En août 2023, ils avaient décidé de taire leurs ego afin de désigner un champion unique derrière lequel ils s’aligneraient pour une victoire cash au soir de la présidentielle du 26 août 2023. Malheureusement, à la suite du coup d’Etat du 30 août, l’un d’eux a tout de suite quitté le groupe et fonctionne en électron libre avant d’être coopté Premier ministre. Ils, ce sont les anciens candidats à la présidentielle de 2023 qui se sont retrouvés pour lancer la plate-forme Alternance 2023. Il s’agit du Pr Albert Ondo Ossa, du Pr Alexandre Barro Chambrier, de Raymond Ndong Sima, Paulette Missambo, François Ndong Obiang, Mike Jocktane et Thérence Gnembou Moutsona. Alternance 23 est-elle morte ou est en état végétatif ?
Officiellement, seul Raymond Ndong Sima a quitté le bateau. Mais, en réalité, ses anciens membres ont fonctionné jusqu’à présent comme si cette structure, qui est tout de même à l’origine des deux coups d’Etat électoral et militaire du 30 août 2023, n’avait pas réfléchi à une vraie stratégie collant même avec sa propre dénomination « Alternance 23 ». Au soir du 30 août, le Gabon n’a pas connu l’alternance souhaitée, mais un coup d’Etat ou un coup de libération (c’est selon) militaire. En français facile, le coup d’Etat était la révélation de l’échec de la classe politique dans son ensemble et donc de cette plate-forme populaire.
S’il y avait de vrais hommes politiques dans cette structure, ils se seraient retrouvés afin de non seulement constater leur échec, mais aussi de réaffirmer leur unité et, tout en saluant la libération du pays par les militaires, se constituer en bloc de discussion, de proposition et, pourquoi pas…, de contestation avec le nouveau régime. En fait, une sorte de digue républicaine ayant les coudées franches pour rappeler aux militaires qu’ils ne sont pas là pour s’éterniser au pouvoir et qu’ils ne sont pas là non plus pour ressusciter le PDG… Malheureusement, les uns et les autres ont opté pour négocier en électron libre avec le nouveau régime, trahissant et dévoilant au grand jour l’égoïsme et la traîtrise des uns et des autres dans un groupe où le « tous pour un et un pour tous » n’avait de sens que pour la présidentielle. Normal ! En politique, l’intérêt guide la conscience. La preuve, chaque camp en présence préférait aller négocier en électron libre chez le Gl Brice Clotaire Oligui Nguema et pour le compte de son propre parti, camouflant aux autres les termes et l’évolution des négociations. Et après chaque Conseil des ministres, chaque parti fait le décompte de ce qu’il a placé comme cadres et militants… Du vrai pain béni pour Oligui Nguema qui avait maintenant en face de lui une structure décapitée et affaiblie par l’individualisme rétrograde de ses membres. Quoi de plus facile pour lui que de faire la part belle au PDG en sachant que les grandes gueules de l’opposition sont à table, au banquet du CTRI, et que, comme aimait à le rappeler le père Paul Mba Abessole, « la bouche qui mange ne parle pas » ? Avec le recul que permet le temps et s’il leur était donné de faire le point, les partis de la plate-forme Alternance 23 sont les plus grands perdants dans cette affaire où le PDG s’en tire plutôt à très bon compte. Est-ce pour cette humiliation qu’Alternance 23 s’est constituée et s’est battue ?
C’est d’ailleurs ici qu’il faut saluer la hauteur d’esprit et la prudence de deux acteurs de cette plate-forme, le Pr Albert Ondo Ossa qui, au soir du coup d’Etat, avait tout de suite explicité sa pensée. Tout le Gabon est tombé à bras raccourcis sur lui en le traitant de tous les noms d’oiseaux. Découvrant la réalité du fonctionnement du CTRI, les mêmes lui donnent raison aujourd’hui. Mais lorsqu’il avait eu le courage de dire que « l’émotion est nègre… », Senghor s’était fait lapider par des « nègres de service » de son temps.
Chapeau, Pr Albert Ondo Ossa !
Nous levons aussi notre chapeau au Pr Alexandre Barro Chambrier, le président du RPM. Certes, nombre de ses cadres ont été nommés dans les arcanes de la transition, mais lui-même avait pris de la hauteur en attendant certainement de voir les choses se préciser. Puis, un soir, on a appris que l’homme venait d’être nommé aux prestigieuses et hautes fonctions de vice-Premier ministre. Certains esprits chagrins ont vite conclu qu’il venait là pour faire ombrage au PM Raymond Ndong Sima. Mais le débat n’est pas là-bas. En revanche, ce qu’il faut saluer et apprécier à sa juste valeur, c’est que, lors des nominations à son cabinet, Alexandre Barro Chambrier n’a pas fait que nommer les cadres de son parti. Il est allé chercher au sein des autres partis d’Alternance 23 et même au-delà. Ainsi, on y trouve le vice-président de Reagir, le secrétaire général du RPR…et des experts au profil indiscutable pour un département ministériel aussi sensible et aussi complexe que celui de la planification. Bel exemple d’esprit républicain !
Peut-on encore recoller les morceaux et sauver Alternance 23 ?
En principe oui. Pour cela, il faudra que ses anciens membres prennent de la hauteur et abandonnent leurs ego. S’il est clair que, pour des raisons que l’on peut imaginer, Raymond Ndong Sima ne pourra plus jamais revenir dans cette affaire, il est aussi vrai que la frontière est très mince entre le président élu, le Pr Albert Ondo Ossa, Barro Chambrier et François Ndong Obiang. Difficile de savoir ce que pense Paulette Missambo qui, certainement aujourd’hui, réfléchit à comment revenir à la présidence du Sénat à la suite des prochaines élections. Difficile de savoir aussi si l’évêque Mike Jocktane et Térence Gnembou Moutsona (ignorés par le CTRI) ont fini par oublier leur colère envers le Pr Albert Ondo Ossa…
Un Pr Albert Ondo Ossa qui, tout de même conscient que son jeune neveu l’a roulé comme un débutant en lui arrachant le « gibier » les armes à la main, pense au fond de lui-même que son neveu pourra commettre des erreurs. Ce qui lui permettrait de reprendre le « gibier » tant convoité…
Quoi qu’il en soit, la dislocation d’Alternance 23, à notre sens, a été une grave erreur politique et stratégique qui dévoile les limites politiques de certains de ses membres. En août 2023, le Gabon n’a pas connu d’alternance. Elle a été stoppée par un coup d’Etat militaire dont le seul avantage est d’avoir fait l’économie des morts, car les signaux montraient que les Bongo allaient faire ce qu’ils savent faire le mieux, assassiner militairement des Gabonais. Mais des signaux montraient également qu’à ce niveau, non seulement la troupe, dans son ensemble, n’allait plus suivre et que la chute du régime était inéluctable. Alternance 23, gagnée par l’euphorie de la chute des Bongo, a tout de suite épousé la prise de pouvoir par les militaires, abandonnant, de facto, à son triste sort son président élu qui prêchait dans le désert en disant aux Gabonais que le chemin n’est pas là-bas, car le refus de l’alternance par les militaires est et reste l’échec des politiques et, par conséquent, l’échec du groupe qui a porté ce projet, à savoir Alternance 23. Sauf si, pour ses acteurs, Alternance était synonyme de la chute du Bongo régnant.
GPA