Inviter le bwiti dans le débat de la mauvaise gouvernance du Gabon équivaudrait à inviter le diable à une célébration de l’Eucharistie. Il sera chassé à coups d’eau bénite. Il convient de rappeler que le premier président du Gabon, feu Mba-Minko-mi-Edang, était un prêtre bwitiste (nkombo : Ombengô). Le temple dans lequel son présidentiel postérieur a frotté le sol nu est encore visible dans un quartier du deuxième arrondissement de Libreville. On s’étonne donc de constater que les prêtres bwitistes ne sont pas invités lors des cérémonies officielles comme le sont les religieux qui incarnent les religions judéo-chrétiennes et islamistes au Gabon.
Le statut de bwitiste avait même valu à Léon Mba des frictions avec le clergé catholique conduit par feu Mgr François Ndong. Léon Mba, président bwitiste, est-ce pour autant que le Gabon était bien gouverné ? Pas si sûr, pas si faux non plus. Nonobstant, les derniers survivants du régime Léon Mba rapportent que ce dernier avait un haut sens de l’Etat, un sacro-saint respect de la chose publique, intransigeant avec les indélicats commis de l’Etat. « …s’il avait mis 40 ans au pouvoir comme Houphouët, ou Omar Bongo, le Gabon serait aujourd’hui un pays très envié », racontent les nostalgiques.
C’est notre compatriote Effayong, alias Bitome, grand interpellateur sur la toile, qui, dans un coup de gueule, a répondu à la question à lui souvent posée, à savoir : « où sont les bwitistes dans la dégradation de la société gabonaise ? ». Sa réponse, pour ne pas dire sa riposte, mi-ironique mi-sérieuse, appelle quand même une réflexion. D’abord, il dit que l’Iboga n’est pas reconnu comme un patrimoine national. Ce qui est erroné puisqu’une décision qui interdit l’exportation de l’Iboga a été prise dans ce sens. Ensuite, Bitome fustige la non-reconnaissance du culte bwiti par les autorités. Il dit : « …quand le protocole d’Etat invite les confessions religieuses à la présidence pour les vœux de nouvel an ou pour prier pour le Gabon, est-ce qu’ils invitent les bwitistes ? …Maintenant que les choses vont mal, vous demandez où sont les bwitistes… ».
Un autre compatriote, Guy Nang-Bekale, s’échine, dans ses publications, à passer, sans effet, des messages subliminaux à ceux qui nous servent de gouvernants. En effet, on ne peut gouverner un pays, donc une communauté d’êtres humains connectés par de visibles et invisibles liens matériels et spirituels, si l’on n’est pas ancré dans les rites, us et coutumes de cette communauté ; de surcroît dans un pays fortement imprégné de spiritualité active comme le Gabon. Comment expliquer qu’une puissante tronçonneuse se brise sur un arbre tutélaire qu’on veut abattre parce qu’il obstrue le tracé d’une route à construire et que même l’engin de terrassement le plus puissant ne parvienne pas à le déraciner ? Il faut alors recourir à l’intervention d’un vénérable notable, dépositaire de secrets savoirs ancestraux, au prix de petits rituels, voire de la simple parole, pour venir à bout de sa résilience.
Ce n’est point que l’on préconise d’initier obligatoirement au bwiti tous ceux qui aspirent à gouverner les autres comme le suggère notre frère Bitome. Cependant, il est quand même aberrant qu’un quidam qui ne sait pas parler sa langue maternelle, qui est incapable de réciter sa généalogie, non initié à aucun rite traditionnel du terroir se retrouve à cornaquer des populations très attachées, très ancrées dans la connaissance et la maîtrise des rituels ancestraux et ésotériques sacrés du Gabon mystique et métaphysique. Sans vouloir faire l’apologie des pratiques ancestrales estampillées par les bien-pensants « diaboliques ou sataniques », force est de reconnaître que les bwitistes et autres initiés aux rites traditionnels ont une légère avance sur ceux qu’ils appellent « étéma » (bwiti), « ébvieng » (byere). Parce qu’ils ont fait une expérience extra sensorielle unique, les esprits lumineux savent interpréter les codes et délier les énigmes sacrés pour les mettre avantageusement au service de la collectivité. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’un prêtre catholique, homme de presse et homme de culture, l’abbé Noël, sans craindre de se mettre à dos sa hiérarchie et ses confrères prêtres, offrit au Gabon un opuscule intitulé « Les religions traditionnelles du Gabon à la rencontre de l’Evangile ». Dans ce roman de très bonne facture, il explique pourquoi ou comment des compatriotes, pourtant baptisés, allaient au temple bwiti le samedi soir consommer de l’iboga et se retrouver à l’église le dimanche pour participer à l’agape anthropophage le plus célèbre et le plus accepté au monde, manger le corps Christ et se désaltérer de son sang…
La manducation de la plante Iboga, ou de l’Alane, a l’avantage d’ouvrir à l’irréel. On peut ne pas voir Bwiti, ou Byere, mais au moins on a une perception claire du bien et du mal, du paradis et de l’enfer. Un dirigeant, au sommet de l’Etat, initié aux rites de nos sanctuaires, ne peut s’amuser à traiter le Gabon comme c’est le cas actuellement. Feu Obo savait ce qu’il disait en affirmant que « Dieu ne nous a pas donné le droit… ». Lui-même, étant musulman et Franc-maçon, était aussi un grand prêtre Ndjobi…
La présence des initiés au bwiti au pouvoir n’est pas forcément un gage de bonne gouvernance, car tous : bwitistes, chrétiens, mahométans, rosicruciens, francs-maçons et autres ndjobistes ne sont que des humains avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs qualités et leurs défauts, leurs largesses et leurs limites. Mais l’initié, au moins, a conscience des conséquences ultérieures des mauvais actes qu’il aura posés dans ce monde. Donc il n’y a rien de spécial à attendre des bwitistes dans la gestion des choses de la cité, car ils ne sont ni Dieu ni des thaumaturges.
H. Bitegue-bi-Aboghe