 ans de régime présidentiel, a perdu cette maturité parlementaire malgré le foisonnement impressionnant de 104 partis et associations politiques qui ne sont que des coquilles vides. Et comme des tonneaux tout aussi vides, ils font beaucoup de bruit.
Le régime présidentiel franc est performant en ce sens qu’il n’existe plus d’ambiguïté dans les responsabilités au sommet de l’Etat. Dans le régime parlementaire, c’est le Premier ministre qui dirige. Et dans le régime présidentiel, c’est le président, aidé de son vice-président. Il n’y a plus de Premier ministre « fusible » ou « bouc-émissaire ». Il y a un président qui assume et défend ses choix devant les parlementaires qui contrôlent son action. Si le travail réalisé par l’équipe gouvernementale est satisfaisant, alors c’est tout à l’honneur et à l’avantage du président qui en est le chef et son colistier. Mais si l’action gouvernementale laisse à désirer, alors le président et le vice-président doivent courageusement assumer l’échec sans faux-fuyant.
Par le régime présidentiel franc et performant, le Gabon sortirait de l’ambigüité à son avantage.
Fait à Libreville, le 15 mai 2024