Après la Coupe d’Afrique des nations (Can) 2012, le président de la République décida de mettre en place, via un Conseil des ministres, un championnat national de football professionnel. Le dossier est conduit par le ministre des Sports de l’époque, des experts espagnols et la Ligue nationale de football (Linaf), sans aucune implication de la fédération. Les études de faisabilité furent menées et la grande famille du football a été emballée par ce projet.
Tout le monde en parlait, du ministère à la Linaf en passant par les clubs, principaux bénéficiaires de la manne à venir. La fédération, qui ne connaît pas le dossier, est surprise des avancées annoncées qui se font sans elle. Puis, un jour, quand tout le dossier semble bouclé, la fédération est « convoquée » au ministère à une réunion dont l’ordre du jour, déclinée séance tenante, est la signature d’une convention entre la fédération et la Linaf. Nous étions un mardi. En tant que vice-président, je conduisais la délégation de la fédération qui était composée du secrétaire général, du directeur administratif et du responsable du matériel. Surpris par cet ordre du jour, nous avons sollicité de Monsieur le ministre, qui présidait la réunion, de nous donner quelques jours pour examiner le projet de convention. Personnellement, je découvrais ce projet de convention ce jour-là.
Nous souhaitions également signer la convention quand la fédération sera saisie du dossier du championnat professionnel en étude. A cet instant précis, l’atmosphère devint lourde et la salle de réunion subitement glaciale. Bref, après une bonne demi-heure de discussion, le ministre accéda à nos doléances. Le rendez-vous fut pris pour le jeudi de la même semaine.
Jeudi, la salle de réunion est particulièrement bien préparée. Le ministre plante à nouveau le décor et passe la parole à l’un des Espagnols pour nous présenter le projet du championnat professionnel de football. Ce jour-là, j’avoue n’avoir rien compris de tout ce que nous étions censés comprendre. Mais deux choses m’ont particulièrement frappé, à savoir : le coût annuel du projet estimé à 10 500 000 000 XFA et ce que nous avions appelé par la suite, la « fonction publique du football ».
Sur la base de mon expérience d’ancien président d’un club de D2, d’ancien président de sous-ligue, d’ancien président de ligue provinciale, d’ancien maire adjoint en charge du sport et à l’aide de mon téléphone, j’ai rapidement fait un calcul pour m’apercevoir que ce chiffre était effrayant pour ce que je connaissais des réalités du football national. Sans hésiter, quand la parole me fut donnée, j’ai à nouveau sollicité de Monsieur le ministre de nous accorder quelques jours pour lui présenter une contre-proposition. Le plus difficile avait été de contenir et d’affronter sa colère.
Je garderai toujours en mémoire cette phrase dite avec un ton menaçant : « Monsieur le président, êtes-vous contre l’émergence ? » Et ma réponse, d’une voix hésitante : » Non, Monsieur le ministre. Au contraire, nous voulons améliorer la proposition qui vient de nous être présentée. Quelques jours nous suffisent pour le faire et il vous reviendra de trancher et de décider en dernier ressort « . C’est sur ce fait que la séance est levée, presqu’en queue de poisson, mais en reprenant quand même rendez-vous pour le mardi de la semaine suivante.
Profitant de la présence à Libreville des présidents des ligues provinciales, invités par la fédération pour une autre préoccupation, la délégation fédérale s’est mise au travail pour harmoniser et peaufiner les championnats des 9 provinces avec pour objectif principal de faire nourrir le football par le football ; c’est-à-dire :
1. de mettre en place des compétitions et des équipes dans lesquelles le public s’identifie et se reconnaît ;
2. de retrouver l’engouement et la mobilisation du public à partir des clubs représentatifs et des compétitions attrayantes ;
3. de susciter l’émulation des jeunes à la pratique du football dans le Gabon profond à partir des championnats départementaux et provinciaux plus relevés ;
4. de mettre en place, avec l’accompagnement de l’Etat, des mécanismes nécessaires à son auto-financement et à son développement.
Le mardi, tout est prêt. Ordinateur portable et vidéo-projecteur en main, la salle est rapidement aménagée pour la présentation de notre projet sportif. Championnats départementaux, championnats provinciaux, championnats de deuxième et de première divisions, tout y est. Et le projet ne coûte à l’Etat que 2 700 000 000 par an sur 3 ans avant de passer véritablement au championnat professionnel.
A la fin de notre exposé, grande est notre surprise quand le ministre reprend la parole en disant : » Monsieur le président, après vous avoir écouté, pouvons-nous maintenant signer la convention ? « . Aussitôt dit, il suspend la séance et annonce qu’il se retire pour quelques temps. Pendant cette courte pause, un de ses collaborateurs me demande de le suivre hors de la salle. Prenant la parole, il me fera observer en quelques mots ce que je ne pouvais voir du haut de mon réalisme et de mon patriotisme.
Au retour du ministre, j’avais déjà apposé ma signature au bas de la convention et les copies de convention transmises au président de la Linaf pour signature à son tour. C’est d’ailleurs cette convention qui est toujours en vigueur.
Ainsi va la vie dans la merveilleuse grande famille du football national. Ainsi est né le national-foot professionnel de première division. Une compétition que l’Etat a du mal à accompagner. C’est le lieu d’interpeller, une fois encore, le département des sports pour dire que la formule actuelle du championnat, basée sur des clubs propriétés des individus, ne marche pas et ne marchera jamais.
En définitive, une belle maxime nous enseigne que » ce n’est pas parce que l’Indien ne parle pas qu’il n’a rien à dire. C’est parce qu’il en sait trop « . L’Indien doit-il se taire définitivement pour faire de la place à l’embrouille qu’on veut faire perpétuer autour de notre ballon rond ?
Emmanuel Obame Ondo