Les données statistiques sont parlantes : durant l’ère politique d’Omar Bongo, qui a duré 42 ans (de 1967 à 2009), il y a eu cinq Premiers ministres, soit en moyenne un changement de chef du gouvernement tous les 6 ans (à compter de 1975, année de l’instauration de la fonction de PM). Depuis 2009, il y a eu cinq Premiers ministres et douze gouvernements, soit un changement de chef d’équipe tous les 2 ans. Suffisant pour s’interroger sur un mode de gouvernance qui cohabiterait avec une certaine instabilité ministérielle ?
En économie, la gouvernance désigne l’exercice de l’autorité en vue de gérer les affaires d’un pays à tous les niveaux dans l’intérêt de toutes les parties prenantes et, particulièrement, des citoyens. La nature de l’autorité peut être à la fois économique, politique et administrative.
Une bonne gouvernance se caractérise notamment par la participation, la transparence, la responsabilité, l’efficacité et l’équité.
Par ailleurs, quand on évoque l’instabilité ministérielle, il est surtout fait référence au mode de gouvernance de la France sous la IIIè (1875-1940) et la IVè Républiques (1945-1958). Ces deux périodes ont vu la prédominance du Parlement sur les différents gouvernements (régimes d’assemblée). En effet, sous la IIIè et la IVè, l’Assemblée concentre entre ses mains presque tous les pouvoirs, au détriment de l’Exécutif, mettant ainsi en place une valse de gouvernements. La France connaît donc l’instabilité ministérielle jusqu’à la mise en place de la Vè République, le 4 octobre 1958.Quelles sont les causes et les conséquences de l’instabilité ministérielle sous la IIIè et la IVè Républiques ? La toute puissance de l’Assemblée ainsi que la mise en place de coalitions instables sont les causes directes de l’instabilité ministérielle sous ces deux régimes politiques. Un tel cas de figure n’existe pas au Gabon. De ce fait, peut-on réellement parler d’instabilité ministérielle dans notre pays ?
Depuis octobre 2009, pas moins de douze gouvernements se sont succédé au Gabon. Certains n’hésitent pas à franchir le pas et considérer qu’il y a une crise de gouvernance dans notre pays. Cette crise est illustrée, notamment, par une instabilité ministérielle ou gouvernementale. L’instabilité gouvernementale se caractérise par le changement de plusieurs gouvernements dans un certain laps de temps relativement court. Si nous prenons comme temps de référence les trois années qui nous séparent de la dernière élection présidentielle de 2016, il y a eu 2 Premiers ministres et six gouvernements, soit près d’un changement de gouvernement tous les 6 mois, sans compter les remaniements et autres réaménagements techniques. Les ministères financiers font très souvent les frais de ces changements d’équipe puisqu’après Mathias Otounga Ossibadjouo (2016-2017), le ministère du Budget et des Comptes publics a été confié à Jean-Fidèle Otandault de 2017 à 2019. La tendance est la même au ministère de l’Economie, détenu de 2014 à 2018 par Régis Immongault, avant de céder la place à Jean-Marie Ogandaga (2018-2019), qui est, depuis le 2 décembre 2019, à la tête du super ministère de l’Economie et des Finances, reconstitué en juin 2019 et confié, pendant près de six mois, à Roger Owono Mba. Pourquoi mettre l’accent sur les ministères financiers ? Tout simplement parce que la stabilité à leur tête, comme celui des Affaires étrangères, est un indicateur du degré de confiance et de considération de potentiels investisseurs et autres acteurs économiques internationaux.
Or, l’instabilité gouvernementale et le turn-over ministériel trop important n’est guère favorable à l’inscription dans la durée des politiques menées et peut, de surcroît, alimenter l’instabilité administrative ou réglementaire. De plus, l’instabilité gouvernementale a un impact direct sur l’économie nationale, en ce sens qu’elle pèse sur la visibilité et la confiance des investisseurs potentiels.
En juin 1996, une étude sous forme d’article intitulé « Political Instability and Economic Growth» est publiée dans le Journal of Economic Growth, a mis en évidence la relation entre la stabilité politique et la croissance du produit intérieur brut (PIB) par habitant. Cette étude est le résultat des travaux des professeurs Alberto Alesina, Sule Özler, Nouriel Roubini et Phillip Swagel.
Selon les conclusions de l’étude des données recueillies à partir d’un ensemble de 113 pays, sur une période allant de 1950 à 1982, ils estiment en effet que les pays qui présentent une probabilité élevée de changement gouvernemental réalisent un taux de croissance économique faible.
L’instabilité politique sape la croissance économique parce qu’elle aggrave l’incertitude politique qui, en conséquence, influe négativement sur la capacité décisionnelle des variables économiques comme l’épargne et l’investissement. Une probabilité élevée de changement gouvernemental implique une incertitude sur les politiques publiques suivies dans l’avenir et, même sur les échanges.
A chaque fois, le changement de gouvernement entraîne un changement de programme et de politique. A chaque fois, il faut reprendre l’instruction des projets dans de nombreux cas. Aucune réforme ne peut ainsi aboutir ou difficilement. Le fait d’être en permanence sur un siège éjectable limite l’ambition des ministres qui doivent piloter des projets. Le travail gouvernemental doit à chaque fois être redéfini en fonction des ministres dans leur département et de l’environnement politique s’il a changé. On se retrouve au point où le projet présidentiel est modifié à chaque remaniement. On passe du Plan stratégique Gabon émergent au Plan de Relance de l’Economie avant d’évoquer à l’envie le Plan d’actions présidentiel, etc. Si vous étiez un investisseur potentiel, quel serait le fil conducteur de tout cela ? Certainement l’ambition présidentielle, certes, mais a-t-elle une ligne conductrice cohérente ? Celle-ci doit être incarnée par des relais (ministres) choisis avec rigueur en fonction de leurs états de service irréprochables et leur connaissance du fonctionnement de l’Etat et des enjeux du programme politique du Chef de l’Etat. En l’absence de tout cela, oui, on change au gré des humeurs, des fautes des ministres et des échecs de politique. Et se pose alors la question de la confiance. En effet, il ne peut y avoir d’économie en bonne santé sans confiance entre ses acteurs, et sans des institutions solides qui favorisent cette confiance.
Or, l’économie gabonaise est sujette à de problèmes de gouvernance, aux lenteurs administratives et à la corruption. La situation ne date pas d’aujourd’hui. Les facteurs à l’origine de cette crise remontent à bien avant la présidence actuelle. Et la perte de confiance engendrée par l’instabilité politique du pays et l’arrestation d’hommes politiques ayant pourtant bénéficié dans le passé des largesses du pouvoir ne militent pas en faveur d’une restauration de la confiance.
Cela dit, terminons par une note d’optimisme ou de triomphalisme pour certains. En 2017, le stock d’IDE au Gabon représentait, selon la CNUCED, 9,4 milliards USD (70,6% du PIB), en constante augmentation depuis 2012. Les IDE au Gabon étaient traditionnellement dirigés vers le secteur pétrolier et minier, mais une diversification s’est opérée depuis une dizaine d’années avec les investissements du groupe Olam, dans le secteur agroalimentaire et des infrastructures.
Cette tendance peut être plus importante et mieux maîtrisée. A condition d’avoir, en permanence, à l’esprit que la fonction gouvernementale implique alliance avec le temps pour des résultats réellement tangibles pour le pays.