Dans une démarche affirmée de souveraineté économique, le gouvernement gabonais a annoncé lors du conseil des ministres du 4 juin 2025 son intention de ne pas reconduire automatiquement l’Accord de partenariat de pêche durable (APPD) avec l’Union Européenne. Cette décision marque un tournant dans la politique de gestion des ressources halieutiques du pays et s’inscrit dans une volonté plus large de réévaluation du potentiel économique national.
L’accord actuel, d’une valeur de 17 milliards de francs CFA et renouvelé en 2021, autorise les navires français et espagnols à pêcher le thon dans les eaux territoriales gabonaises pour une durée de six ans. Arrivant à échéance dans quelques mois, cet arrangement fait désormais l’objet d’une analyse critique de la part des autorités gabonaises qui estiment que les termes actuels ne reflètent pas la valeur réelle des ressources exploitées.
Le président Brice Clotaire Oligui Nguema a personnellement attiré l’attention du gouvernement sur ce qu’il considère comme une « sous-évaluation persistante du potentiel économique réel du Gabon ». Cette prise de position au plus haut niveau de l’État témoigne d’une volonté politique forte de repenser les partenariats internationaux dans une optique plus favorable aux intérêts nationaux.
Dans son analyse, le gouvernement gabonais souligne plusieurs déséquilibres majeurs dans l’accord actuel. Premièrement, les recettes générées ne compenseraient pas la valeur réelle des captures effectuées dans les eaux gabonaises. Deuxièmement, les coûts substantiels assumés par l’État en matière de surveillance et de contrôle des activités de pêche ne seraient pas suffisamment pris en compte. Troisièmement, l’absence de transformation locale des produits de la pêche entraînerait une perte significative de valeur ajoutée pour l’économie nationale.
Les autorités dénoncent également la faiblesse des investissements consentis par les partenaires européens au titre du développement local, de la création d’emplois et du renforcement des capacités nationales. Ces investissements constituaient pourtant un volet important de l’accord, censé faciliter le développement de la filière halieutique gabonaise. Un autre point de préoccupation concerne les risques accrus de surexploitation des ressources, en l’absence de mécanismes partagés de transparence et de suivi efficaces. Cette inquiétude s’inscrit dans un contexte mondial de prise de conscience des enjeux liés à la préservation des écosystèmes marins et à la pêche durable.
Si l’Union Européenne représente le principal partenaire du Gabon dans le secteur de la pêche, le pays entretient également des accords avec d’autres nations comme la Chine, le Japon et le Maroc. Le gouvernement semble désormais envisager de privilégier des partenariats avec des acteurs « plus à l’écoute des besoins du pays », selon les termes employés lors du conseil des ministres. Cette remise en question des accords de pêche s’inscrit dans une démarche plus globale de réévaluation des partenariats économiques internationaux, touchant également les ressources forestières et les crédits carbone. Le conseil des ministres du 4 juin marque ainsi l’entrée du Gabon dans une « phase de renégociation de son potentiel économique », selon les observateurs. Les spécialistes du secteur soulignent que malgré la création de quelques infrastructures, les retombées des différents accords de pêche restent insuffisantes et ne profitent pas pleinement à la population gabonaise.
Le pays, ne disposant pas encore de la logistique nécessaire pour exploiter lui-même ses ressources halieutiques, dépend fortement des partenariats internationaux pour dynamiser ce secteur. Si cette initiative gouvernementale est généralement saluée par les analystes économiques nationaux, certains recommandent d’étendre cette réévaluation à l’ensemble des accords de pêche, y compris ceux conclus avec la Chine, le Japon et le Maroc. L’objectif serait d’assurer une valorisation équitable et cohérente du potentiel halieutique national dans tous les partenariats.
Au-delà de la simple renégociation des accords existants, les experts du secteur appellent à une transformation plus profonde de la filière pêche au Gabon. Il s’agirait de dépasser le stade de la pêche artisanale de subsistance pour développer une industrie halieutique moderne et performante, capable de devenir un véritable pilier de l’économie nationale. Cette décision du gouvernement gabonais intervient dans un contexte régional où plusieurs pays africains réévaluent leurs accords de pêche avec des partenaires internationaux, cherchant à maximiser les bénéfices économiques, sociaux et environnementaux de l’exploitation de leurs ressources marines.
Ornika Biloghe