En une semaine, le Gabon a été frappé de plein fouet par deux séismes de haute magnitude : de Luanda, les Gabonais ont appris l’exfiltration nuitamment en catimini d’Ali Bongo et sa famille. Un malheur ne venant jamais seul, il est leur est revenu de la Cour internationale de justice (CIJ), sise à La Haye, la perte du procès intenté par Libreville contre Malabo portant sur l’île Mbanié et les îlots Cocotiers et Conga qu’ils revendiquaient. Ces évènements donnent raison aux activistes et autres Gabonais qui ne cessent de dire que le timonier « Brice Clotaire Oligui Nguema, que vous avez choisi, vous fera voir de toutes les couleurs ».
C’est par un communiqué laconique de Luanda que les Gabonais ont été informés de ce que, « suite aux manifestations faites par le président de la République d’Angola et en charge de l’Union africaine, João Lourenço, avec le président de la République du Gabon, Brice Oligui Nguema, la famille Bongo a été libérée et vient d’atterrir à Luanda ». A ce propos, Libreville se murant derrière un manteau de silence, a jugé utile de donner la parole au procureur général de Cour d’appel judiciaire de la capitale gabonaise, Eddy Minang, pour minimiser l’événement et rappeler simplement que quoi qu’il en soit, le couple déchu et son fils, Noureddin, restaient sous le coup d’une information judiciaire portant sur « le détournement et complicité de détournement de deniers publics, blanchiment et complicité de blanchiment de capitaux, trouble des opérations du collège électoral, corruption, concussion, usurpation des titres de fonction, faux et usage de faux, recel, contrefaçon des imprimés officiels des institutions, contrefaçon du sceau de l’Etat et association de malfaiteurs ». Cependant, un des chefs d’accusation justifiant le coup d’Etat du général de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema manque à ce tableau. Il s’agit des outrances caractérisées par des injures et des gifles publiques ainsi qu’un mépris sans bornes à l’égard de Brice Clotaire Oligui Nguema, alors commandant en chef de la garde républicaine de la part de Noureddin Bongo Valentin. Il s’en fut l’écho pour justifier son putsch.
L’occultation de ce principal levier du coup d’Etat sauve la mise de la junte d’un procès prenant en compte ces mobiles aux antipodes de la litanie du procureur de la République.
Aussi, dans ce contexte, le chef de la junte semble avoir frappé fort pour parvenir à ses fins. Y compris dans les palais présidentiels de certains pays avec pour leitmotiv, libérer les victimes de son putsch sans conditions. Il en fit la promesse ferme, notamment à un des protégés d’Omar Bongo Ondimba, Alassane Dramane Ouattara, ainsi que, murmure-t-on, à son « patriarche », Denis Sassou Nguesso du Congo, à « son papa » Paul Biya du Cameroun et à son « papy » Teodoro Obiang Nguema Mbasogo.
Tractations d’arrière-boutique
Hormis l’assertion ci-dessus, il est inimaginable qu’Ali Bongo et sa famille aient pu bénéficier d’un arrangement d’arrière boutique sur le dos du peuple souverain.
Si ce sont-là les prémisses des avantages attendus de la Constitution qui confère à Brice Clotaire Oligui Nguema l’hyperprésidentialité louée à se rompre les phalanges et les côtes par ses thuriféraires, Foumboula Libeka, Chamberland Moukouama, alias Cash, et autres, ces derniers auront fait flop à l’issue de leur vente en fumée d’une hypothétique séparation des pouvoirs. Leurs prises de parole soutenue concernant l’exfiltration en tapinois de la famille Ali Bongo Ondimba par le pouvoir en place restent vivement attendue par l’opinion. Ils devraient répondre, par exemple, aux interrogations du peuple souverain portant sur l’intrusion d’un aéronef angolais dans l’espace aérien gabonais et pour son équipage d’extirper ladite famille des mains de la justice dont Brice Clotaire Oligui Nguema est président du conseil de la magistrature.
Des raccourcis insinuent que ce dernier a élargi ses anciens maîtres, d’une part, pour se faire pardonner ; d’autre part, pour les laisser librement jouir à satiété de leur pactole au Maroc et au Royaume-Uni particulièrement où ils disposeraient de paradisiaques pied-à-terre. Dans le cadre de ces tractations sur le dos des Gabonais, l’hyper chef de l’Etat, habité par la bougeotte, aurait posé ses valises sur les bords de la Seine. Il y aurait rejoint sa grande famille, Omar Bongo Ondimba-Denis Sassou Nguesso, en conclave à Paris. Face à lui, Pascaline Mferri Bongo Ondimba, Junior Omar Denis Bongo Ondimba et leur neveu, Noureddin Valentin Bongo Ondimba, héritiers reconstitués en ordre de bataille.
Il se susurre de mieux en mieux qu’un double deal fixant cette opération de libération de la famille Bongo serait conclu, d’une part, entre Brice Clotaire Oligui Nguema et la famille Bongo, car la tenue du procès aux motifs rappelés par la montée au créneau du procureur de la République pourrait attaquer la première pièce du domino qui, selon des juristes de notoriété, ébranlerait tout l’édifice de l’ingénierie de la corruption, de détournement de deniers publics et provoquerait un séisme de haute magnitude. Pour le pouvoir en place, fuir n’étant pas honteux, il ne fallait pas y risquer et la mise en liberté de la famille Bongo constitue leur seule et unique porte de sortie ; d’autre part, entre João Lourenço et Brice Clotaire Oligui Nguema. João Lourenço, en sa qualité de président en charge de l’Union africaine, aurait pressé son homologue gabonais autour du fait que la libération de la famille permettrait d’annuler les sanctions de cette institution néo coloniale contre le Gabon. Si cette assertion est avérée, il serait inconcevable que le président de la 5ème République, fraîchement élu, cède à la pression extérieure alors qu’il n’avait pas reculé lorsque le peuple souverain réclamait l’établissement de la commission justice-vérité-réconciliation-réparation. A l’ère de la lutte pour la souveraineté et l’émancipation des peuples, place n’est plus accordée aux dirigeants qui passent le temps à appliquer des ordres dictés de l’extérieur.
Encore une tuile
Mais sans que les Gabonais aient eu le temps de digérer cette exfiltration en catimini des Bongo, une nouvelle tuile leur est tombée dessus. Elle concerne la vieille dispute latente gabono-équatoguinéenne portant sur la paternité de l’île Mbanié et des îlots Cocotiers et Conga que Libreville et Malabo soumirent à l’arbitrage de la Cour internationale de justice.
Côté gabonais, la défense, menée au départ par le chevronné Pr Guillaume Pambou Tchivounda et comprenant, notamment, le Pr Guy Rossatanga Rignault et la magistrate comptable, Dr Marie Madeleine Mbotantsuo, qui, hormis sa capacité à proclamer de faux résultats électoraux et à déclarer l’irrecevabilité des recours post-électoraux des opposants, même lorsque ceux-ci présentaient des garanties sérieuses de recevabilité, aucune compétence juridique n’est reconnue à cette dame.
Les experts brouillons de l’ère Oligui Nguema, sous la direction du Pr Guy Rossatanga Rignault en ayant pris la main, furent pulvérisés par papy Teodoro Obiang Nguema Mbasogo qui, lui, s’était entouré d’avocats internationaux de haut vol…
En d’autres termes, lorsque le papy affinait sa copie, le petit neveu dansait à tous vents. Aussi, toute honte bue, les experts brouillons de l’ère Oligui Nguema appuyèrent-ils leur plaidoyer sur un document non authentifié datant de 1974 aux conséquences dévastatrices pour le Gabon : la perte de trois îles querellées et le triomphe de la partie équato-guinéenne furent.
Le pathétique et l’insolite dans cette affaire est de voir ces dirigeants africains recourir à une institution juridique néo coloniale pour régler un différend entre deux pays africains souverains sur la base d’une convention coloniale du 27 juin 1900. Il est de notoriété que les décisions de cette institution ne s’appliquent qu’aux pays faibles. Les expériences de la Russie, des Etats-Unis et d’Israël en font foi. Cette situation met à nu, une fois de plus, les carences de dirigeants, qui cherchent à s’appuyer coûte que coûte sur les logiques juridico-diplomatiques occidentales de ruse, de démagogie et de clientélisme, alors que des canaux juridico-diplomatiques africains existent bel et bien.
Le minimum républicain
En son temps, au terme d’une escalade verbale entre le Gabon et la Guinée Equatoriale, Albert Bernard Bongo troqua ses luxueuses et élégantes tenues de ville contre ses frocs rafraîchies de général d’opérette de corps d’armée afin d’intimider « le coq » Francisco Macias Nguema. Toutes les tentatives de règlement de ce différend à l’amiable se heurtaient à l’intransigeance de Libreville et de Malabo. La Guinée Equatoriale fondait son raisonnement sur la convention franco-espagnole du 27 juin 1900. Elle précise que les îles Corisco et Elobey relèvent de l’autorité espagnole sans mentionner que Mbanié et les îles Cocotiers en font partie.
Le silence des textes, doublé du fait que la France ait, à l’époque coloniale, considéré ces îles comme siennes, Albert Bernard Bongo entra dans cette brèche pour marteler que « …le Gabon n’a aucune prétention d’annexer ce qui ne lui appartient pas. Mais il n’acceptera pas qu’une souveraineté étrangère prétende s’exercer sur son territoire et n’admettra pas que des îlots gabonais soient brusquement considérés comme un prolongement d’îlots équato-guinéens dont ils sont distants de plusieurs miles… ». Le ton ferme du fils d’Ondimba, « l’arme du présent et du futur », devrait dès lors constituer le minimum républicain en dessous duquel le fils de Nguema ne devrait descendre.
Test grandeur nature pour le nouveau locataire du fauteuil arraché à son cousin, car ce différend n’est que le hors-d’œuvre des conflits frontaliers auxquels le Gabon est confronté. L’un des gros morceaux concerne le Congo-Brazzaville. Ce pays ampute le Gabon, manu militari, de vastes étendues kilométriques de son territoire. Une montée en puissance du général de brigade, en congé de l’armée, pour affirmer avec force la souveraineté gabonaise s’impose.