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Attention au bouillon de minuit !

Marie-Madeleine Mborantsuo, l’indéracinable président à vie de la Cour constitutionnelle du Gabon.

Le juridisme, défini par Le Larousse, confine à cet attachement étroit à la règle juridique, aux textes. Il complète cette définition en la caractérisant comme une tendance à considérer les questions de manière formelle sous le seul angle juridique. La proclamation de la vacance de pouvoir, que beaucoup de politiques gabonais, notamment de l’opposition, évoquent ces temps-ci et réclament à cor et à cris, n’est-elle pas justement une approche juridiste du combat politique ?
En effet, si elle est proclamée, cette vacance, elle le sera par la tant décriée Marie Madeleine Mborantsuo (3M). Celle dont l’opposition gabonaise a dénoncé le non-respect des textes de loi comme cette non-reprise de l’élection présidentielle dans les 21 bureaux du 2ème arrondissement de Libreville pour ne parler que de cette entorse-là parmi tant d’autres depuis 1991. 3M dont, au mépris des textes de la Constitution gabonaise, on vient de renouveler le mandat – ou plutôt le contrat. Voilà près de 30 ans que cette dame, symbole du système-Bongo s’il en est, sévit impunément du fond des entrailles de ce système au cœur duquel elle siège et dont l’unique mission est de le défendre coûte que coûte… Penser que le seul rappel de lois qu’on applique quand et comme on veut dans ce pays va s’imposer à la Cour comme une injonction divine revient à croire que, dans cette affaire, le Saint-Esprit est de la partie.
Mais revenons à la réalité gabonaise ! L’arsenal juridique du système-Bongo est composé de deux pans. Les textes de lois et la pratique du pouvoir. Avant 1990, la contradiction entre les deux n’était pas flagrante. En effet, durant toute la période du monopartisme, les textes constitutionnels ne se heurtaient pas à la pratique du pouvoir. Une disposition centrale et essentielle le permettait : le monopartisme. Cette disposition rendait inutile, par exemple, l’effectivité de la fiabilité d’une liste électorale et de tout ce qui va avec : inscription, réinscription, personnels affectés à toutes les étapes (avant/pendant/après) du scrutin dans les bureaux de vote, proclamation des résultats, transport des matériels électoraux, etc… En fait, les PDGistes, déguisés en « honnêtes » citoyens, étaient disséminés dans les différents centres de vote pour contrôler le processus électoral de son début jusqu’à la proclamation des immanquables « victoires » d’Omar Bongo. Le problème était réglé. Sans contre-pouvoirs institutionnalisés, les contestations éventuelles n’avaient aucune chance de prospérer. Sous le monopartisme, l’élection n’était pas un acte politique, mais administratif. Et ceux qui contrôlent l’Etat contrôlent l’administration et ne peuvent donc perdre une élection qu’ils organisent.
En 1991, quelques dispositions nouvelles modifient la vieille Constitution de 1961 et permettent de penser que les choses pourraient changer : le président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Et il n’est rééligible qu’une fois. Et ça se fera en deux tours. En outre, le multipartisme est instauré avec tout ce qui s’ensuit comme la liberté de la presse et des réunions publiques. Révolution ? Balle à terre ! Si les textes-socles du monopartisme ont été touchés, le PDG qui, certes, n’est plus seul, reste cependant toujours dominant, car ce sont lui et les Bongo qui tiennent l’Etat, ses administrations civile et militaire ainsi que tous les circuits financiers officiels et officieux du pays.
De Mba Abessole à Ping Okoka, les textes de loi organisant les élections ont été piétinés au vu et au su de tous. Ce n’est pas un fait du hasard si l’on est très vite revenu aux 7 ans avec rééligibilité des Bongo ad vitam aeternam, au scrutin à un seul tour et, récemment encore, à un renforcement des prérogatives du président de la République, chef suprême de tout et injusticiable. Sans oublier les innombrables cas de fraude qui ont émaillé tous les scrutins sans exception.
Dans ces conditions, peut-on raisonnablement penser, après ce bref rappel historique, qu’au Gabon le respect des textes par le pouvoir prime sur la pratique non-respectueuse de ce dernier ?
Quelle confiance accorder à un pouvoir pour qui ses propres textes de lois, destinés à la visibilité internationale, doivent surtout faire office de pavoisements démocratiques qu’une pratique historique répressive et criminelle connue des Gabonais fait régulièrement voler en éclats et dissipe aux quatre vents ? Notamment à chaque élection. Ce contexte va-t-il changer parce que la vacance aura été proclamée ? Rien n’est moins sûr. Ce qui l’est plus c’est qu’elle sera proclamée.
Signe que la proclamation de la vacance se fera inéluctablement, ce sont ces remue-ménage dans les hautes sphères de l’Etat qui montrent que les tenants du pouvoir sont en mode succession. Bien évidemment, on n’est pas très bavard sur la question, on dit même que ce n’est nullement à l’ordre du jour. Mais les récentes déclarations publiques de Massavala contre Jean Ping, l’éviction du directeur de cabinet adjoint du ministre de l’Enseignement supérieur, les grands sourires de Guy-Bertrand Mapangou de l’APR à l’endroit de BLA qui, pourtant, lui a montré de quel bois il se chauffe lors du vrai-faux scandale du Kevazingo, tout ceci révèle que le vent tourne. En effet, tout le monde réalise bien que rien ne va plus tout à fait comme avant Ryad. Brice Laccruche Alihanga en tournée nationale alors qu’Ali Bongo Ondimba se trouve sur le territoire gabonais, pourquoi ? Préférant même s’absenter de l’Assemblée générale de l’Onu sur le climat, ce n’est pas habituel. Tout le monde comprend parfaitement qu’on fonce tout droit vers la proclamation de cette fameuse vacance. Sauf…imprévu.
Toutefois, cette proclamation, si elle a lieu, ne sera faite qu’au moment choisi par ceux qui pilotent le système-Bongo. Au moment où ils seront prêts. De telle sorte que cette vacance conduise les prétendants au trône sur un parcours qu’il leur faut nécessairement baliser au préalable.
Lorsque nous disons « tout le monde », cela implique la classe politique gabonaise dans sa globalité. Avec cette nuance que si les leaders de l’opposition sont en appétit pour cette déclaration de vacance, ne pas oublier que ceux qui sont au pouvoir sont à la cuisine en train de la concocter et de la mijoter. C’est eux qui diront si c’est prêt et quand se servir. Attention au bouillon de minuit !

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