Esquivée de manière frontale lors des Accords de Paris de 1994, la problématique du rôle joué par les forces de défense et de sécurité en général, et de la Garde présidentielle (GP), devenue républicaine (GR) en particulier, continue à hanter les esprits à l’approche de chaque consultation présidentielle depuis le retour du Gabon au multipartisme en 1990. Le Dialogue nationale qui s’est ouvert le mardi 02 avril dernier, gagnerait à ne pas éluder cette question préjudicielle pour notre essor vers la félicité.
La présence, considérable, des hommes en uniformes pendant le dialogue national qui s’ouvre mardi prochain ne peut que raviver les inquiétudes à ce sujet, au moment où la candidature du chef de la transition devient incontournable avec, comme enjeu immédiat, la durée définitive de la transition. Va-t-on mener la réflexion sur une possible expérimentation en ce qui concerne la cohabitation entre militaires en uniforme au pouvoir et les hommes politiques ?
Dernièrement en visite dans la province de l’Ogooué-Ivindo, le président de la transition, chef de l’Etat, président de la République avait déclaré à Makokou, nous le citons : « Je fais ce que je dis… ». Effectivement depuis sa prise de pouvoir le 30 août dernier, le président du CTRI s’emploie à tenir l’ensemble des promesses faites aux Gabonaises et aux Gabonaises, principalement du point de vue social. Est-ce pour autant que l’on devrait prendre pour argent comptant, toutes les proclamations d’intentions de Brice-Clotaire Oligui-Nguema ? Ses admirateurs, de plus en plus nombreux dans le pays, et dont nous sommes, n’hésiteraient pas un seul instant à répondre par l’affirmative à cette question. Mais lorsque le journaliste, l’analyste politique, prend le dessus sur le citoyen lambda, on ne peut qu’être plus circonspect, en se remémorant certains propos du chef de la transition. Notamment son admiration pour le Gl Idriss Firmin Ngari dont le rôle est connu dans les événements postélectoraux de 1993, mais surtout l’une de ses déclarations, lourdes de sens, les premiers jours de sa prise de pouvoir.
Brice Clotaire Oligui Nguema invoquait alors quelque chose qui devrait faire froid au dos de tout bon démocrate désirant vivre dans une démocratie normale, où la politique doit normalement rester aux mains de politiciens…vertueux. Et la défense du territoire et des institutions républicaines, à la charge des militaires. Avec une Constitution édictant clairement les devoirs et les droits des uns et des autres, des mécanismes sanctionnant toutes formes de déviances devraient être prévus.
Mais d’où viendrait-il que le président de transition invoque ce pouvoir de… déchéance de l’armée, dès les premières heures de sa prise de pouvoir ? L’euphorie de se retrouver dans une posture avantageuse inespérée pour lui, en lançant le fameux «… l’armée le déchoit ! » au Palais du Bord de mer ? On veut bien l’espérer… Mais en indiquant qu’il allie toujours, pour ainsi dire, le geste à la parole, on ne peut que s’inquiéter de voir ce genre de propos coulés sous forme de propositions, puis plus tard de textes de loi.
Bien entendu, la population gabonaise dans son écrasante majorité, sait gré aux forces de défense et de sécurité en première ligne desquelles la Garde républicaine pour avoir épargné au pays de nouvelles coulées de sang et de les avoir délivré du régime d’un Ali Bongo Ondimba qui n’était plus apte à diriger après les cinq premières années de son premier septennat.
C’est ainsi qu’est né le terme de « Coup de la libération » repris à l’envi par les jeunes qui ne possèdent pas toujours une photographie brute de l’évolution politique de notre pays depuis le retour au pluralisme politique en 1990. Mais pour ceux de ma génération, et sans faire offense à ceux qui ont pris le risque de mettre fin au pouvoir des Bongo le 30 août dernier (Un coup d’Etat est toujours aléatoire), il faut bien tempérer le propos et parler, pourquoi pas et parce que cela beaucoup plus proche de la réalité de… « Coup de réparation et de libération ».
En effet, si le pouvoir Bongo-PDG a pu tenir si longtemps, c’est grâce au recours systématique aux forces armées et à la Garde républicaine pendant les moments décisifs de transfèrement du pouvoir d’Etat aux véritables vainqueurs des urnes.
Bien entendu, depuis la présidentielle de décembre 1993, la Cour constitutionnelle a toujours su tenir son rôle d’inflexion des votes vers le camp illégitime. Mais c’est avec et grâce à la répression de la Garde du chef de l’Etat, que les messes, sanglantes et dissuasives, ont été dites. Dans la paix des cimetières. Le Gl Idriss Firmin Ngari, qu’Oligui Nguema veut prendre pour modèle localement, a fait tirer sur Radio liberté et mis Mboumbou Miyakou dans un char pour aller proclamer les résultats de la présidentielle de 1993.
Lors des Accords de Paris, le problème de l’existence et de la nature de la Garde présidentielle avait été posé. Futé et friqué, Omar Bongo Ondimba s’était contenté de faire transformer le P (présidentielle) en R (Républicaine) gardant le reste et l’essentiel intact. Jusqu’à sa mort. Son fils se servira de l’instrument en 2009 et en 2016. Sa tentative de 2023 rencontrera malheureusement pour lui, le Gl de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema. Mais ce n’est pas à chaque élection présidentielle que l’on peut se trouver des Oligui. D’ailleurs lui-même, pressenti pour se succéder électoralement à lui-même, dédaignera-t-il de conserver en l’état, ce « couteau à double tranchants » grâce auquel il a pu déchoir Ali Bongo Ondimba, et qui peut jouer, demain, le rôle de « destituer » des pouvoirs civils qui déplairaient aux militaires lesquels, depuis fin août dernier, ont commencé à se politiser radicalement ? Seule l’issue du dialogue national nous le dira. Mais avec cette présence massive des militaires pendant ces assises, on ne peut que rester sur ses gardes… démocratiques.
Rompez !
Sylvanal Békan