A son arrivée au pouvoir en 2009, le président Ali Bongo Ondimba lance le Plan stratégique Gabon émergent (PSGE, 2011), dont l’objectif était de moderniser l’économie gabonaise, la diversifier et permettre à chaque Gabonais d’accéder à un niveau de vie décent. « Il s’agit d’un programme ambitieux de réformes économiques en vue d’une prospérité future ». Le cap était donc fixé, sortir du « tout pétrole » en diversifiant l’économie gabonaise pour une croissance réellement inclusive.
La stratégie affichée consistera principalement en la promotion de la « destination Gabon » (multiplication de voyages à visée promotionnelle à l’étranger, organisation de fora et autres évènements tels que le New-York forum Africa…), mais aussi dans le développement de partenariats publics/privés (PPP) dont Olam Gabon et GSEZ (sa joint-venture avec l’Etat gabonais) bénéficieront comme aucune autre entreprise présente sur le territoire national.
Initialement centrée sur l’exportation du bois, Olam Gabon est devenue, durant la dernière décennie, une entreprise florissante et tentaculaire, leader dans l’essentiel de ses domaines d’activité. Cette montée en puissance repose principalement sur les nombreux partenariats paraphés avec la République gabonaise dans de multiples secteurs stratégiques : quatre dans l’agro-business (Olam Palm Gabon, Olam Rubber Gabon, programme Graine/Sotrader et Gabon Fertilizer company) et cinq dans les infrastructures (GSEZ Nkok, GSEZ New Owendo international port, GSEZ mineral port, GSEZ Infras et GSEZ Airports). Ces partenariats se sont avérés profitables pour l’économie gabonaise selon le cabinet Mouissi (juin 2018) :
– le PIB agricole est passé de 3,6 % à 5 % entre 2010 et 2017 ;
– le PIB de la filière bois est passé de 2,8 % à 3,7 % entre 2010 et 2017 ;
– entre 2010 et 2017, Olam et GSEZ ont investi 1 320 milliards de Fcfa dans leurs activités au Gabon ;
– GSEZ Mineral Port a contribué à l’exportation record de minerai de manganèse en 2017 (4,8 millions de tonnes métriques) ;
– grâce au Port General Cargo de GSEZ, les permanences portuaires se sont améliorées (meilleure qualité de service, réduction de temps d’attente de quatre jours en 2016 à vingt-quatre heures en 2018), baisse des frais d’acconage (-40 %) ;
– entre 2014 et 2016, la valeur des exportations du bois transformé est passée de 240 milliards de Fcfa à 335 milliards de Fcfa (+40 %) ;
– en 2017, les premières exportations d’huile de palme se sont établies à 2 milliards de Fcfa ;
– de 1 100 salariés en 2011, le conglomérat Olam est passé à 17 480 salariés fin 2017 (Olam revendique le statut de premier employé du secteur privé du pays) dont plus de 9 000 Gabonais.
Toutefois, devant le poids sans cesse croissant d’Olam Gabon dans des secteurs aussi stratégiques que l’agriculture ou encore le transport, voire, en perspective, dans l’eau et l’énergie ou la banque (si l’on en croit les bruits de prise d’intérêt d’Olam ici et là), il apparaît nécessaire de se questionner sur les risques encourus, à moyen et long termes, par le système économique national du fait de la concentration d’activités entre les mains d’un acteur économique unique.
En effet, la multiplication constante de partenariats publics privés au bénéfice d’un même opérateur économique aboutissant à une hyper concentration d’activités conduirait progressivement au transfert de l’exposition au risque de l’économie gabonaise : du risque de crise sur les marchés du pétrole au risque de choc sur le conglomérat Olam. Ainsi, un choix stratégique négatif au sein du groupe Olam l’obligeant à restructurer ses activités aurait immédiatement des conséquences préjudiciables pour l’économie nationale (baisse des investissements, hausse du chômage, abandon des activités dans des secteurs jugés peu rentables…). On y perdrait alors les bienfaits souhaités en diversifiant l’économie.
En outre, une concentration excessive donnerait à Olam Gabon la capacité d’influer sur des paramètres divers tels que le prix, la qualité ou encore la fréquence de fourniture de biens et services produits dans certains secteurs économiques et, partant, sur le bien-être des consommateurs gabonais. Et le poids économique pourrait se transformer en poids politique influant sur les lois du pays…
Par ailleurs, si la diversification sectorielle est relativement en marche, la diversification des revenus de l’Etat reste négligeable. Ainsi, entre 2012 et 2017, Olam Gabon et GSEZ ont versé 8,54 milliards de Fcfa à l’Etat Gabonais, soit 1,42 milliards de Fcfa par an. Ainsi, en dépit de son poids croissant au sein l’économie nationale, leur contribution fiscale n’était que de 0,08 % de la collecte totale du fait de leurs exonérations fiscales (Rapport sur l’impact de l’activité / Cabinet Mouissi, juin 2018). Si la tendance se poursuit, difficile de parler de stratégie pertinente pour l’Etat en matière de croissance, encore moins de croissance inclusive.
Dès lors, l’Etat doit prendre des dispositions afin que notre économie ne soit trop dépendante d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises. Cela peut passer par l’amélioration du climat des affaires pour attirer davantage d’investisseurs, notamment en rendant les mécanismes de passation de marchés plus transparents (dans un rapport de 2018, la Banque mondiale pointe le fait que 89 % des marchés publics sont passés de gré à gré dans le pays). Ou encore en redonnant de la solidité aux entreprises locales par le remboursement de sa dette intérieure pour qu’elles puissent participer aux divers appels d’offre publics et, à terme, permettre l’accroissement de la concurrence dans les différents secteurs de l’économie nationale.